Révolution dans les menstruations
Génération ouverte
C’est à l’âge de 16 ans qu’Amélia Baril, étudiante en médecine à l’Université de Sherbrooke, a découvert la coupe menstruelle. « J’ai regardé beaucoup de vidéos sur l’internet pour choisir un modèle », se souvient la jeune femme. Pour sa génération – elle a aujourd’hui 20 ans –, c’est banal. « Dans mes amies proches, au moins cinq ont une coupe menstruelle, dit Amélia Baril. C’est plus pratique : on n’a pas besoin d’en avoir avec soi, comme pour les serviettes et les tampons. »
« La génération qui s’en vient est plus ouverte », observe Kate Bouchard, agente de recherche et de planification à l’Institut santé et société de l’UQAM. « Elle va normaliser les discussions sur les menstruations, normaliser le fait de laver sa coupe dans un lavabo de toilettes publiques. On s’en va dans cette direction-là. »
Enjeux de santé
Après avoir dénoncé la présence d’ingrédients nocifs dans les produits de beauté, on s’intéresse à la composition des... protections menstruelles. « Je peux vous nommer quelques produits chimiques qui sont dans les serviettes et tampons jetables, dit Kate Bouchard. On parle de phtalates, de bisphénol et de parabènes, qui sont des perturbateurs endocriniens et des cancérigènes connus. Dans les produits faits en coton, il y a souvent des résidus de pesticides. À cause du processus de blanchiment au chlore, il y a des traces de dioxine et de furane. »
Sans compter l’ajout de « parfum », un mot fourre-tout pour désigner différentes substances, sans les nommer. « C’est super pernicieux, parce que ça passe par les parois vaginales, qui sont extrêmement vascularisées », ajoute Kate Bouchard. L’Institut santé et société tient actuellement sur Instagram la campagne Ne jetons pas la serviette, pour sensibiliser aux effets néfastes des produits menstruels jetables.
Procter & Gamble, entreprise derrière les marques Tampax et Always, réfute tout problème. « Garantir que nos produits sont sûrs pour les millions de consommateurs qui les utilisent est à la base de tout ce que nous faisons », assure Joyce Law, du service des communications de Procter & Gamble Canada. L’entreprise se conforme aux exigences gouvernementales « et les dépasse », ajoute-t-elle. Santé Canada dit pour sa part veiller « à ce que les tampons vendus au Canada soient sûrs, efficaces et de grande qualité grâce aux exigences d'homologation, de fabrication et de suivi après-vente ».
Iniquité dénoncée
Autre enjeu : les produits menstruels ne sont pas abordables, selon la moitié des 2500 répondants à un sondage mené en octobre 2020 par le Réseau québécois d’action pour la santé des femmes (RQASF). Une boîte de 20 tampons Tampax ordinaires coûte 4,99 $. En ajoutant quelques serviettes, une femme dépense aisément 7 $ par cycle de 28 jours, soit 91 $ par année. La facture grimpe vite, sachant qu’une femme peut avoir ses règles pendant 40 ans... Les hommes n’ont pas à payer cette facture.
« Environ 20 % des répondantes ont déjà utilisé d’autres solutions, comme du papier de toilette ou des essuie-tout, parce qu’elles trouvaient les produits menstruels trop chers », dit Victoria Doudenkova, chargée du projet Campagne Rouge (sur les mythes et tabous autour des menstruations) au RQASF. En Colombie-Britannique, serviettes et tampons sont désormais offerts dans les toilettes des écoles publiques (comme le papier hygiénique et le savon pour se laver les mains !). L’Écosse a adopté une loi rendant les protections menstruelles gratuites pour les personnes en ayant besoin, ce qui est réclamé par divers groupes au Québec – dont la Commission-Jeunesse du Parti libéral. Ce printemps, Montréal « prépare un projet pilote de distribution de produits hygiéniques féminins dans les édifices municipaux », indique Fabienne Papin, relationniste à la Ville de Montréal.
Par ailleurs, des subventions pour l’achat de produits réutilisables sont proposées dans plusieurs villes et MRC du Québec. Par exemple, Prévost rembourse 50 % du coût d’une coupe menstruelle, de serviettes ou de culottes de menstruations lavables, jusqu’à concurrence de 100 $.
Impacts sur l’environnement
Une femme utilise de 12 000 à 15 000 protections menstruelles jetables dans sa vie, ce qui produit de 114 à 136 kg de déchets, selon une thèse présentée par Ann Borowski au Rochester Institute of Technology en 2001. La fabrication des serviettes et tampons est aussi dommageable pour l’environnement, puisqu’elle demande beaucoup d’eau, d’énergie et de matériaux divers (plastique, rayonne, etc.).
Une analyse du cycle de vie de trois produits – une serviette Maxi U de Kotex, un tampon U Click de Kotex et une coupe menstruelle DivaCup – a été publiée dans la revue Resources, Conservation and Recycling en 2019. Sa conclusion est limpide : utiliser la coupe menstruelle pendant un an entraîne des impacts environnementaux inférieurs à 1,5 % de ceux des produits jetables. À noter : il n’y avait pas de serviette lavable dans l’étude.
« Ma mère trouve que c’est un retour en arrière », observe Nathalie Ainsley, de l’Association québécoise zéro déchet, à propos de l’utilisation des protections réutilisables. « Non, c’est un pas en avant. Premièrement, les produits se sont beaucoup améliorés par rapport aux guenilles que ma mère mettait dans ses culottes. Deuxièmement, on a aujourd’hui des connaissances scientifiques qu’on n’avait pas, à l’époque, sur les conséquences sur notre santé et sur l’environnement. »
« On ne doit pas être dogmatiques, met en garde Victoria Doudenkova. Une femme itinérante qui n’a pas accès à l’eau courante, elle ne va pas pouvoir laver sa serviette réutilisable ou sa coupe. »
Inclure toutes les personnes menstruées
Öko Créations fabrique des serviettes hygiéniques en chanvre, qui diminuent, selon l’entreprise, les risques d’irritation et d’allergies. « Une solution pour celles et ceux d’entre nous qui souffrent de ces maux », affirme l’entreprise québécoise. Celles et ceux ? Oui, parce que des hommes trans peuvent être menstrués.
Marie Beaupré parle de « personnes qui ont des menstruations », pour toutes les inclure. « Pour moi, ce ne sont pas juste les femmes qui sont menstruées, vraiment pas, fait-elle valoir. J’ai une personne très près de moi, dans ma famille, qui est une femme transgenre. Elle n’a pas de menstruations, mais c’est un sujet super important pour moi. »
Le RQASF dit plutôt « les femmes et les personnes menstruées ». Victoria Doudenkova précise : « On essaie d’être inclusifs, on est sensibilisés à ces enjeux. Mais il y a toujours un dilemme : comment rendre visible une minorité sans occulter la majorité ? »
Un atelier en ligne sur la toxicité des produits menstruels jetables, organisé par le RQASF, aura lieu le 30 mars à 12 h 30.