Baisse de la demande mondiale et du prix du pétrole

Trans Mountain n’est plus viable, disent une centaine d’économistes et d’experts

Ottawa — Devant la chute historique de la demande du pétrole à l’échelle mondiale, et la baisse des prix de l’or noir, le projet d’agrandissement de l’oléoduc Trans Mountain (TMX) est plus périlleux que jamais sur le plan financier pour les contribuables canadiens.

Un regroupement de plus d’une centaine d’économistes et d’experts en matière de ressources naturelles des quatre coins du pays exhorte le gouvernement Trudeau à carrément abandonner ce projet avant d’y engloutir davantage d’argent des contribuables. Cet argent, selon eux, devrait plutôt servir à accélérer la transition vers une économie plus verte, notamment en Alberta, principale province productrice de pétrole au Canada.

Dans une lettre qu’ils ont fait parvenir au premier ministre Justin Trudeau et à la ministre des Finances Chrystia Freeland, ces économistes et ces experts exigent qu’à tout le moins, Ottawa mette ce projet sur la glace et produise une étude démontrant sa viabilité économique.

La Presse a obtenu une copie de cette lettre, qui a été envoyée aussi au ministre de l’Environnement Jonathan Wilkinson et au ministre des Ressources naturelles Seamus O’Regan mercredi. La lettre doit être rendue publique jeudi.

« Nous sommes préoccupés par le fait que le déclin des marchés pétroliers mondiaux et l’escalade des coûts de construction ont sapé la viabilité de TMX et mis en péril l’argent des contribuables. »

— Extrait d’une lettre signée par une centaine d’économistes et d’experts en matière de ressources naturelles du Canada

« Votre gouvernement n’a pas fourni d’évaluation actualisée pour justifier cet investissement à la lumière des conditions qui se dégradent », soutiennent les signataires de la lettre.

« Nous vous invitons donc à retarder toute dépense supplémentaire relative au TMX jusqu’à ce qu’une nouvelle évaluation indépendante des coûts et des avantages soit réalisée afin de déterminer si TMX est financièrement viable et dans l’intérêt du public », ajoutent-ils.

Ces économistes et experts ont pris la plume alors que le gouvernement Trudeau compte tabler sur une « relance économique verte » dont la facture pourrait s’élever à plusieurs milliards de dollars.

Le gouvernement libéral minoritaire devrait présenter les grandes lignes de ses intentions à cet égard dans un discours du Trône prévu le 23 septembre.

Des signataires éminents

Parmi les signataires de la lettre, on retrouve notamment Richard Mueller, professeur d’économie à l’Université de Lethbridge, en Alberta, Mike Harcourt, ancien premier ministre de la Colombie-Britannique qui est aujourd’hui président des Quality Urban Energy Systems for Tomorrow, Philippe Crabbé, professeur à l’Université d’Ottawa et ancien économiste à l’Office national de l’énergie, Justin Leroux, professeur d’économie appliquée à HEC Montréal, Marc Eliesen, ancien PDG de BC Hydro, d’Hydro Ontario, de Manitoba Hydro et ancien sous-ministre de l’Énergie des provinces de l’Ontario et du Manitoba, ainsi que David Wheeler, directeur chez Sustainable Transitions et ancien conseiller à la Banque mondiale et d’autres institutions financières internationales, entre autres.

Le gouvernement Trudeau a décidé en mai 2018 de procéder à l’acquisition de l’oléoduc Trans Mountain, qui relie la ville d’Edmonton, en Alberta, à Burnaby, en Colombie-Britannique, pour la somme de 4,5 milliards de dollars de la société américaine Kinder Morgan. Celle-ci avait exprimé l’intention d’abandonner le projet d’agrandissement du pipeline en raison des batailles judicaires menées par la province de la Colombie-Britannique, des groupes autochtones et des groupes environnementalistes.

L’agrandissement de l’oléoduc doit permettre d’en tripler la capacité pour la faire passer de 300 000 barils par jour à quelque 900 000 barils. Les travaux de construction ont commencé l’automne dernier et devraient coûter 12,6 milliards de dollars. Le gouvernement Trudeau a l’intention de privatiser l’oléoduc une fois sa construction terminée.

Mais les signataires de la lettre soulignent que depuis l’achat de TMX par le gouvernement canadien, les marchés mondiaux du pétrole se sont considérablement affaiblis. De plus, l’Agence internationale de l’énergie a récemment conclu que la demande de pétrole devrait diminuer de 30 % au cours des deux prochaines décennies si les pays qui ont signé l’Accord de Paris sur les changements climatiques veulent respecter leurs engagements.

« Avant même que la COVID-19 ne déprécie les marchés pétroliers, le secteur privé avait signalé que le pétrole n’était plus un investissement judicieux à long terme dans un monde qui s’efforçait de lutter contre les changements climatiques. »

— Extrait de la lettre envoyée au gouvernement Trudeau

« Teck Resources a abandonné son projet de mine de sables bitumineux Frontier et selon Mark Carney, l’ancien directeur de la Banque du Canada et de la Banque d’Angleterre, jusqu’à la moitié des réserves pétrolières mondiales pourrait devenir des actifs échoués (stranded assets) », écrivent-ils.

Les économistes et les experts s’indignent aussi de voir que le coût du projet d’agrandissement a déjà plus que doublé pour atteindre 12,6 milliards de dollars depuis les premières estimations. « Les droits de péage approuvés par le régulateur canadien de l’énergie n’ont pas été ajustés pour couvrir ce coût en capital plus élevé. Les contribuables finiront donc par subventionner une grande partie des dépassements de coûts. »

Depuis que le gouvernement est devenu propriétaire de l’oléoduc, le premier ministre Justin Trudeau soutient que le projet est « dans l’intérêt national » et qu’il incombe à tout premier ministre de trouver de nouveaux débouchés pour les ressources naturelles.

De son côté, le premier ministre de l’Alberta, Jason Kenney, tient mordicus à la réalisation de ce projet, qui donnera de l’oxygène à l’économie de sa province, durement éprouvée par la chute des prix des matières premières depuis cinq ans.

Selon Pierre-Antoine Harvey, économiste à la Centrale des syndicats du Québec et aussi signataire de la lettre, le gouvernement Trudeau doit utiliser les fonds destinés à la construction de TMX pour investir dans les énergies vertes.

« Les circonstances ont changé de manière dramatique. Le marché du pétrole n’est plus le même qu’avant. Et les coûts du projet explosent. […] Ce projet ne sera pas rentable. […] Si on veut une transition écologique et juste, ce n’est pas un projet d’avenir », a-t-il dit à La Presse.

Le premier billet de 307,85 $ au monde…

Pour convaincre le gouvernement Trudeau de mettre l’accent sur « une relance verte » dans son discours du Trône qui sera présenté le 23 septembre, une coalition réunissant des groupes, des organismes et des collectifs de citoyens distribueront jeudi un nouveau billet vert au montant de 307,85 $. Ce geste vise à montrer qu’un investissement de 20 $ dans l’économie verte rapporte au bas mot 307,85 $ d’activité économique. La coalition s’appuie sur une étude réalisée par Ralph Torrie, de Corporate Knights, sur les retombées.

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