La Presse au 76e Festival de Cannes

Rien de trop beau pour les idoles

L’une des productions les plus attendues du festival est, en fait, une série destinée à une plateforme. Entourée d’un parfum de scandale et mettant en vedette Lily-Rose Depp et Abel The Weeknd Tesfaye, The Idol, sélectionnée hors compétition, ne possède qu’un atout faisant l’unanimité : la performance remarquable de son actrice.

À ceux qui poseraient peut-être la question, non, la sélection d’une série de prestige destinée à une plateforme n’est pas une première à Cannes. Irma Vep, d’Olivier Assayas, a été présentée sur la Croisette pas plus tard que l’an dernier. Il y a plus de 10 ans, ce même Assayas présentait ici Carlos, révélant du même coup Edgar Ramirez. Cela dit, jamais n’avait-on encore vu une série provoquer autant d’émoi chez les festivaliers. Précédée d’une rumeur sulfureuse, The Idol a eu droit à une projection de gala au Grand Théâtre Lumière.

Il est d’évidence difficile de porter un jugement définitif sur une série comptant six épisodes alors que seuls les deux premiers ont été présentés. Le fait est que The Idol, une réalisation de Sam Levinson (créateur de la série Euphoria), souligne un peu trop lourdement cette intention d’offrir une production audacieuse et provocante. Prenez Entourage, saupoudrez ça un peu 9 semaines ½ et de 50 nuances de Grey, et vous obtiendrez à peu près ce que les créateurs de cette série (Reza Fahim, Abel The Weeknd Tesfaye et Sam Levinson) ont tenté de faire. Avec, hélas, plus ou moins de bonheur.

Absence de complicité

Une seule certitude : Lily-Rose Depp offre ici une performance remarquable, dont la qualité est bien supérieure à celle de l’œuvre qu’elle doit défendre. La partie du récit se déroulant à l’intérieur de la garde rapprochée de Jocelyn (Lily-Rose Depp), une superstar de la musique pop qui prépare son retour sur scène après avoir dû se retirer pendant un an à cause d’une charge mentale trop lourde, est très bien menée. Mention à Jane Adams, impériale dans le rôle de la directrice du label pour lequel Jocelyn enregistre.

L’ennui, c’est que le récit se concentre davantage sur la rencontre fulgurante entre la chanteuse et Tedros (The Weeknd), un gérant de bar qui développera avec la vedette un lien charnel très fort. Lily-Rose Depp enflamme l’écran, Abel Tesfaye, pas tant. La complicité épidermique que ces deux êtres frappés d’un coup de foudre devraient en principe partager n’est pas du tout tangible à l’écran. Et puis, disons-le, The Weeknd n’est pas très bon comédien.

Au cours d’une conférence de presse tenue mardi, Abel Tesfaye, qui compare le personnage qu’il joue à Dracula, a expliqué que l’idée de cette série était au départ de proposer une fantaisie un peu tordue – et sombre – sur l’industrie de la musique.

« Le personnage de Jocelyn [Lily-Rose Depp] est un peu inspiré de mes propres expériences, à la différence que, contrairement à elle, j’ai eu la chance de prendre de bonnes décisions dans ma vie. »

« Ce qu’on décrit dans The Idol est un peu une vision différente de ce que j’aurais pu vivre si j’avais fait de mauvais choix. On a voulu créer quelque chose de spécial, d’amusant, qui peut en faire rire certains et en irriter d’autres. »

— Abel Tesfaye (The Weeknd )

Comportant plusieurs scènes de nudité (une séquence fait d’ailleurs écho à la fonction de coordonnateur d’intimité), The Idol reflète ainsi la sexualisation de la culture, que Sam Levinson attribue à un phénomène en particulier.

« Nous vivons dans un monde très sexualisé, particulièrement aux États-Unis, où la pornographie a maintenant une influence très importante dans la psyché des jeunes générations. Ça se reflète notamment dans le monde de la musique pop. »

« Jocelyn est une performeuse dans tous les aspects de sa vie, pas seulement sa vie professionnelle, a ajouté Lily-Rose Depp. Même la façon dont elle s’habille révèle quelque chose d’elle en permanence. La nudité occasionnelle du personnage fait aussi écho à sa transparence émotionnelle. »

De fausses rumeurs

À une question d’un journaliste qui lui rappelait le reportage du magazine Rolling Stone évoquant une production chaotique qui a fait face à de multiples problèmes, Sam Levinson a nié toutes les prétendues intrigues de coulisses.

« Quand ma femme m’a fait lire l’article, je l’ai regardée en lui disant : “Je crois qu’on a le plus gros show de l’été !” Nous sommes bien conscients que notre série est provocante. Mais ces allégations me sont complètement étrangères. Mon seul regret est qu’ils ont intentionnellement omis dans leur article toutes les choses qui ne cadraient pas avec l’histoire qu’ils avaient envie de raconter. »

Lily-Rose Depp a renchéri : « Il est toujours un peu triste et décourageant de lire des choses méchantes et fausses à propos de quelqu’un envers qui vous avez de l’affection. Cela ne reflétait pas mon expérience du tout. »

Quoi qu’il en soit, l’équipe fut longuement ovationnée lors de la projection officielle tenue lundi, et Sam Levinson, fils de Barry (Rain Man), en a été très ému.

« C’était comme l’un de mes plus grands rêves qui se réalisait. Quand j’avais 10 ans, je ne connaissais rien de Cannes, mais j’ai entendu que Pulp Fiction avait gagné la Palme d’or. Cela m’a frappé l’esprit, même si j’étais trop jeune pour avoir le droit de regarder le film de Tarantino. C’est grâce à Cannes que j’ai commencé à m’intéresser au cinéma français et au cinéma international. »

The Idol sera diffusée le 4 juin sur la chaîne HBO/Crave.

Asteroid City, de Wes Anderson 

Ça laisse un peu perplexe…

Campé en 1955 au fin fond du désert de l’Ouest américain, Asteroid City fait partie de ces films où le moindre petit rôle est joué par un acteur de renom. Plus réussi que The French Dispatch, le nouvel opus de Wes Anderson souffre quand même de cette volonté de faire appel à une trop imposante distribution. Ça laisse un peu perplexe, dans la mesure où, une fois de plus, on s’interroge à l’arrivée sur ce qu’on vient de voir. Avec son humour absurde, très pince-sans-rire, le réalisateur de Moonrise Kingdom nous entraîne dans une histoire où des enfants surdoués sont invités à Asteroid City, une bourgade désertique, pour présenter leurs inventions à une délégation de militaires et d’astronomes alors que des essais nucléaires ont lieu tout juste à côté. Toute cette partie se déroule dans un décor aux couleurs saturées, lequel relève presque de la bande dessinée. Parallèlement, on répète en noir et blanc une pièce de théâtre inspirée de ce qui se passe à Asteroid City. L’ensemble est bien sûr inventif, souvent impressionnant sur le plan de la composition des images, et ponctué de gags souterrains qui font sourire. Mais encore ? ai-je néanmoins eu envie de demander à la sortie.

Caiti Blues, de Justine Harbonnier

Portrait d’une artiste

Coproduction entre la France et le Québec, Caitin Blues est présenté dans le cadre de l’ACID (Association du cinéma indépendant pour sa diffusion), une section intégrée au Festival de Cannes, laquelle comporte une dizaine de productions internationales. Déjà montré aux festivals Visions du réel (Nyon) et Hot Docs (Toronto), ce film documentaire, réalisé par la Québécoise d’adoption Justine Harbonnier, dresse le portrait de Caiti Lord, une artiste talentueuse de près d’une trentaine d’années vivant à Madrid, au Nouveau-Mexique. L’intérêt du long métrage réside dans le parcours particulier d’une femme ne pouvant pas vraiment vivre de son art, mais qui, surtout, tente de se construire, malgré les écueils posés sur sa route. Se racontant au micro d’une émission qu’elle anime à la radio, se trouvant aussi une famille parmi celles et ceux qu’on considère comme des marginaux dans les milieux plus conservateurs, Caiti se révèle touchante, d’autant que la réalisatrice lui offre sa caméra attentive et bienveillante, en plus de mettre en valeur son talent d’artiste. En toile de fond de ce premier long métrage, un contexte politique particulier, celui des premières années de la présidence de Donald Trump.

Netflix met la main sur May December

Selon ce que rapportent les journaux spécialisés américains, Netflix aurait acquis les droits d’exploitation de May December pour la somme de 11 millions de dollars. La « comédie mélodramatique » de Todd Haynes, dont les têtes d’affiche sont Julianne Moore et Natalie Portman, est l’un des films favoris des festivaliers. Il raconte l’histoire d’une actrice qui rencontre la femme dont l’histoire d’amour avec un mineur il y a 20 ans a inspiré le drame biographique dans lequel elle s’apprête à jouer. Todd Haynes a par ailleurs profité de son passage à Cannes pour annoncer son prochain projet. Il s’agit d’une romance gaie campée dans les années 1930 dont Joaquin Phoenix sera la vedette. L’acteur a en outre insisté auprès du cinéaste pour une approche très franche, quitte à ce que le long métrage soit interdit aux moins de 17 ans aux États-Unis.

Anatomie d’une chute sortira au Québec

La société de distribution américaine Neon a acquis les droits d’exploitation d’Anatomie d’une chute, l’excellent film de Justine Triet, aussi en lice pour la Palme d’or. Selon Variety, le drame judiciaire a suscité l’enthousiasme des acheteurs depuis sa présentation dimanche. Bien qu’aucun chiffre n’ait été dévoilé, on indique que l’approche de Neon, qui a acquis les droits pour l’ensemble de l’Amérique du Nord, aurait été « agressive ». Mettant en vedette la remarquable Sandra Hüller, Swann Arlaud et Samuel Theis, ce drame judiciaire prend la forme d’une enquête passionnante sur les circonstances entourant la chute mortelle d’un homme qui s’est défenestré à l’étage supérieur du chalet d’hiver qu’il occupait non loin de Grenoble. Entract Films relaiera le film au Québec.

Un film sur les infox plutôt que sur les troubles alimentaires

Lors d’une conférence de presse tenue en marge de la présentation, en compétition officielle, de Club Zero, Jessica Hausner a déclaré que le propos de son long métrage – très troublant – dépassait le thème des troubles alimentaires. « C’est plus en relation avec quelque chose qui relève de la foi, a-t-elle déclaré. Il me semblait intéressant d’explorer comment se répand une idée sortie de nulle part. Les infox et les idées étranges qu’on peut trouver sur l’internet peuvent radicaliser des gens. » Dans Club Zero, Mia Wasikowska incarne une enseignante en nutrition dans une école privée qui entraîne ses élèves à manger le moins possible et les manipule à la manière d’une secte. Rappelons que le film précédent de la cinéaste autrichienne, Little Joe, a valu à Emily Beecham le prix d’interprétation féminine. De retour cette année au palmarès ?

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