Maison

Scènes de vie

Pour les acteurs et metteurs en scène Sophie Cadieux et Mani Soleymanlou, le jeu est partout. Lorsque le moment de rénover leur maison est venu, ils se sont tournés vers l’architecte Jean Verville pour s’amuser à créer avec lui un décor sur 10 plateaux. Visite en avant-première des lieux avec des photos bien théâtrales, à l’image des deux artistes.

L’envie de Sophie Cadieux et de Mani Soleymanlou de remodeler de fond en comble leur triplex d’Hochelaga-Maisonneuve, à Montréal, pour créer le nouveau décor de leur vie de famille, s’est précisée en 2018, au retour d’un voyage en Asie avec leur fils Oscar, âgé de 2 ans. « Après avoir passé trois mois avec deux sacs à dos, nous nous sommes rendu compte que nous avions besoin de peu de choses au quotidien. Cela nous a amenés à ne pas avoir d’attentes spécifiques pour la vie dans notre projet d’architecture », raconte Sophie, par ailleurs charmée par les intérieurs japonais épurés et sereins croisés en chemin.

Le couple est prêt à balayer les codes classiques de l’habitat au profit d’une œuvre en harmonie avec sa réalité singulière. Il choisit Jean Verville pour envisager celle-ci par l'entremise d’échanges multiples dans un joyeux décloisonnement des disciplines artistiques.

Parcours intérieur

D’emblée, l’architecte ambitionne de mettre en scène Sophie, Mani et Oscar. « Lorsque j’imaginais la structure du projet, j’avais constamment en tête des personnages qui y déambulaient », confie-t-il en pointant parmi ses sources d’inspiration les films de Jacques Tati, où les acteurs apparaissent et disparaissent derrière des portes, murs, cloisons, fenêtres, passerelles…

Les expériences sensorielles de Sophie et de Mani au Japon participent également au grand bouillonnement d’idées qui prend forme. Au gré des maquettes, où l’équipe de création élargie jongle avec les volumes, une architecture reposant sur 10 niveaux, avec une succession de pauses dans un parcours tracé en fonction des habitudes de vie et de travail des propriétaires, est retenue.

Terrains de jeux

Des parties du sol sont enlevées aux étages pour dégager ce qui sera le cœur de la maison grâce à une structure métallique haute de 12 m.

Des paliers et petits escaliers partant de celle-ci dessinent des espaces verticaux interconnectés faisant oublier les étages tout en longueur d’autrefois. La cage d’acier ajouré, qui vient consolider la structure originale de la maison, offre également des vues sur les différents niveaux où se dressent des murets délimitant les espaces. Les plateformes peuvent être investies librement, comme autant de scènes à improviser.

« Nous voulions que les paliers puissent être vécus autrement que comme des lieux de passage. »

— Jean Verville, architecte

Dans la même logique, ce n’est qu’en fin de conception du projet que l’emplacement des pièces est précisé. « Nous tenions à nous assurer que l’objet architectural ait un sens », souligne Mani Soleymanlou à propos de cet aménagement se prêtant à toutes les appropriations.

Lumière céleste

Un grand puits de lumière de 2,5 m sur 2,5 m, en clin d’œil à l’artiste américain James Turrell, chapeaute la structure métallique pour permettre à la lumière naturelle de pénétrer dans la maison. Si, à la différence de Mani, Sophie n’a pas besoin d’un bureau pour travailler ses scénographies, textes et interprétations, la lumière, en revanche, lui est indispensable.

« J’essaie toujours de m’asseoir à de nouvelles places. Je suis la lumière. J’explore tous les lieux possibles. »

— Sophie Cadieux

Pour le soir ou les jours gris, un système d’éclairage sur rail, équipé de gradateurs, contribue à moduler l’espace selon les besoins ou la fantaisie de la famille, ainsi qu’à diffuser une lumière feutrée très théâtrale. La structure métallique ajourée centrale permet en outre de créer des effets graphiques et des jeux d’ombres sur les sols et les murs.

Page blanche

Dans cet intérieur épuré, une attention particulière est portée aux textures. Sophie et Mani, qui prennent part de façon active au chantier aux côtés de l’entrepreneur Pierre Aubin, choisissent ainsi les plaques d’acier de la structure centrale qui définit en grande partie l’espace. Au lieu d’être masquée, la surface irrégulière des murs mitoyens de la maison est simplement peinte dans une nuance grège minérale discrète. Il résulte de cette somme de détails un calme inspirant et apaisant.

« Nous avons un problème avec les cadres et tableaux que nous avons accumulés », dit en souriant Mani, deux mois après l’installation de la famille dans sa « nouvelle » maison. « Nous ne voulons pas les mettre aux murs, car nous avons réalisé combien ce calme visuel faisait du bien dans nos vies constamment bombardées d’images, de mots, de couleurs… »

Comme Sophie, il rêve néanmoins d’accueillir ici des performances artistiques privées lorsque la situation sanitaire le permettra pour laisser la création habiter pleinement les lieux.

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