Voyage / Québec

Paysage exceptionnel à Rivière-Ouelle

En août 2021, le gouvernement du Québec a désigné Rivière-Ouelle paysage culturel patrimonial. La Presse s’y est rendue afin de comprendre pourquoi ce petit village du Bas-Saint-Laurent a été le premier, et toujours le seul, à recevoir une telle distinction.

Rivière-Ouelle — Rivière-Ouelle est un village d’à peine 1000 âmes dominé par les terres agricoles, qui a célébré cette année son 350e anniversaire. Si le cœur de la municipalité est traversé par la route 132, pour en découvrir le plus beau point de vue, il faut emprunter une route de campagne qui mène vers ce que les gens d’ici appellent « la pointe ».

Caché en contrebas derrière les crêtes rocheuses qui isolent le secteur se trouve un magnifique panorama. Pour s’y rendre, on emprunte la côte abrupte et sinueuse de la route du Quai, qui aboutit sur le chemin de l’Anse des Mercier, bordant le littoral du Saint-Laurent.

C’est en plein là, sur ce bout de terre compris entre la Pointe-aux-Orignaux et la Pointe-aux-Iroquois, que se trouve le premier paysage culturel patrimonial du Québec.

1 161 830 m2

Superficie du territoire désigné

Ce territoire serait unique pour diverses raisons. Il y a d’abord cette avancée de terre qui offre une vue ouverte et assez spectaculaire sur l’estuaire du fleuve.

« Les gens qui viennent ici tombent en amour avec ce paysage. »

— Louis-Georges Simard, maire de Rivière-Ouelle, lui-même résidant du secteur

La Pointe-aux-Originaux est d’ailleurs le lieu le plus rapproché de la rive nord de l’estuaire, après Québec, ce qui a fortement teinté l’histoire du village. Dès 1840, un quai en eau profonde se trouvait à Pointe-aux-Orignaux, servant à exporter des marchandises locales. Un service de traversier et un accès par voie ferrée furent ajoutés par la suite.

Grâce à tout cela, l’endroit devint un lieu de villégiature reconnu au début du XXe siècle – l’abbé Maurice Proulx, pionnier du cinéma documentaire au Québec, y avait établi ses quartiers. Si la villégiature demeure la vocation principale du secteur, de plus en plus de gens s’y installent à l’année, un phénomène sans doute accentué par la pandémie et le développement du Boisé de l’Anse, avec ses 40 nouveaux terrains en milieu forestier. Selon la municipalité, une quarantaine de nouveaux résidants permanents se sont ajoutés au courant de la dernière année.

Un savoir-faire ancestral unique

Cette situation géographique particulière explique aussi la présence importante d’anguilles à la Pointe-aux-Orignaux. On les pêche d’ailleurs dans le secteur depuis des siècles. Encore aujourd’hui, Rivière-Ouelle est un lieu-phare de cette pratique au Québec, transmise de génération en génération dans quelques familles fondatrices du village.

Parmi elles, la famille Hudon, qui pêche depuis 1769 à la Pointe-aux-Orignaux.

« Ça fait 253 ans cette année qu’on pêche l’anguille ici ! Jusqu’à 1864, toute la pointe était à nous autres, même la route du Quai. »

— Rémi Hudon, pêcheur d’anguille, neuvième génération de Hudon à perpétuer ce savoir-faire

Lorsque nous le rencontrons à la mi-août, l’homme de 41 ans, qui élève aussi un troupeau de plus de 600 chèvres laitières, en plus d’être président des Producteurs de lait de chèvre du Québec, ne chôme pas : la période de pêche à l’anguille, qui s’étend de septembre à novembre, est à nos portes.

Tout en nous expliquant le b.a.-ba de la pêche à l’anguille, Rémi Hudon s’affaire à planter à marée basse ses « piquets » avec son fils de 16 ans, Gabriel. Le pêcheur semble agir d’instinct, tellement son savoir-faire est ancré en lui. « Ce n’est pas une corvée pour moi ! », lance-t-il, visiblement dans son élément.

Avec deux autres pêcheurs à l’anguille du coin, il a d’ailleurs fondé en 2010 Les Trésors du fleuve, une entreprise de transformation de l’anguille qui produit de l’anguille fumée et des saucisses d’anguille. Avec son entreprise, il aimerait revaloriser et mieux faire connaître ce délice du Saint-Laurent. « Le Nord-Américain moyen ne mange que très peu d’anguille », remarque-t-il. Il espère que cette désignation aidera à la sauvegarde de cette activité emblématique de la région, alors qu’il ne reste qu’une dizaine de pêcheurs au Québec.

La quiétude comme marque de commerce

Très peu connu, ce coin de Rivière-Ouelle est apprécié des gens qui y séjournent pour son calme, son isolement et sa nature sauvage, loin des hordes de touristes qui assaillent l’été un village comme Kamouraska, situé à une quinzaine de minutes en voiture.

« Ici, c’est tranquille, c’est paisible. On ne veut pas se retrouver avec une abondance de touristes ni favoriser le développement commercial. La quiétude, c’est un notre marque de commerce », souligne le maire Simard.

« Ce qu’on entendait beaucoup dans les consultations publiques, c’est : “On ne veut pas faire de la pointe un Kamouraska” », fait écho Pierre Larocque, président du conseil d’administration de la Chapelle du quai, un OBNL situé à quelques pas du quai de Rivière-Ouelle.

Depuis 2017, la chapelle désacralisée accueille un café et un espace boutique permettant de découvrir des artistes et des artisans du coin. Des spectacles, conférences et activités y sont organisés durant la saison estivale.

Des produits uniques, comme un triptyque d’affiches signé Marlone représentant les plus beaux paysages de la pointe, ont aussi été créés pour l’organisme. Cette année, la Chapelle a aussi construit tout près de là un belvédère, permettant d’observer la faune ailée nombreuse qui s’y trouve.

D’abord pensé comme un centre communautaire, l’endroit est surtout fréquenté par les cyclistes de passage et les gens qui viennent respirer l’air salin au quai et sur la grève.

« C’est comme un petit bijou caché ici, et parfois on a l’impression qu’on veut le laisser comme ça aussi. »

— Isabelle Michaud, membre du conseil d’administration de la Chapelle du quai

Connue comme la parfumeuse derrière l’entreprise Monsillage, Mme Michaud vient passer ses étés dans le chalet familial du coin depuis sa tendre enfance et siège également au conseil d’administration de la Chapelle du quai. Elle a élaboré en 2019 le parfum Route du quai, un mariage d’effluves typiques du territoire inspiré par les souvenirs d’été de son enfance comme les herbes de mer, la rose sauvage, le bois de grève et le foin d’odeur.

« Kamouraska, c’est super beau, mais moi, personnellement, j’aime beaucoup mieux être ici. C’est plus tranquille. C’est pas qu’on n’aime pas le monde, mais je pense qu’on est capable de cohabiter dans le respect de la nature et de l’aspect sauvage du territoire », conclut Rémi Hudon.

Au fil de Rivière-Ouelle

Fondé en 2016 à Saint-Pacôme, Parcours Fil Rouge est un OBNL s’étant donné comme mission la mise en valeur de ce qui singularise les lieux et communautés. Son produit-phare est Circuit Fil Rouge, qui se déploie dans des municipalités de Kamouraska, dont Rivière-Ouelle, et à Charlevoix, et offre un circuit composé de grands panneaux d’interprétation, avec du contenu en baladodiffusion supplémentaire. Celui consacré à Rivière-Ouelle permet de découvrir, à travers une vingtaine de marqueurs, l’histoire du village, ses familles fondatrices, son patrimoine bâti et immatériel.

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