Société

Le toucher : un langage en soi

La distanciation physique nous prive de contacts physiques et, par le fait même, d’une partie de notre langage. Un câlin, une accolade, une tape dans le dos ou une simple poignée de main « parlent » sans mots. Comment nos gestes évolueront-ils dans ce contexte ?

Une façon de communiquer

Il est naturel de s’ennuyer de ce que nous n’avons plus, disent les spécialistes. D’autant plus que le toucher est essentiel à nos liens sociaux et même à la survie de l’espèce, particulièrement en début et en fin de vie, ou lorsqu’il n’y a pas – ou qu’il n’y a plus – d’autres portes pour révéler ses sentiments.

Le toucher permet de communiquer une gamme d’émotions et d’intentions : la joie, la tristesse, la fierté, la protection, la solidarité, la compassion, l’affection…, indique Gonzalo R. Quintana Zunino, professeur en sexologie et psychologie à l’Université Concordia et à l’Université de Tarapacá, au Chili.

« Tout comme le toilettage dans le règne animal, dit-il, le toucher, chez l’humain, dénote un niveau d’intimité, de proximité, de lien d’exclusivité. Il nous aide à comprendre ce que les autres ressentent pour nous dans l’instant. Comme toutes formes de contact physique, il est un moyen de communication auquel nous avons donné un sens. »

Dire je t’aime à une personne aura plus d’impact si ces paroles sont accompagnées de gestes d’amour et de considération. « Il y a vraiment quelque chose d’essentiel dans le contact physique, affirme la psychologue Ariane Lazaridès. En vieillissant, ce n’est plus notre développement qui en dépend, mais beaucoup d’informations continuent à se transmettre de cette façon. C’est une manière de communiquer entre nous qui passe plus directement que par les mots. »

Sentir pour se sentir

La lecture de notre environnement et des gens passe en grande partie par ce sens. Toucher veut dire être en contact par la peau, mais peut aussi signifier être ému, être touché à un niveau affectif et émotionnel, relève la psychologue Florence Vinit, professeure au département de psychologie de l’UQAM.

« D’un point psychologique, la communication de l’affection, de la compassion ou du soutien est directe avec le toucher. Quand quelqu’un est en détresse ou qu’il n’est pas en mesure d’analyser les mots et de les comprendre, le toucher est un sens qui reste disponible pour accéder directement au ressenti, indique celle qui a fait de ce sens l’objet de ses recherches doctorales et postdoctorales. Certains diront qu’on ne peut pas sentir sans se sentir. Ça nous met en relation dans un sens large, que ce soit avec l’autre ou ce qui nous entoure. C’est à la base de ce qui nous rend vivants. »

La mémoire dans la peau

Tous les types de toucher ne sont pas équivalents en termes de qualité. Le geste a une valeur, tout comme l’intention qui l’accompagne. « Il y a des façons d’être en contact qui peuvent nous faire sentir confirmé et reconnu comme personne, ou pas, indique la psychologue. On peut être touché de manière froide. Dans ce cas, on est plus dans une forme d’objectivation. On ne se sent pas en relation, mais utilisé, ce qui aura tout un impact sur l’estime de soi et le sentiment de sécurité. »

Ce que raconte un geste varie donc selon ce qu’il communique et l’histoire de chacun. La peau a sa propre « mémoire » et le pouvoir de réactualiser des souvenirs désirables ou non. Il n’est pas rare qu’en libérant des tensions par le massage, une porte s’ouvre sur des émotions douloureuses, observe d’ailleurs le masso-kinésithérapeute Alex Lewis.

Des bulles variables

Des chercheurs se sont postés dans des cafés pour étudier la gestuelle des couples partout dans le monde. Ils ont notamment pu observer que chez les peuples germaniques, on peut passer une heure avec l’être aimé sans avoir recours au toucher, alors qu’à Porto Rico, le contact tactile peut se produire 100 fois l’heure.

« On a tous un rapport à l’autre qui est culturellement teinté, souligne l’anthropologue Hélène Giguère. Ici, on a une bulle assez importante. Le toucher peut interpeller, déranger, plaire, aussi. [Ces sensibilités] se définissent notamment sur des bases culturelles et ça explique pourquoi [la distanciation de] deux mètres est plus facile à appliquer dans certaines cultures que d’autres. »

« Si on a été habitué à recevoir de l’affection par le toucher, on risque plus d’en [ressentir le] manque. Mais globalement, nous sommes tous des êtres de peau. »

— Florence Vinit, psychologue et professeure au département de psychologie de l’UQAM

Une part importante de la compréhension de notre environnement et des gens passe par le toucher. La pandémie nous conduit aux limites de nos capacités culturelles et personnelles à être distants. « Ça nous amènera peut-être à revisiter nos gestes, croit Hélène Giguère. On touchera l’autre quand on jugera que c’est vraiment nécessaire. Ce sera alors un geste d’acceptation de l’autre dans notre espace vital et dans notre mise en danger potentielle. La poignée de main sera-t-elle offerte avec plus de parcimonie ? Probablement. Elle ne scellera plus nécessairement un contrat, mais un “contrat” de confiance mutuelle. »

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