Des bémols sur les projections

Alors que le premier ministre de l’Alberta présentait mardi un modèle prévoyant jusqu’à 800 000 infections dans sa province, différents experts soulevaient des bémols par rapport à ce genre de projection.

Le mathématicien Gaëtan Lafrance, spécialiste des prévisions d’offre et de demande en énergie, affirme que les scénarios du gouvernement québécois sont « absurdes » et « inopportuns ». « Se comparer à l’Italie, qui était mal préparée et dont le système de santé a subi un véritable dérapage à cause du manque d’équipement, n’est pas utile. Ça prendrait un tsunami pour qu’il y ait autant de morts chez nous », dit-il. 

Le fait d’extrapoler des tendances à des pays d’Europe « reproduit faiblement les caractéristiques de notre société : densité de population, âge moyen, espérance de vie, civisme, réaction de notre système de santé », souligne le mathématicien, professeur émérite à l’Institut national de la recherche scientifique. 

La Dre Nathalie Grandvaux, spécialiste des mécanismes de défense antiviraux à l’Université de Montréal, appelle aussi à la prudence dans l’interprétation de ces scénarios. Elle craint que l’évolution rapide du nombre de cas dans les CHSLD ait été sous-estimée dans les calculs « parce que ça fait seulement environ une semaine que les CHSLD et les maisons de personnes âgées ont des infections beaucoup plus notables. Ça peut être un élément déterminant dans la trajectoire de la courbe réelle », dit-elle. 

« Ça montre que les mesures mises en place par nos autorités fonctionnent, concède-t-elle. Mais le danger est qu’on se sente en sécurité en voyant ces courbes et qu’on se dise “c’est pas si pire”, alors que LA raison pourquoi on est du côté optimiste, c’est parce qu’on prend ces mesures. » 

Scénario albertain

Le premier ministre albertain, Jason Kenney, a présenté en soirée un scénario « probable » prédisant jusqu’à 800 000 infections et jusqu’à 3100 morts en Alberta d’ici à la fin de l’été. L’Alberta autorise toujours les rassemblements de moins de 15 personnes. « Ces modèles ne sont pas figés. Je veux que les Albertains les voient comme un défi à relever », a déclaré M. Kenney, lors d’un discours télévisé.

— Tristan Péloquin, La Presse

Selon les scénarios de Québec

De 1263 à 8860 morts d’ici à la fin d’avril

QUÉBEC — Le coronavirus ferait 1263 morts au Québec d’ici au 30 avril dans un scénario optimiste, et jusqu’à 8860 dans un scénario pessimiste, selon une présentation faite mardi par le gouvernement sur l’évolution de la COVID-19.

Québec considère que l’on est beaucoup plus près du scénario optimiste. Il prévoit également que le fameux pic de la courbe de propagation du coronavirus serait atteint vers le 18 avril. C’est à ce moment qu’il y aurait le plus de malades atteints de la COVID-19 dans les hôpitaux.

Le nombre cumulé de cas confirmés de COVID-19 s’élèverait à 29 212 à la fin du mois d’avril dans le scénario optimiste ; 59 845 dans le scénario pessimiste. Le Québec en compte 9340 en ce moment, un seuil se situant quelque part entre les courbes des deux scénarios présentés.

Pour les concevoir, la Direction de santé publique a utilisé les données de pays européens, là où la propagation du coronavirus a commencé plus tôt qu’ici. Chaque pays est ramené à un « jour 0 », c’est-à-dire le moment où il a atteint une dizaine de cas. Il s’agit du 12 mars pour le Québec.

Le scénario optimiste sur le nombre de morts a été établi en fonction de la situation en Allemagne, pays présentant un faible taux de mortalité. Pour les hospitalisations et le nombre de cas confirmés de COVID-19, on a plutôt retenu le Portugal, plaidant qu’il a des similitudes avec le Québec.

Quant au scénario pessimiste, l’expérience de l’Italie a été retenue.

Des lits en nombre suffisant

Il y aurait une pointe de 1404 personnes hospitalisées un peu après la mi-avril, selon le scénario optimiste. Ce serait deux fois plus, 3028, dans le scénario pessimiste. Québec a déjà indiqué que 6000 lits ont été libérés dans le réseau, ce qui paraît suffisant.

D’ailleurs, le rythme réel d’augmentation des hospitalisations que l’on observe présentement au Québec se compare avantageusement au scénario optimiste, souligne-t-on. Il y avait 583 hospitalisations le 6 avril, alors que l’on est à mi-chemin entre 500 et 1000 dans le scénario optimiste à cette date.

Toujours au sommet de la courbe, il y aurait 468 personnes hospitalisées aux soins intensifs dans le scénario optimiste, contre 1009 dans le pessimiste. Québec signale que 633 lits de soins intensifs sont disponibles à l’heure actuelle. Encore là, le nombre actuel de malades aux soins intensifs est inférieur au scénario optimiste : 164 le 6 avril, contre plus de 200 à cette date dans le scénario.

Dans le cas des morts, c’est une autre réalité : le nombre réel de morts au Québec – 150 – et le rythme actuel d’augmentation sont plus élevés que ce que l’on peut voir dans le scénario optimiste. Ils sont toutefois beaucoup plus faibles que dans le scénario pessimiste.

« On ne sera pas proches du scénario pessimiste »

Dans les deux scénarios, les données présentées au sujet des pays européens vont jusqu’au 30 avril. Les chiffres du 18 au 30 avril sont des « projections estimées selon un taux de décroissance ». Or, les données présentées au sujet du Québec s’arrêtent toujours le 6 avril et aucune projection n’est faite dans le temps. « C’est extrêmement difficile de mettre un chiffre précis où est-ce qu’on va se retrouver », a expliqué le Dr Richard Massé, conseiller stratégique et ancien directeur national de santé publique.

Où le Québec se situera-t-il entre les deux scénarios au cours des prochaines semaines ? « On ne sera certainement pas proches du scénario pessimiste », a-t-il répondu, rappelant que le Québec avait agi rapidement au début de la pandémie et que la population respectait les mesures de confinement dans l’ensemble. « On va être certainement proches du chiffre optimiste pour ce qui est du nombre de cas [de COVID-19]. Pour ce qui est du nombre de décès, vous voyez la courbe, ça montre aussi qu’on est dans une position relativement favorable », a-t-il soutenu.

C’est le Dr Massé que le gouvernement a envoyé au bâton pour présenter les scénarios. Ni le premier ministre François Legault ni le Dr Horacio Arruda, réfractaire depuis le début à la présentation de scénarios, n’étaient présents. Ils ont toutefois fait quelques commentaires un peu plus tôt, lors de leur point de presse quotidien.

« On est plus proches [du scénario] optimiste que du pessimiste », a soutenu le directeur national de santé publique. Le Dr Arruda a chiffré à 75 % les probabilités que le scénario optimiste se réalise. Donc le scénario pessimiste, « je ne pense pas qu’on va se rendre là ».

La progression « se stabilise »

De son côté, le premier ministre François Legault a soutenu que la progression de la COVID-19 « se stabilise » et que le Québec est en voie d’atteindre le sommet de la courbe. « Je ne voudrais pas alarmer les personnes avec le scénario pessimiste, a-t-il affirmé. Jusqu’à présent, on est beaucoup plus proches des scénarios où les pays ont été les meilleurs. On est dans la bonne direction, on a beaucoup moins de morts que la moyenne en Europe, toutes proportions gardées. Mais il ne faut pas relâcher nos efforts. Donc, c’est important de respecter les consignes. »

La semaine dernière, François Legault disait que le scénario « plus probable » serait présenté aux Québécois. On a finalement opté pour deux scénarios, l’un optimiste et l’autre pessimiste.

Ces scénarios ne représentent donc pas la mise à jour des projections du ministère de la Santé et des Services sociaux que La Presse avait dévoilées le 21 mars. On y prévoyait 18 000 cas au 20 avril et un sommet de 1869 hospitalisations en même temps. Le document notait que ces chiffres allaient être ajustés au fil du temps, pour tenir compte de l’effet des mesures de confinement, par exemple.

Hausse de 24 % des morts en une journée

Vingt-neuf Québécois ont succombé à la COVID-19 en 24 heures, ce qui porte le bilan à 150. Par ailleurs, 583 personnes sont hospitalisées, soit une augmentation de 50 hospitalisations, ou près de 10 %. Parmi elles, 164 sont aux soins intensifs, une donnée qui est demeurée stable en 24 heures. Le premier ministre François Legault observe que l’augmentation des hospitalisations « se stabilise », ce qui est « encourageant ». On compte maintenant 9340 cas confirmés de COVID-19 (+ 760). Par ailleurs, 2472 Québécois sont sous investigation. Jusqu’ici, 95 186 analyses ont donné un résultat négatif. Et 720 personnes sont considérées guéries. — Tommy Chouinard, La Presse

JAMBON À L’ANANAS, FÉE DES DENTS ET MONOGAMIE !

À l’approche de Pâques, François Legault a demandé aux leaders religieux d’éviter tous les rassemblements, comme la consigne gouvernementale l’exige. Le directeur national de santé publique a, pour sa part, demandé aux Québécois de ne pas inviter leur famille à partager un « jambon à l’ananas » pour célébrer Pâques. Les couples qui habitent dans deux maisons séparées (et parfois dans des villes séparées) devraient réfléchir à dormir sous le même toit, a-t-il ajouté, précisant qu’il fallait plus que jamais être monogame. Sur une note plus ludique, le premier ministre a officiellement admis mardi la fée des dents sur la liste des travailleurs essentiels. Mais contrairement à l’Ontario, le lapin de Pâques attend toujours pour l’instant son autorisation pour travailler ce week-end au Québec.

— Hugo Pilon-Larose, La Presse

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