L’Ukraine résiste

Les troupes ukrainiennes, à l’image du président du pays, Volodymyr Zelensky, montrent une étonnante résilience face aux soldats russes. Mais l’armée de Vladimir Poutine n’a pas joué toutes ses cartes, ce qui laisse toujours craindre une hécatombe.

Combats musclés, Moscou s’impatiente

Contre toute attente, Kiev tient bon. Deux jours après leur entrée dans la capitale ukrainienne, les forces russes se heurtent à la résistance. Visé par un nouveau train de sanctions, Moscou perd patience. La Russie renforcera son offensive, a-t-elle averti samedi.

Une journée de plus s’est écoulée sans que Kiev tombe aux mains des Russes. Les missiles ont continué à pleuvoir sur la capitale ukrainienne samedi soir après une journée de combats opposant les forces russes et ukrainiennes. Mais l’Ukraine tient le coup. Sa résilience, à l’image de celle de son président, Volodymyr Zelensky, étonne. Et impatiente son homologue russe Vladimir Poutine, constatent des experts.

Après quatre jours d’affrontements musclés à travers le pays, l’homme fort du Kremlin apparaît « de plus en plus frustré » par la résistance ukrainienne, selon le Pentagone. La Russie a annoncé samedi que toutes les unités militaires avaient reçu l’ordre d’« élargir l’offensive dans toutes les directions ».

Plus de 50 % de la force militaire mobilisée par Moscou contre l’Ukraine serait maintenant engagée dans le pays, a estimé un haut responsable du département de la Défense des États-Unis ayant requis l’anonymat, cité par l’Agence France-Presse.

Le conflit armé a déjà fait 150 000 réfugiés dans les pays voisins, selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Du côté ukrainien, les autorités ont rapporté samedi 198 civils tués, dont trois enfants, depuis l’entrée des troupes russes à Kiev.

Cible principale de Moscou, Kiev a été atteint samedi au cœur par les troupes russes. Des combats ont eu lieu non loin de la place centrale de l’Indépendance et le long d’une artère principale. Les civils encore présents se terraient dans le métro, fuyant les frappes aériennes qui ont touché un immeuble résidentiel du sud-ouest de la ville, blessant au moins six personnes.

Mais les forces ukrainiennes n’ont pas capitulé. « Notre armée contrôle Kiev et les villes clés autour de la capitale », s’est félicité Volodymyr Zelensky, qui a juré de rester à Kiev. « Nous avons cassé [le plan de la Russie]. »

Des citoyens au front

« Je ne peux pas quitter Kiev, sinon je me sentirai comme un traître », souligne Mykola Skavronsky à La Presse. L’homme de 47 ans, qui habite la banlieue de Kiev, a convaincu sa femme et ses deux enfants de partir dans l’ouest du pays. Sans lui. Il restera derrière, prêt à prendre les armes. « Je vais défendre ma maison si quelqu’un essaie d’entrer. Je ne suis pas un soldat, mais je ferai ce qui est en mon pouvoir », lâche-t-il au bout du fil.

Comme de nombreux Ukrainiens, M. Skavronsky a répondu à l’appel de son président, qui a demandé vendredi à la population de se joindre aux forces ukrainiennes.

Moscou espérait une « opération militaire éclair », croit Michel Fortmann, professeur honoraire de science politique à l’Université de Montréal et chercheur au Centre d’études et de recherches internationales. Or, ses troupes se sont butées à une ferme riposte sur le terrain.

« Pour [Vladimir] Poutine, chaque jour de résistance est un jour où il perd. Il voulait gagner le plus rapidement possible avec le moins de pertes possible. […] Poutine a manqué son coup de poker. »

— Michel Fortmann, professeur honoraire de science politique à l’Université de Montréal

Anessa L. Kimball, professeure agrégée de science politique à l’Université Laval, croit aussi que Moscou a été pris de court par la réponse ukrainienne. « On a sous-estimé la résistance des civils. C’est quelque chose qui a choqué les Russes », affirme celle qui est aussi directrice du Centre sur la sécurité internationale à l’École supérieure des études internationales.

L’experte Ekaterina Piskunova, du département de science politique de l’Université de Montréal, n’est toutefois pas du même avis. Elle ne s’étonne pas du tout de la forte mobilisation civile en Ukraine, dont une large partie de la population, rappelle-t-elle, a formé « son identité nationale autour de cette adversité contre les Russes ».

« Mais je pense qu’il ne faut pas exagérer l’impact de la résistance ukrainienne. Je pense qu’on se tromperait en disant que la Russie y perd quelque chose, que les sanctions, la solidarité internationale auront un impact sur la position du Kremlin », nuance-t-elle.

La bataille pour le contrôle de Kiev se poursuivait dimanche matin, selon l’AFP, les sirènes d’alarme antiaérienne ayant de nouveau retenti dans la capitale au cours de la nuit.

Nouvelle salve de sanctions

Les pays occidentaux ont répliqué à la violence de l’intervention russe en adoptant une nouvelle salve de sanctions contre Moscou.

Plusieurs banques russes ont été exclues de la plateforme interbancaire Swift, ainsi coupées des marchés financiers internationaux (voir autre texte à l’écran 6).

« Le Canada soutient le retrait des banques russes de Swift, ainsi que le ciblage et la restriction du trésor de guerre de Poutine », a déclaré sur Twitter la vice-première ministre et ministre des Finances du Canada, Chrystia Freeland.

Les États-Unis, la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni et la Commission européenne ont aussi approuvé la mesure, soulignant « être disposés à prendre des mesures supplémentaires si la Russie ne met pas un terme à son attaque contre l’Ukraine et donc contre la paix en Europe ».

Selon l’Union européenne, environ 70 % du secteur bancaire russe est actuellement concerné par les sanctions.

Les partenaires occidentaux ont également décidé de restreindre davantage l’accès de la banque centrale russe aux marchés des capitaux, et d’en « paralyser les actifs » afin d’empêcher Moscou d’y recourir pour financer le conflit en Ukraine.

Les nouvelles sanctions vont aussi s’en prendre aux oligarques russes et à leurs familles pour les empêcher d’obtenir la nationalité de pays occidentaux, alors qu’un groupe de travail « traquera » leurs « yachts, jets, voitures de luxe et maisons de luxe ».

Soutien militaire renforcé

Dans un geste rare, l’Allemagne a accepté de livrer des armes à Kiev. La position officielle du pays, depuis la Seconde Guerre mondiale, est de ne pas fournir d’armes létales dans les zones de conflit.

Or, « l’agression russe contre l’Ukraine marque un changement d’époque, elle menace l’ordre établi depuis l’après-guerre », a justifié le chancelier Olaf Scholz dans un communiqué. « Dans cette situation, il est de notre devoir d’aider l’Ukraine autant que nous pouvons à se défendre contre l’armée d’invasion de Vladimir Poutine. »

Et de fait, Berlin a autorisé la livraison de 1400 lance-roquettes antichars, de 500 missiles sol-air Stinger et de neuf obusiers, a indiqué le gouvernement.

La France a renforcé son soutien militaire à l’Ukraine par la livraison additionnelle d’équipements de défense, dont les détails n’ont pas été précisés, tandis que Washington a annoncé une nouvelle aide militaire d’un montant de 350 millions de dollars.

De leur côté, les Pays-Bas ont annoncé leur intention de livrer « dès que possible » 200 missiles antiaériens Stinger, la République tchèque enverra des armes pour une valeur de 7,6 millions d’euros, et la Belgique fournira à Kiev 2000 mitrailleuses et 3800 tonnes de mazout.

— Avec l’Agence France-Presse, le New York Times et la collaboration de Florence Morin-Martel, La Presse

Guerre en Ukraine

À Kiev, les habitants se protègent des bombes sous terre

Kiev — « Maintenant ! », rugit un soldat ukrainien lorsque la sirène anti-bombardement commence à hurler. D’abord tétanisés, les quelques civils présents sur cette artère du centre de Kiev se mettent à courir à la recherche d’un abri.

Un homme surgit de derrière un immeuble pour les guider.

Non loin, la carcasse calcinée d’un camion militaire ukrainien, pulvérisé pendant la nuit par un tir de missile russe, rappelle que la sirène – largement ignorée aux premiers jours de l’offensive par les habitants – est désormais synonyme de danger de mort.

Peu avant, des militaires expliquaient à l’AFP que les forces russes présentes quelques kilomètres plus haut sur cette artère, l’avenue de la Victoire, tiraient à l’aveugle des salves de roquettes avec leurs redoutables systèmes Grad.

Le groupe s’engouffre dans un immeuble par une porte rouillée. Coup de chance, la bâtisse de l’époque soviétique comprend un abri souterrain.

À l’intérieur, une enfilade de pièces étroites à l’air saturé et éclairées par quelques ampoules qui pendent au plafond. Un vieil homme est endormi en chien de fusil sur un matelas de camping à même le sol.

Ioulia Snitko a passé la nuit cachée là, en priant pour la vie de son enfant à naître.

Enceinte de huit mois, avec son ventre bien visible sous ses vêtements, elle craint que tout nouveau bruit d’explosion ou de tirs ne la fasse accoucher prématurément, alors que des combats pour le contrôle d’une base militaire proche font rage.

« J’essaie de rester aussi calme que possible pour ne pas causer une naissance prématurée », confie à l’AFP cette femme âgée de 32 ans, qui dit avoir entendu d’« énormes explosions » pendant près d’une heure cette nuit.

« Lorsque j’ai réalisé ce qui se passait, je me suis mise à trembler, j’ai tremblé pendant cinq minutes », témoigne-t-elle.

À la cave, elle a descendu plusieurs cartons, un sac de couchage, un oreiller, son téléphone et un chargeur. La jeune femme ne croyait pas à ce scénario d’une guerre comme venue d’un autre temps et espère qu’il n’y en a que « pour quelques jours ».

« Tenir bon »

Sa voisine, Tatyana Filonemko, retraitée, s’est déjà préparée mentalement à ce qui attend les habitants de Kiev dans les jours à venir.

« Tout ce que les gens peuvent faire dans une guerre, c’est tenir bon, ne faire qu’un, se soutenir mutuellement. »

— Tatyana Filonemko

« C’est tout ce que nous pouvons faire », répète en boucle Mme Filonemko, qui espérait que sa génération serait celle qui « ne connaîtrait pas la guerre ».

Autour d’elle, les familles s’entassent sur des palettes ou de petits tabourets pour ne pas rester sur le sol glacé. Certains ont pensé à descendre des seaux pour faire leurs besoins, et chacun tente de s’aménager un petit coin.

Les parents occupent les enfants comme ils peuvent, avec des jeux vidéo sur le téléphone.

Depuis le sous-sol, le bruit des explosions reste audible au loin.

GARES prises d’assaut

Irina Boutiak, enseignante de 38 ans, a passé deux jours dans la cave de son appartement, réfugiée aux côtés d’une vingtaine d’autres personnes.

« Nous avons des billets de train pour l’ouest de l’Ukraine pour demain. Je ne pense pas qu’on arrivera à prendre le train », soupire-t-elle.

Les gares sont prises d’assaut. Les bus sont à l’arrêt à Kiev et les profondes stations du métro datant de l’époque soviétique ont été transformées en abris antiaériens.

« Nous resterons ici jusqu’à ce qu’on puisse atteindre la gare », dit Mme Boutiak, ayant toujours du mal à comprendre comment sa ville a pu plonger dans la violence.

« Nous pensions que quelque chose comme ça pouvait arriver, mais nous espérions jusqu’à la fin que ce ne serait pas le cas », souffle-t-elle.

« Nous espérions que le bon sens et la décence l’emporteraient. Eh bien, ce n’est pas le cas. »

La vie chamboulée d'un Beauceron en Ukraine

« C’est épouvantable, ce qui se passe »

« Je n’aurais jamais pensé vivre ça », souffle Sylvain Longchamps, originaire de Saint-Georges, en Beauce, qui réside dans l’ouest de l’Ukraine depuis une douzaine d’années. Au bout du fil, le consultant en production porcine dit avoir beaucoup d’admiration pour les Ukrainiens. Les citoyens sont « prêts à donner leur vie pour défendre leur pays », raconte ce témoin direct de l’« épouvantable » invasion de la Russie.

« On dirait que c’est dans leur sang, continue le Beauceron. C’est vraiment David contre Goliath, mais ils n’abandonnent pas. »

C’est le cas de l’épouse de M. Longchamps, Oksana Krompashchyk, qui refuse de partir. « Elle trouve ça très difficile, ce qui arrive à l’Ukraine, raconte le Beauceron. Elle aimerait essayer de faire quelque chose. » Le couple a donc décidé de rester dans le village où il habite, près de Lviv, à une cinquantaine de kilomètres de la Pologne. Du moins, pour l’instant.

« On a deux voitures et on a fait le plein d’essence. Nos valises sont prêtes, nous pouvons partir en cinq minutes si jamais ça se corse. »

— Sylvain Longchamps, habitant d’un village près de Lviv, en Ukraine

L’ouest du pays a jusqu’ici été peu touché par les attaques, rapporte Sylvain Longchamps, soulagé. Des bombardements se sont toutefois fait entendre jeudi matin dans la région. Le consultant était alors au téléphone avec un de ses adjoints en route vers un élevage porcin, près d’une base militaire. « Au moment où il passait, ça a éclaté », relate le Québécois. L’homme n’a heureusement pas été blessé, mais la « grosse explosion » a été un choc.

Le Québécois peine à croire ce qui arrive à l’Ukraine. Jusqu’à la dernière minute, dit-il, il a cru que Vladimir Poutine ne passerait pas à l’action. « C’est épouvantable, ce qui se passe. »

Files à la frontière et aux magasins d’armes

La frontière entre l’Ukraine et la Pologne a été le théâtre de scènes « chaotiques » ces derniers jours, relate M. Longchamps, qui habite à une soixantaine de kilomètres de là. Les habitants des zones les plus touchées par les attaques ont afflué. « Il y a eu des files de voitures pour traverser la frontière qui faisaient de 20 à 30 km », dit-il.

Malgré la situation, les Ukrainiens demeurent calmes, souligne M. Longchamps. « Mais les gens ont peur pour leurs enfants et leurs familles, dit-il. Ils essaient de les éloigner du danger. »

Si les files monstres se formaient auparavant devant les stations-service, on les voit désormais aux portes des armureries et des bureaux de recrutement militaire. « Il y a beaucoup de gens qui vont se proposer pour défendre leur pays, même s’ils n’ont pas encore été appelés », souligne le Beauceron. Ce dernier a vu des trentaines de personnes se masser devant ces endroits.

Mais de nombreux Ukrainiens ont déjà été appelés à se battre. C’est le cas de trois employés de l’entreprise pour laquelle M. Longchamps est consultant, qui ont dû partir tôt vendredi matin. « Quand ils vous disent que maintenant c’est votre tour, vous devez vous présenter immédiatement, relate-t-il. Ça va assez vite. » Depuis, le Beauceron est sans nouvelles d’eux. Et continuer de gérer les élevages porcins, dans un tel contexte, n’est pas une tâche facile, souligne-t-il.

Bruno Martin, un autre Québécois en Ukraine, raconte que les citoyens habitant à la campagne déferlent vers Kiev, pour défendre la capitale. « Ils n’ont que des carabines de chasse, alors qu’ils ont besoin d’armes lourdes », insiste-t-il, en parlant de fusils d’assaut. Le Canada doit envoyer des armes aux Ukrainiens, implore-t-il.

D’autres nouvelles TOUCHANT LE CANADA

Pablo Rodriguez préoccupé par la diffusion de la chaîne russe RT

Le gouvernement canadien a fait part samedi de ses « préoccupations » quant à la diffusion sur son territoire de la chaîne russe RT (ex-Russia Today), accusée par ses détracteurs d’être un porte-voix du Kremlin. Régulièrement accusée en Occident de contribuer à la désinformation, RT est dans le collimateur de plusieurs pays européens, d’autant plus depuis l’invasion de l’Ukraine par les troupes de Vladimir Poutine. « Je partage les préoccupations de nombreux Canadiens quant à la présence de Russia Today dans notre système de radiodiffusion », a déclaré sur Twitter le ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez. Alors que les appels se multiplient au Canada pour interdire la diffusion de cette chaîne de télévision russe, le ministre a assuré : « Nous explorons toutes les options. »

— Agence France-Presse

L’espace aérien canadien demeure ouvert aux Russes

L’espace aérien canadien demeure ouvert aux compagnies russes… pour l’instant. Plusieurs pays européens ont fermé le leur à la suite de l’invasion de l’Ukraine, mais le gouvernement fédéral préfère garder toutes les options sur la table. Le ministre fédéral des Transports, Omar Alghabra, a déclaré que son ministère surveillait attentivement la situation et collaborait avec les États-Unis et ses autres principaux alliés. La principale compagnie aérienne russe, Aeroflot, franchit plusieurs fois par jour l’espace aérien canadien pour ses vols aux États-Unis. Jeudi, le Royaume-Uni a suspendu le permis de la compagnie Aeroflot. La Pologne, la Bulgarie et la République tchèque ont fermé leur espace aérien aux avions de passagers russes. L’Estonie, la Lituanie et la Slovaquie ont annoncé samedi qu’ils emboîteraient le pas.

— La Presse Canadienne

Les Canadiens se montrent généreux pour l’Ukraine

Les Canadiens se montrent généreux pour appuyer l’Ukraine envahie par les troupes russes, mais des experts font remarquer qu’il vaut mieux faire ses devoirs avant de donner de l’argent. Selon le président-directeur général de l’organisme Imagine Canada, Bruce MacDonald, la crise actuelle fait ressortir la générosité des Canadiens. Toutefois, il est bon de faire une petite recherche avant de choisir un organisme qui sera digne de confiance et qui partage ses idées. Plusieurs organisations ont lancé leur propre campagne d’aide pour l’Ukraine. M. MacDonald dit qu’un site internet comme canadon.org peut aider les donateurs à trouver un organisme de bienfaisance qui correspondra à leurs intérêts.

— La Presse Canadienne

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