COVID-19

Gare à l’infection volontaire

Tentés d’attraper volontairement la COVID-19 pour sortir au plus vite du confinement ? Minute, mettent en garde les scientifiques. L’idée est probablement plus dangereuse qu’elle n’y paraît.

D’un côté, il y a les impatients qui ont hâte d’avoir la COVID-19 dans l’espoir d’être immunisés et de pouvoir reprendre leur vie normale. De l’autre, des gens suggèrent d’inoculer délibérément le virus à des groupes de volontaires en santé, sous supervision médicale, afin d’augmenter l’immunité collective. Et il y a la difficile question de savoir s’il est éthique d’infecter des volontaires pour accélérer le développement d’un vaccin.

Des propositions d’inoculer délibérément à des gens la COVID-19, Caroline Quach-Tranh en reçoit en tout cas plein sa boîte courriel.

« Il y a plein de gens qui m’écrivent, c’est complètement fou, je ne réponds même plus. Ils veulent infecter certains groupes de façon coordonnée ! », s’exclame la pédiatre, microbiologiste-infectiologue et épidémiologiste, responsable de l’unité de prévention et contrôle des infections au CHU Sainte-Justine.

Aux États-Unis, un dermatologue retraité a exposé en mars sur un site de droite nommé The Federalist un appel à l’inoculation volontaire supervisée qui a soulevé la controverse. Twitter, qui dit avoir renforcé ses contrôles pour empêcher la propagation d’informations contrevenant aux directives des autorités sanitaires, a réagi en bloquant temporairement le compte.

À première vue, l’idée n’est pas bête. 

Pourquoi attendre de contracter la COVID-19 si on peut l’avoir dès maintenant et régler le problème ? Dans les faits, tant les spécialistes de la santé que les éthiciens mettent en garde contre cette suggestion.

Premier pépin auquel se heurte l’idée : les bénéfices escomptés par de telles interventions demeurent complètement incertains dans la mesure où on ignore toujours quel niveau d’immunité est conféré par l’infection et combien de temps l’immunité en question est susceptible de durer.

« Si on se retrouve avec des gens qui pensent qu’ils ne peuvent transmettre la maladie et qui agissent en conséquence, mais qui la transmettent quand même, ça peut être dangereux », souligne Nicholas King, professeur de bioéthique à l’Université McGill.

Même si on en venait à montrer que l’infection volontaire protège bel et bien contre une réinfection, un acte d’infection délibéré soulève d’autres problèmes. Caroline Quach-Tranh voit très mal comment les autorités publiques pourraient infecter des gens à la COVID-19.

« Si on était convaincu que personne n’aurait de symptômes graves, oui. Mais imaginez que quelqu’un meure dans nos bras ! Tant qu’on n’a pas de traitement, on ne peut pas faire ça », tranche-t-elle.

Décision individuelle ou sociétale ?

Si l’idée de campagnes d’infections dirigées par l’État peut sembler extrême, une autre option est d’accepter que certains individus se mettent à risque de contracter la COVID-19. L’exemple des fameux « partys de varicelle », dans lesquels on mettait en contact des enfants afin qu’ils contractent la maladie et soient immunisés, vient à l’esprit. Mais il s’agit d’un « très mauvais exemple », selon Vardit Ravitsky, professeure de bioéthique rattachée à l’École de santé publique de l’Université de Montréal. Dans le cas de la varicelle, rappelle-t-elle, on sait que l’immunité acquise dure pour la vie et qu’il n’y a pas de risques majeurs en bas âge.

Le contexte de crise actuel fait en sorte que beaucoup de gens sont « désespérés de trouver une façon de s’en sortir » et sont plus susceptibles de vouloir prendre des risques inappropriés avec leur propre santé, observe Mme Ravistky, qui juge que ce serait « de la folie » pour un individu de vouloir se contaminer volontairement avec le nouveau coronavirus.

Nicholas King, de l’Université McGill, souligne quant à lui que la décision de se faire infecter, qui peut sembler à première vue individuelle, a des impacts sur la société. Un individu qui développe des problèmes à cause de la COVID-19 nécessite des soins, et les autorités tentent justement de contrôler l’affluence à l’hôpital pour éviter les débordements.

« Il y a aussi une question de justice sociale, dit-il. Les gens qui peuvent se payer un suivi médical ou qui sont plus en santé seraient en mesure de faire ça. Je m’inquiéterais que les gens marginalisés n’aient pas cette possibilité », dit-il.

Infecter pour la recherche ?

Dans un article publié dans The Journal of Infectious Diseases, des chercheurs des universités Havard et Rutgers ont proposé d’infecter des volontaires à la COVID-19 afin d’accélérer le développement d’un vaccin. Selon eux, avoir recours à des volontaires plutôt qu’attendre des infections parmi la population pourrait permettre de gagner « plusieurs mois » dans le développement du vaccin. Leur appel a trouvé écho : plus de 1500 personnes ont déjà manifesté leur intérêt sur un site appelé « 1 Day Sooner ». 

Jonathan Kimmelman, directeur de l’unité de bioéthique médicale à l’Université McGill, souligne que l’appel à des volontaires a déjà été employé pour des maladies comme la malaria, la grippe ou la dengue. « Ce genre d’essais peut être fait dans des conditions éthiques. Ce qui est différent, ici, est qu’on fait face à un virus qu’on connaît très peu, notamment en ce qui concerne les risques de complications et les séquelles possibles. Je pense qu’on repousse les frontières de ce qu’est un risque acceptable », dit-il. L’expert s’interroge aussi sur le recours à des volontaires alors que l’épidémie est en cours est qu’il est possible de recruter des personnes à risque d’infection parmi la population. 

On pourrait plaider que si nous sommes tous à risque de contracter la COVID-19, pourquoi ne pas le faire maintenant pour une bonne cause ? Ce risque de base fait certes partie de l’équation, dit le professeur Kimmelman. Mais l’expert souligne qu’attraper la maladie plus tard donne le temps à la science d’apporter des réponses et de développer des thérapies. Et qu’en cas de complications graves, les mois passés en santé avant l’infection ont une valeur.

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En bref

Des chercheurs exhortent Québec à dévoiler plus de données

Un groupe de chercheurs universitaires déplore un « manque criant de données sur la pandémie » à la veille du déconfinement et exhorte le gouvernement Legault à dévoiler les statistiques permettant, entre autres, de calculer le « surplus de mortalités » survenues au Québec par rapport aux années précédentes. « Actuellement, les projections du gouvernement québécois sont faites dans une boîte noire ; nous n’avons pas accès aux données brutes des calculs », regrette l’instigatrice du mouvement, Simona Bignami, professeure au département de démographie de l’Université de Montréal et cosignataire d’une lettre ouverte transmise à La Presse. « Par rapport à d’autres pays, il y a tout un ensemble de données qui nous manquent. La France, par exemple, donne presque en temps réel le profil démographique des personnes hospitalisées ou infectées. » La publication de l’âge et du sexe des personnes infectées et hospitalisées au Québec pour la COVID-19 permettrait aux scientifiques de savoir ce qui se passe « à l’extérieur des CHSLD », et comprendre comment la maladie « déborde » des centres d’accueil vers le personnel de la santé, puis dans la population, affirme Mme Bignami. 

— Tristan Péloquin, La Presse

Nouvelle méthode de détection du virus

Des chercheurs américains auraient mis au point une méthode de détection du coronavirus qui n’utilise pas les réactifs dont on rapporte parfois une pénurie. Cette technique « à sec », développée par des scientifiques de l’Université de Washington à Seattle, a permis de détecter la présence du virus dans 9 des 11 échantillons provenant de patients qu’on savait porteurs du SRAS-CoV-2. Les méthodes traditionnelles ont détecté le virus dans seulement huit échantillons. Les chercheurs croient que cette percée pourrait permettre une intensification des efforts de dépistage, notamment en permettant à la population de récolter elle-même les échantillons à analyser. 

— D’après La Presse canadienne

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