Escouades mixtes en intervention sociale

Québec compte aller de l’avant malgré un rapport défavorable

Québec fait-il fausse route en privilégiant la création d’escouades mixtes, où des policiers sont accompagnés d’intervenants sociaux ? C’est ce que concluent des chercheurs montréalais, qui ont produit un rapport critiquant cette approche mercredi. Mais le gouvernement maintient le cap.

Que sont les escouades mixtes ?

Les escouades mixtes sont des groupes d’intervention composés à la fois de policiers et d’intervenants sociaux. La première escouade mixte à Montréal a été établie en 2009. Près de 15 ans plus tard, il existe maintenant 57 escouades mixtes à travers la province, a confirmé le cabinet du ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant. À Montréal, plusieurs se sont ajoutées ces dernières années. Or, très peu de données scientifiques viennent démontrer l’efficacité de ces escouades, affirme en entrevue Céline Bellot, professeure de travail social à l’Université de Montréal et directrice de l’Observatoire des profilages.

Contrairement à ce qu’avancent les villes et les corps policiers, le rapport affirme que les escouades mixtes nuisent aux personnes en situation d’itinérance.

En effet, une équipe de chercheurs montréalais dirigée par Ted Rutland, professeur de l’Université Concordia spécialisé dans les politiques urbaines, affirme dans un rapport que les escouades mixtes « restent ancrées dans une logique de répression qui vise à satisfaire les intérêts de certain·es résident·es et commerçant·es qui ne veulent pas voir la pauvreté au désavantage des besoins des personnes en situation d’itinérance ».

Pour en arriver à cette conclusion, les chercheurs ont interrogé 38 intervenants de refuges et travailleurs de rue de Montréal. Selon eux, plusieurs effets négatifs ou ambigus se font ressentir auprès des personnes itinérantes depuis l’arrivée des escouades mixtes : les interventions dans leur milieu de vie se multiplient, rendant plusieurs espaces de la ville hostiles à la présence des personnes itinérantes. De plus, la criminalisation augmente, ainsi que les sentiments de stress et de vulnérabilité.

Selon Alexandra Pontbriand, directrice adjointe de l’organisme Spectre de rue, situé dans le Village, les liens de confiance sont aussi plus difficiles à tisser, les personnes itinérantes ne sachant pas s’ils peuvent faire confiance aux intervenants.

« C’est clair qu’on entend de plus en plus de confusion entre qui est qui et qui fait quoi, souligne Mme Bellot. Le tout avec des populations qui sont déjà méfiantes des institutions. »

Le SPVM, la Ville de Montréal et le gouvernement comptent-ils aller de l’avant avec cette approche ?

Il semble que oui. En fin de journée, le ministre Lionel Carmant a publié sur le réseau social X une carte détaillant les 57 escouades mixtes dans la province. « Les policiers sont de [plus en plus] appelés à intervenir auprès de gens souffrant de problèmes de santé mentale. Devant ça, [François Bonnardel] et moi déployons des équipes mixtes où policiers et intervenants sociaux travaillent ensemble. Nous en sommes à 57 équipes et on va continuer », a affirmé M. Carmant en ligne. À Québec, le ministre de la Sécurité publique, François Bonnardel, a aussi souligné que lors de sa tournée des corps policiers de la province, « les policiers [étaient] très fiers de travailler avec ces intervenants sociaux sur le terrain ».

Du côté du SPVM, on a indiqué à La Presse que le corps policier réservait ses commentaires, car il n’avait pas pris connaissance du rapport. « Dans le contexte de la crise sans précédent des vulnérabilités qui sévit au Québec, on a besoin que tout le monde travaille ensemble sur le terrain pour soutenir les plus vulnérables. Notre approche, c’est de briser les silos », a précisé le responsable de la sécurité publique à la Ville de Montréal, Alain Vaillancourt.

Le milieu communautaire est-il d’accord avec les conclusions du rapport ?

La publication du rapport a surpris certains intervenants du milieu de la lutte contre l’itinérance à Montréal. « C’est un peu comme si, dans ce rapport-là, on disait : “Les escouades mixtes, ce n’est pas bon, parce qu’on va vers les personnes” », observe Julie Grenier, porte-parole du Mouvement pour mettre fin à l’itinérance. Ce mouvement réunit des groupes communautaires et des membres du monde des affaires, du privé et du public, favorables aux escouades mixtes. Selon elle, le plus important est que les actions soient prises « dans un esprit de continuité » pour offrir du soutien aux gens de la rue.

Du côté de la Mission Old Brewery à Montréal, on estime que certaines initiatives d’équipes mixtes fonctionnent bien, mais que trop souvent, quand un intervenant doit faire de la médiation sociale entre un commerçant et une personne itinérante, cette dernière est perdante. « Si le but, c’est de déplacer le problème, ça ne fonctionne pas. Si le but, c’est de trouver la solution pour les deux parties, là on est ailleurs », affirme Émilie Fortier, directrice des services d’urgence.

Quant à Céline Bellot, elle salue la publication de données sur les effets des escouades mixtes. « Ultimement, ajoute-t-elle, je pense que derrière les réflexions sur l’efficacité ou les bénéfices ou non de ce type d’interventions, il y a tout un questionnement à avoir sur le rôle et la place de la police dans la gestion de l’itinérance. »

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