L’information devrait-elle être un bien culturel ?

La récente annonce de la suppression de 547 postes chez TVA, tout comme les compressions pressenties à Radio-Canada, ont réanimé les conversations autour de C-18, la Loi concernant les plateformes de communication en ligne rendant disponible du contenu de nouvelles aux personnes se trouvant au Canada, qui entrera en vigueur en décembre 2023. Mais au-delà de C-18, quelle sortie de crise peut-on envisager ?

La disparition des nouvelles sur les réseaux sociaux

En vue de l’entrée en vigueur de C-18, il n’y a plus de contenus des médias canadiens et étrangers lorsque vous visitez Facebook et Instagram. Google laisse présager un blocage similaire avant les Fêtes. Depuis les dernières années, la perte de revenus attribuable aux modèles d’affaires des GAFAM est devenue synonyme de « crise des médias ».

Cette crise des médias n’a pas commencé hier : elle a débuté par le virage numérique et les premiers médias entièrement en ligne des années 1990. Depuis le vendredi noir de la radio au Québec en 1994, les médias ont tenté de revoir leurs modèles (articles et rapports en témoignent), mais le temps de faire tourner le bateau et il était trop tard. Les sites de réseautage sont devenus les lieux de ralliement des citoyens et leurs revenus proviennent à plus de 90 % de la publicité vendue.

L’information comme un bien finançable par la publicité

Dans cette optique, les médias se retrouvent en compétition avec les Big Tech pour des revenus publicitaires. Au Québec, il a résulté de cet angle « business » des transactions (Capitale Médias, Métro Média) peu transparentes. Au nom des bonnes affaires, les subventions de sauvetage des médias ont servi de leviers financiers. Une fois les coffres asséchés, on laisse les restes aux travailleurs de l’information qui récupèrent la mise en formant des OBNL.

Le numérique et le traitement de l’information

L’information vérifiée, gage de la crédibilité des médias, a souvent été malmenée dans ce contexte numérique. La publication en ligne qui permet de modifier un texte a écorché la perception par le public du processus de validation. La course à la primeur s’est emballée et avec la vélocité de Twitter, on a souvent des précautions requises en information.

Une économie de l’attention

La crainte que le public ne détourne son attention des nouvelles au profit des réseaux sociaux est devenue un moteur de changement. La recherche de LA stratégie numérique (dans certains cas par des ententes confidentielles avec Facebook) a occupé une grande partie de la réflexion. Dans l’économie de l’attention, les réseaux sociaux ont gagné, notre temps de cerveau leur est acquis.

En phase avec les réseaux sociaux, mais à quel prix ?

Facebook a poussé les organisations médiatiques à tout miser sur la vidéo, alors que les données métriques étaient volontairement faussées⁠1. Pour être dans le coup, le message Twitter a été érigé au rang de nouvelle. Certains médias ont même pris le parti de copier les sites de fausses nouvelles pour s’approcher du clickbaiting…

Les nouvelles moins consultées

Avant la pandémie, le Pew Research Center notait une baisse du nombre d’adultes qui suivaient les nouvelles. Le Pew Research Center2 traque cet indicateur depuis 2016 : le taux était alors au-dessus de 50 %. Depuis 2019, ce taux a baissé progressivement pour toucher 32 % en 2022. Axios3 a mesuré la consultation des nouvelles sur les réseaux sociaux et cette activité serait en baisse de 50 %.

La démocratie menacée

On peut critiquer C-18, noter des points qui auraient pu être formulés différemment, mais il demeure que les géants des technologies ont colonisé tout le web. Ils se sont substitués à l’espace public que sont les médias et qui permettait d’échanger et de penser la société. La démocratie a été passée à la moulinette avec l’affaire Cambridge Analytica et cela continue avec la manipulation des élections par des tactiques abusives de marketing.

La panacée de l’éducation aux médias

Il faut plus d’éducation citoyenne aux médias et c’est bien vrai. La littératie numérique permet de distinguer le vrai du faux dans l’information, d’être mieux outillé. Mais une fois ces distinctions bien apprises, est-ce que les citoyens reviendront en masse vers les médias ?

Repenser la valeur de l’information

Quelle valeur voulons-nous accorder à la production d’une information de qualité qui balisera les grands évènements politiques, comme celle des petits évènements de vie des citoyens ?

Il faut mener une réflexion collective pour non seulement repenser le financement de nos médias, mais aussi pour réfléchir aux injonctions de ces géants du numérique qui peuvent faire fi de nos lois, de nos principes de vie et de notre démocratie.

Nous suggérons un chantier sur la valeur symbolique de l’information et sur l’élaboration de principes et de normes journalistiques fondés sur le monde informationnel actuel.

L’information n’est pas un bien de consommation, fongible, qui peut être remplacé par la nouvelle source d’amusement du jour, mais un bien culturel⁠4, un outil de détermination pour cartographier notre histoire.

Un chantier pour sauver l’information

Comment résoudre la crise qui frappe l’industrie des médias ? Des enseignants et professeurs qui épaulent et préparent la prochaine génération de professionnels de l’information lancent un appel à une réflexion urgente pour trouver des solutions.

Passons à l’action pour l’avenir des médias

Depuis 1967, nous développons au cégep de Jonquière bon nombre de talents dans le domaine des médias. Des journalistes, des artistes en effets visuels, des animatrices et animateurs de radio, des spécialistes des communications : plusieurs professionnels de l’industrie passent par l’École supérieure en Art et technologie des médias (ATM).

Les récents bouleversements dans plusieurs entreprises médiatiques nous touchent particulièrement. Les annonces de coupes massives, notamment chez TVA ainsi que celles déplorées chez les Coops de l’information frappent durement les membres de la grande famille des médias, qu’ils soient des professionnels de l’information, des collègues, des diplômées et diplômés ou encore des partenaires.

Ces annonces malheureuses s’ajoutent à celles qui reviennent trop souvent depuis quelques années. C’est un fait : il y a une crise dans les médias.

L’information est malmenée. L’information en région s’effrite. La production médiatique au Québec souffre sans contredit d’un sous-financement. Cette situation affecte l’accès à une information de qualité dans toutes les régions et, ultimement, notre démocratie.

Cette crise des médias se dessine depuis quelques années. Les causes sont nombreuses, profondes et multifactorielles.

Depuis les derniers jours, plusieurs textes, articles et opinions ont circulé dans les médias traditionnels et sur les médias sociaux. Nous avons vu émerger une multitude de solutions, souvent innovantes, pour aider l’industrie.

Il est impératif de passer à l’action.

Comment devons-nous, comme industrie médiatique, évoluer tout en nous assurant que notre information et notre production médiatique en sortent grandes gagnantes, dans le souci du bien commun et de la santé démocratique ?

Nous souhaitons jouer un rôle fédérateur pour engager des discussions essentielles afin de faire changer les choses, pour le mieux, et ainsi pérenniser notre industrie médiatique et journalistique comme garante d’une information de qualité dans toutes les régions du Québec.

Nous prenons donc l’initiative de rassembler les acteurs concernés et intéressés à prendre part à une réflexion et à un échange constructif qui permettrait d’aborder les enjeux actuels, de dégager une vision et de trouver, ensemble, des pistes de solution afin de mettre en place des actions concrètes pour l’avenir de nos médias locaux et nationaux.

Il est temps de nous asseoir ensemble : diffuseurs, gouvernements, employés, syndicats, milieux de l’éducation et société civile.

Pourquoi ne pas tenir ces échanges en région, au Saguenay–Lac-Saint-Jean ? L’accès à une information de qualité demeure un enjeu et une priorité sociale.

Engageons-nous donc dans une réflexion et un échange constructif qui permettraient de mettre en place des actions concrètes pour l’avenir de nos médias locaux et nationaux.

Continuons de développer des idées, de travailler en collaboration, de nous soutenir afin d’orienter nos discussions à venir et de créer le moment charnière qui positionnera l’évolution de nos médias québécois comme pilier d’une société démocratique, et ce, pour plusieurs années encore.

Nous devons agir maintenant.

* Ce texte est cosigné par les enseignantes et les enseignants ainsi que par le personnel de soutien de l’École supérieure en ATM.

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