De l’ado Aurélien à l’idole OrelSan

Son personnage de Jimmy Punchline se « branle » peut-être des Victoires de la musique, principales récompenses de l’industrie en France, mais n’allez pas croire que le rappeur OrelSan boude son plaisir. La Presse lui a parlé au lendemain de son triomphe à la Seine musicale, le 11 février, où il a empoigné trois statuettes sur une possibilité de quatre, dont celle de l’artiste masculin de l’année.

Aucune excitation dans le ton, aucune prétention dans le propos : le haut-parleur de notre téléphone renvoie le même Aurélien Cotentin flegmatique qui apparaît 20 ans plus tôt dans son appartement paumé de Caen, en Normandie, dans la série documentaire Montre jamais ça à personne.

« Ça fait plaisir », nous rassure rapidement le rappeur OrelSan à propos de son triomphe, la veille, aux Victoires de la musique, les prix musicaux les plus convoités dans l’Europe francophone.

L’adjectif « gagnant » jouxte son nom dans trois des quatre catégories où il était en lice : interprète masculin, chanson de l’année pour le brûlot L’odeur de l’essence et « création audiovisuelle » grâce au docu tourné par son frangin journaliste, Clément Cotentin. Seul le trophée d’album de l’année lui a échappé au profit de Clara Luciani.

« Je prends tout avec des pincettes, précise le rappeur de 39 ans, que l’on devine au volant de sa voiture. C’est tellement fou ce qui s’est passé avec l’album et le documentaire. Je suis vraiment passé du gars qui écrivait dans sa chambre avec ses potes – après, ça a mis 20 ans – à maintenant, où tout ce qu’on fait a un impact. »

Un impact ? Civilisation, quatrième album studio paru le 19 novembre 2021, s’est écoulé à quelque 140 000 exemplaires en moins d’une semaine, du jamais vu dans l’Hexagone. Il a depuis franchi la barre des 400 000 ventes et continue de progresser, si bien qu’OrelSan est en voie d’obtenir le disque de diamant le plus rapide du rap français.

« Comme un sociologue »

L’extrait L’odeur de l’essence, avec ses 15 millions de vues sur YouTube, a agi comme un accélérateur. « On s’bat pour être à l’avant dans un avion qui va droit vers le crash », prophétise OrelSan dans ce pamphlet social de haut vol.

L’allumeur ne s’attendait pas à une telle détonation. « C’est un morceau qui n’a pas un format radio, qui n’a pas spécialement de refrain, qui est assez dense. J’ai été hyper surpris par autant de réactions ; les gens ont pris le morceau comme quelque chose de très politique. »

Dans ce qui deviendra la chanson de l’année, OrelSan « dépeint la société comme un sociologue », s’est même incliné le président de la République française – et critique musicale de fortune – Emmanuel Macron.

« Je ne me vois pas comme un scientifique, mais plus comme un artiste qui tente de dépeindre un climat général », nuance Aurélien Cotentin, de son vrai nom.

« J’ai toujours essayé d’être assez clair sur ce point : je me vois vraiment comme un auteur. On dépeint un climat, des personnages, mais ça reste de la fiction. »

– OrelSan

Ces bons mots du chef des armées – qui, encore une fois, « font plaisir » – éloignent davantage OrelSan de l’époque où il était conspué par la classe politique et certains groupes féministes. En 2009, le Parti socialiste, pour lequel militait Macron à l’époque, condamnait le succès parodique Saint-Valentin, « un texte scandaleux aux propos odieux qui incitent directement à la violence » envers les femmes. La chanson avait été diffusée deux ans plus tôt, alors qu’OrelSan faisait flèche de tout bois sur MySpace.

Le rappeur, qui se dit « féministe », l’a toujours répété : il écrit souvent de la « pure fiction », avec sa galerie de personnages plus ou moins respectables. « Quand je fais un morceau comme Jour meilleur [premier extrait radio au Québec], sur la dépression, le sujet ne prête pas à la provoc. Il s’agit juste de faire une belle chanson. Sur d’autres morceaux, avec des personnages, un ton plus rigolo, il va falloir être un peu plus piquant. Ce sont des choix. Des trucs sont parfois mal interprétés et on est obligé de faire avec… tant que je suis à peu près à l’aise dans mes baskets et que je sais ce que j’écris. »

Si Civilisation ne contient aucune trace de misogynie, l’attention, encore une fois, a vite glissé en dehors du cadre musical. Cette fois, c’est l’association Routes Nomades, pont culturel entre la France et la Mongolie, qui a accusé OrelSan pour son usage « raciste et discriminatoire » du terme « mongol ».

À la fois chanteur populaire et rappeur sans filtre, a-t-il l’impression d’avancer en terrain miné ? « C’est difficile, mais ça fait partie du travail d’auteur de savoir choisir, de savoir peser le pour et le contre. J’essaie de me situer par rapport à l’histoire, à moi, à ce que j’ai envie de faire. C’est toujours un fin équilibre. »

« C’est pour ça que le problème quand on va en médias – et c’est pour ça que je n’en fais pas beaucoup –, c’est que, des fois, je n’ai pas de meilleures explications que mes chansons. Écoutez mes morceaux et interprétez comme vous le pouvez.  »

– OrelSan

Dans Civilisation, OrelSan se permet pour la première fois d’aborder de front des thèmes sérieux comme la crise environnementale, les injustices économiques, le climat social ou encore l’immigration. « Le fait d’être un artiste connu, on sent une part de responsabilité. Si j’avais esquivé tout ça, ç’aurait été choisir la facilité. »

L’avenir est sombre, si l’on en croit les contours tracés par OrelSan dans l’album, à commencer par la pièce-titre. « J’essaie d’avoir un enfant, j’essaie d’avoir autre chose que des regrets/Quand il verra 2022, j’comprendrai qu’il s’mette à pleurer/Ils disent que tout va s’effondrer, qu’on va y passer dans trois degrés. »

« En avançant dans la vie, en voyant des potes qui ont des enfants, mon frère qui a des enfants, on se pose beaucoup plus de questions sur le futur, note OrelSan. On devient forcément plus responsable, même s’il y a toujours une part de moi qui aimerait bien être un gamin de 16 ans irresponsable toute sa vie. »

C’est beaucoup cette jeunesse insouciante qu’immortalisent le réalisateur Christophe Offenstein et le journaliste Clément Cotentin, petit frère d’OrelSan qui a accumulé deux décennies d’archives, dans Montre jamais ça à personne, série documentaire de Prime Video à la fois instructive et rigolote.

Le rappeur en construction y apparaît naïf et acharné, entre deux quarts de nuit dans un hôtel caennais. On retient surtout cet appartement miteux de Caen, où prend naissance la connivence créative entre OrelSan et ses potes musiciens Gringe – avec qui il forme les Casseurs Flowters –, Ablaye et Skread, deux producteurs qu’il n’a jamais lâchés.

« C’était une époque qui était fun, mais qui est passée. Il y a forcément toujours une petite part de nostalgie, mais j’aime bien que les choses avancent. Je n’ai pas envie de rester bloqué dans le même personnage. »

Sous le personnage, Aurélien Cotentin, lui, semble intact. Malgré les récompenses et les records, aucune excitation dans le ton, aucune prétention dans le propos. Pour les journalistes aussi, « ça fait plaisir ».

OrelSan sur…

Le coup d’éclat de Stromae à TF1 :

« J’ai trouvé ça archi bien, j’ai trouvé ça fou. Je me suis dit qu’il n’y a que lui qui pouvait faire ça. C’est hyper bien interprété, la chanson est mortelle, il y a de l’émotion, et en même temps, c’est un happening. Moi, c’est vraiment tout ce que j’aime. »

Montréal, où il doit bientôt s’arrêter :

« J’ai toujours aimé venir, depuis la première fois aux Francos en 2012. C’est vrai qu’on a un public grandissant là-bas et on aime bien créer un lien avec lui. Je viens que tous les trois ou quatre ans. Chaque fois, c’est un rendez-vous, c’est comme revoir des amis qu’on ne voit pas souvent. Je suis bien fan de Montréal et j’aimerais bien avoir plus de temps pour passer du temps là-bas. »

Sur l’influence de la chanson :

« Je n’ai pas du tout peur des puristes, même s’il y a toujours un petit moment où tu te dis, bon, ce serait bien de refaire un gros morceau pur rap. J’essaie d’allier les deux. J’aime bien évoluer, changer, mûrir, tester autre chose. J’ai des goûts hyper éclectiques. J’écoute presque plus de musique chantée que de musique rappée. L’inspi est là aussi, quoi. »

Sur les dangers du succès :

« Je fais toujours passer l’artistique en premier, et je crois que c’est ça qui fait qu’au final, je garde une espèce de ligne directrice. Je ne fais pas de la musique pour être connu ou pour gagner des trophées, même si c’est très agréable quand ça arrive. Le moteur principal reste de faire des œuvres artistiques. »

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