Des airs de guerre de position

Québec se dit prêt à hausser ses offres salariales contre plus de pouvoirs, mais les syndicats persistent et signent : ces propositions sont insuffisantes et signifieraient même un recul. Et alors que toutes les écoles publiques seront fermées ce vendredi, des établissements scolaires cherchent toujours à pourvoir des postes d’enseignants.

Québec prêt à bonifier les salaires contre plus de pouvoirs

Québec — Au lendemain du rejet de sa nouvelle offre salariale, le premier ministre François Legault se dit prêt à ouvrir davantage ses goussets en échange de « pouvoirs » de gestion supplémentaires. Ce serait un retour au « favoritisme » dans les milieux de travail, réplique le Front commun dont les 420 000 membres sont en grève ce vendredi jusqu’au 14 décembre.

« Il veut dans le fond gérer tout seul, et ça, c’est dangereux », a soutenu la présidente de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ), Magali Picard, lors d’une conférence de presse jeudi en compagnie des autres leaders syndicaux du Front commun (qui regroupe la CSN, la FTQ, la CSQ et l’APTS).

La « flexibilité » que le premier ministre réclame, « c’est arracher des pages [des] conventions collectives et aller chercher plus de droits de gérance ».

« Regardez comment ça fonctionne présentement, si [le gouvernement a] plus de pouvoirs, ça va aller encore plus mal. »

— François Enault, vice-président de la CSN

Le Front commun reconnaît néanmoins que « le statu quo n’est pas possible ». Mais le gouvernement ignore depuis deux semaines les propositions syndicales « pour essayer de trouver des solutions au problème de flexibilité dont [il] parle », a ajouté le vice-président de la Confédération des syndicats nationaux (CSN), François Enault. Il n’a pas voulu préciser quelles sont ces propositions.

Le Front commun déplore également que les négociations à certaines tables sectorielles, où l’on discute des conditions de travail, avancent peu.

La « rigidité » des conventions dénoncée par Legault

Pour François Legault, les demandes patronales pour mettre fin à la « rigidité » des conventions collectives sont incontournables. Il en va selon lui de « l’avenir des réseaux de la santé et de l’éducation ».

Le manque d’amélioration des services dans ces deux secteurs est d’ailleurs le principal motif d’insatisfaction de l’électorat envers le gouvernement Legault, selon un sondage Léger.

« On est très ouverts sur le monétaire. Je m’attends à ce qu’on s’entende sur les augmentations de salaire. »

— François Legault, premier ministre du Québec

« Là où c’est difficile, c’est qu’il y a beaucoup de résistance du côté des syndicats pour nous donner les pouvoirs normaux de gestionnaires qu’on doit avoir dans une organisation qui est efficace », a soutenu François Legault lors d’une mêlée de presse jeudi, avant la période des questions au Salon bleu et environ une heure avant la sortie du Front commun.

Mercredi, le gouvernement a déposé une nouvelle offre salariale aux 600 000 employés de l’État. Le Front commun et les autres syndicats l’ont rejetée aussitôt, jugeant insuffisantes les hausses salariales de 12,7 % en cinq ans. « Ce serait un drame si on acceptait cette offre », a lancé Magali Picard, rappelant les difficultés actuelles pour attirer et retenir la main-d’œuvre.

Les chefs syndicaux refusent de dire les compromis qu’ils sont prêts à faire au sujet de leur demande salariale d’environ 23 % en trois ans. Ils sont prêts à accepter des contrats de travail d’une plus longue durée, quatre ou cinq ans.

Moins de 24 heures après le dépôt de sa nouvelle offre salariale, le premier ministre se dit prêt à la bonifier. « C’est tellement important pour moi d’améliorer les services en santé et en éducation qu’on est ouverts à d’autres compromis » sur les salaires, a dit François Legault. Du reste, la nouvelle offre salariale n’a pas été qualifiée de finale par Québec.

« Depuis des dizaines d’années, on n’arrive pas à améliorer les services en éducation et en santé beaucoup à cause de la rigidité des conventions collectives », a-t-il affirmé. Il a soutenu qu’un syndicat peut bloquer une entente sur un horaire de travail convenue entre un gestionnaire et un employé.

« Ce n’est pas normal que notre réseau soit géré par des syndicats plutôt que par des gestionnaires. »

— François Legault, premier ministre du Québec

« C’est ça qui est au cœur des négociations. Ça va prendre du courage parce qu’effectivement, les syndicats n’ont jamais cédé depuis des dizaines d’années ces pouvoirs-là », a ajouté le premier ministre.

Selon lui, si les syndicats acceptent la demande, les gestionnaires obtiendront de nouveaux pouvoirs, mais ils deviendront en contrepartie « imputables sur les résultats » avec les réformes des ministres Christian Dubé et Bernard Drainville.

« Si on obtient ça, et moi, je suis déterminé à obtenir les deux, on va être capables d’améliorer enfin les services en santé et en éducation », a-t-il affirmé. Le recours au bâillon plane pour faire adopter la réforme Dubé, le projet de loi 15. Le texte législatif du ministre Bernard Drainville, le projet de loi 23, a été adopté jeudi.

Un retour en arrière, dénoncent les syndicats

Selon le Front commun, la demande de François Legault ferait en sorte que le Québec retournerait à l’époque où les gestionnaires décidaient de façon arbitraire qui aurait les meilleurs horaires.

« À partir du moment où on enlève toute responsabilité aux exécutifs syndicaux de s’assurer que les décisions qui sont prises sont équitables, respectables, justifiées, on tombe dans des vieux patterns d’il y a 40 ou 50 ans, et on ne veut absolument pas ça. »

— Magali Picard, présidente de la FTQ

Lors de la présentation de sa mise à jour économique, le ministre des Finances, Eric Girard, disait que le gouvernement n’a pas de marge de manœuvre et que « toute dépense supplémentaire va nécessiter des emprunts ». Or, François Legault a indiqué que la nouvelle offre globale, qui représente une dépense supplémentaire de 1 milliard de dollars par année à terme par rapport à la proposition précédente, s’inscrit « à l’intérieur du cadre financier » du gouvernement. Une autre offre plus généreuse augmentera encore davantage les dépenses de l’État.

La Fédération autonome de l’enseignement (FAE) poursuit sa grève générale illimitée en cours depuis le 23 novembre. La Fédération interprofessionnelle de la santé (FIQ) va débrayer du 11 au 14 décembre. Le Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ), dont des membres travaillent dans 10 cégeps, fera la grève du 13 au 15 décembre.

Si la grève du front commun a lieu comme prévu jusqu’au 14 décembre et qu’il n’y a pas une entente, « ce sera la plus longue grève au Québec dans le secteur public que l’on aura connue depuis 50 ans », a souligné Dalia Gesualdi-Fecteau, professeure à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal, dans un webinaire organisé par le Centre de recherche interuniversitaire sur la mondialisation et le travail (CRIMT) jeudi.

Écoles fermées cherchent profs

Ce qu’il faut savoir

Même en période de grève dans le secteur public, des centres de services scolaires affichent des offres pour trouver des enseignants en vue d’un prochain retour en classe.

Selon le dernier bilan du ministère de l’Éducation, il manquait 934 enseignants au Québec en date du 20 novembre.

Selon des intervenants du milieu, grève ou pas, il est difficile de trouver des candidats au poste d’enseignant.

Toutes les écoles publiques de la province sont fermées ce vendredi en raison des grèves. Pendant ce temps, des centres de services scolaires publient des offres d’emploi pour tenter de trouver des enseignants.

Au centre de services scolaire des Draveurs, par exemple, on cherche en ce moment une dizaine d’« enseignant(e)s passionné(e)s » pour combler plusieurs tâches à temps complet dans des classes du primaire (1re, 2e, 5e et 6e année, notamment), mais aussi au secondaire.

Un scénario qui n’est pas exclusif à l’Outaouais et se répète un peu partout au Québec. Selon les dernières données du ministère de l’Éducation, il y avait, le 20 novembre dernier, 934 postes d’enseignants à pourvoir. Plus de la moitié était à temps complet.

Chercher du personnel en temps de grève est une « stratégie peu appropriée », selon Mélanie Laroche, professeure à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal.

« C’est sûr que ça envoie un message qui est peut-être heurtant pour des grévistes. Mais en même temps, il y a des besoins opérationnels, probablement. »

— Mélanie Laroche, professeure à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal

Mme Laroche participait, jeudi, à un webinaire sur les négociations dans le secteur public organisé par le Centre de recherche interuniversitaire sur la mondialisation et le travail (CRIMT).

Au centre de services scolaire des Draveurs, on indique que les offres publiées cette semaine « ne résultent pas de départs dus à la grève ».

« Elles sont plutôt une réponse aux besoins normaux […] à ce moment-ci de l’année scolaire », écrit sa porte-parole Andréanne Desforges.

Elle précise que « les personnes embauchées pendant les moyens de pression actuels reçoivent une promesse d’embauche pour la fin du conflit ».

La Fédération des centres de services scolaires du Québec explique elle aussi qu’un candidat « peut être embauché sur-le-champ, et ce, même en temps de conflit, mais il entrera en fonction après la grève ou à une date ultérieure convenue avec son employeur ».

Le président de la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement (FQDE), Nicolas Prévost, dit lui aussi que la grève n’empêche pas d’embaucher des enseignants.

« Il y a toujours un délai avant [qu’un enseignant] ne paie sa cotisation syndicale, le temps de mettre la mécanique administrative en place, mais les centres de services vont jouer de prudence : il ne faudrait pas mettre un nouvel enseignant en porte-à-faux avec ses futurs collègues », souligne Nicolas Prévost.

Un défi constant, grève ou pas

La recherche d’enseignants en période de grève est-elle plus ardue ?

Parmi les quelques centres de services auxquels nous avons posé la question, seul celui des Draveurs nous a répondu qu’il était « pour l’instant » difficile de se prononcer sur le sujet. « À première vue, ça ne semble cependant pas le cas », ajoute Andréanne Desforges.

À la Fédération des centres de services scolaires du Québec, on nous répond qu’en « contexte de pénurie de main-d’œuvre, le recrutement représente un défi constant tout au long de l’année, avec ou sans grève ».

C’est aussi l’avis de Nicolas Prévost, qui dit que, grève ou pas, il serait « surpris » que les candidats affluent à la suite de ces publications d’offres d’emploi.

« Il n’y a plus personne qui répond à l’appel. On avait déjà remarqué avant la grève qu’il n’y avait plus personne qui est intéressé. C’était commencé bien avant. »

— Nicolas Prévost, président de la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement

Bien des annonces ont été faites dans les dernières années pour tenter d’attirer de nouveaux candidats dans les écoles. Par exemple, des incitations financières ont été offertes par Québec aux retraités de l’enseignement et on invite ceux qui ne détiennent pas de brevet à envoyer leur candidature pour des postes généralement réservés à des enseignants qualifiés.

Professeure au département de gestion des ressources humaines de l’Université du Québec à Trois-Rivières, Chloé Fortin-Bergeron a elle aussi participé au webinaire du CRIMT. Elle estime que ce sont les conditions de travail qui nuisent au recrutement.

« Le gouvernement veut ouvrir des postes d’enseignant, ça fait partie de ses offres […], mais si les gens ne postulent pas sur ces postes, qu’est-ce que ça donne ? », demande-t-elle.

Le « désengagement envers la profession enseignante » est au « plus profond », estime-t-elle aussi.

De son côté, Nicolas Prévost observe que la pénurie « s’accentue de semaine en semaine ».

— Avec Ariane Krol, La Presse

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