Chronique

La construction à l’ère des drones

Jusqu’à dernièrement, la construction se résumait pour moi à un marteau, une scie et un niveau, essentiellement.

Mais je vois bien que les choses changent. Notamment quand j’ai aperçu une souffleuse de pierre concassée dans mon quartier pour remplir les pourtours des fondations d’un projet.

Pardon ? Oui, oui, une épandeuse d’agrégats – stone slinger, en anglais – en remplacement de trois hommes et de leurs brouettes. Qui souffle la garnotte, comme une souffleuse à neige. Le remplissage se fait beaucoup plus rapidement et sans mal de dos. Une merveille.

Ce n’est pas si nouveau, mais c’est encore peu utilisé sur la Rive-Sud de Montréal, me dit-on. Et ce n’est qu’un début, si l’on se fie au texte signé par 10 chercheurs de Polytechnique Montréal et de l’École de technologie supérieure dans la plus récente édition du Québec économique, qui porte sur la transformation numérique.

Des drones pour veiller au grain

Avant longtemps se répandront les drones pour suivre l’avancement des travaux des grands chantiers, y assurer la qualité et la sécurité et collecter de précieuses données. Le texte parle aussi de radio-identification pour localiser des matériaux sur un chantier, de matériaux « augmentés » autoréparants et de l’incontournable impression 3D pour fabriquer des pièces.

La pierre angulaire de ce qu’on appelle la construction 4.0 est toutefois bien plus proche de notre quotidien, mais encore trop peu utilisée par cette industrie traditionnelle : le partage de données d’un projet sur support numérique entre tous les acteurs (architecte, ingénieurs, fournisseurs, entrepreneurs, etc.).

L’adoption par tous de cette modélisation des données du bâtiment, connue sous l’acronyme BIM en anglais, est la clé de voûte de la construction 4.0. La gestion efficace des flux d’information technique est cruciale, selon les chercheurs.

L’industrie de la construction, faut-il savoir, a grand besoin de la technologie et du BIM pour avancer au rythme des autres industries, au Québec comme ailleurs. La productivité se chiffre à 46 $ par heure travaillée dans la construction, soit bien moins que dans le secteur manufacturier, par exemple (57 $).

Cette industrie noble, constatent les chercheurs, fait très peu de recherche-développement (0,08 % du PIB) comparativement aux autres industries, comme le secteur des services (0,8 %) ou manufacturier (4,2 %).

Et « bien que l’industrie québécoise participe au courant 4.0, elle reste en retard par rapport à sa contrepartie européenne et américaine », disent les chercheurs.

Entre autres, le taux d’adoption du fameux BIM n’est que de 31 % au Québec, selon un sondage de 2015. Il est plus répandu dans les firmes de génie-conseil (62 %), mais moins chez les architectes (41 %), les donneurs d’ouvrage (20 %) et les entrepreneurs généraux (12 %).

Des économies de 5 milliards

D’ici 2025, cette transformation numérique avec le BIM entraînera des économies de coûts de 13 % à 21 % lors des phases d’ingénierie et de construction et de 10 % à 17 % durant l’exploitation de l’ouvrage. Traduction pour le Québec, si l’industrie prend le virage : de 3 à 5 milliards d’économies par année !

Ceux qui ont goûté au BIM, notamment sur leurs bidules mobiles, parlent d’amélioration de la qualité et, surtout, de gros gain de temps.

L’adoption répandue du BIM et des autres technologies par l’industrie se heurte toutefois à des écueils. D’abord, la faible taille d’un grand nombre d’entreprises de l’industrie limite leur capacité à prendre le virage. Les coûts de transition rebutent.

Ensuite, les grandes différences entre chaque projet et le grand nombre d’intervenants rendent difficiles la standardisation et l’automatisation des procédés. Enfin, il y a bien sûr la résistance au changement dans cette industrie traditionnelle.

Il faudra bien s’y mettre si l’on veut suivre la parade. Pour ce faire, les chercheurs parlent de mesures incitatives pour briser l’inertie. Il doit aussi y avoir de la recherche et, bien entendu, une formation adéquate.

Enfin, il faut du leadership, de la détermination. Entre autres, les donneurs d’ouvrage, notamment ceux du secteur public, doivent montrer l’exemple en exigeant que leurs projets se fassent avec le BIM.

Ailleurs, on ne se contente plus de mesures incitatives, on exige. Par exemple, au Royaume-Uni et aux États-Unis, le BIM est obligatoire pour les projets publics. La France, la Finlande et Singapour sont, de leur côté, des chefs de file.

Sachant que l’industrie de la construction est un poids lourd de l’économie, avec 6 % du PIB et des milliards de dollars d’investissements annuels, le virage est important.

La Baie-James numérique dont parlait récemment Henri-Paul Rousseau pour la relance économique post-COVID-19, c’est beaucoup cela. Alors, on s’y met ?

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