Plainte pour fraude

Perquisitions au Conseil mohawk de Kanesatake

La Sûreté du Québec a mené jeudi des perquisitions dans les bureaux du Conseil mohawk de Kanesatake ainsi qu’au Centre de santé communautaire de ce territoire autochtone, à la suite d’une plainte pour fraude concernant un fonds d’aide de près de 5 millions attribué par Services aux Autochtones Canada durant la pandémie de COVID-19.

Le Conseil mohawk de Kanesatake a publié sur les réseaux sociaux un billet précisant que les enquêteurs de la Division des enquêtes sur les crimes économiques avaient annoncé leur présence, et qu’il collaborait avec les forces de l’ordre.

Le Centre de santé communautaire de Kanesatake a indiqué qu’il s’agissait d’une perquisition « au sujet d’une enquête pour fraude ».

En entrevue avec La Presse, le grand chef actuel du Conseil mohawk, Victor Bonspille, a affirmé que l’enquête avait été ouverte à la suite d’une plainte qu’il avait lui-même faite à la Sûreté du Québec en 2021, pour des évènements s’étant déroulés alors que Serge Simon était le grand chef. « Des millions de dollars en aide pandémique ont été enlevés à notre communauté pour être donnés à des employés du Conseil de bande et du Centre de santé communautaire sous forme de salaire supplémentaire [s’ajoutant] à leur salaire de base. À mes yeux, c’est une fraude », a soutenu M. Bonspille.

« Quand quelqu’un gagne plus que le premier ministre sur une période de 18 mois, il y a quelque chose d’anormal. »

– Victor Bonspille, grand chef du Conseil mohawk

L’ex-grand chef Serge Simon a qualifié d’« accusations ridicules » les affirmations du grand chef Victor Bonspille. « Les dépenses qui ont été faites pour la COVID-19 étaient loin d’être frivoles ou frauduleuses. Oui, certaines compensations étaient hautes et j’ai aussi froncé les sourcils, mais quand tu regardes les heures travaillées, ça met les choses en perspective, a nuancé M. Simon. Il fallait organiser les centres de dépistage, puis les centres de vaccination. Certaines personnes sont parties en burn-out. »

« Drapeaux rouges » et « camouflage »

La Presse a obtenu d’un groupe de citoyens mohawks qui dénonce la violence, l’intimidation et la corruption sur le territoire autochtone le sommaire d’un audit de la firme juricomptable Williams Meaden & Moore. Ce document, dont l’authenticité a été confirmée par le grand chef Victor Bonspille, traite de la gestion de 4 889 934 $ de fonds d’aide pandémique faite par l’Unité de réponse d’urgence, une organisation ad hoc « comprenant certains employés du Conseil de bande de Kanesatake et du Centre de santé communautaire de Kanesatake ».

Le rapport de cinq pages conclut que des « mouvements de dépenses d’un compte à l’autre » dans les livres comptables « représentent des drapeaux rouges » qui s’apparentent à des « tentatives de camoufler ou de cacher la nature de ces transactions », écrivent les auteurs du rapport juricomptable, qui n’est pas signé.

Des quelque 5 millions reçus du gouvernement fédéral entre avril 2020 et juillet 2021 pour la réponse à la pandémie, 3,1 millions ont été versés en salaire et en aide ponctuelle, souligne le rapport. « Nous avons noté que quatre employés de l’Unité de réponse d’urgence ont reçu une rémunération supplémentaire d’un montant de 615 799 $ aux tarifs de l’Unité de réponse d’urgence, qui n’a pas été facturée dans les comptes bancaires de l’Unité de réponse d’urgence », indique le rapport.

Le rapport ajoute que l’officier de liaison de l’Unité de réponse d’urgence a été payé comme consultant pour un total de 195 942 $, « ce qui équivaut à un taux horaire de 80 $, comparé aux 40 $ facturés au Conseil de bande de Kanesatake avant avril 2020, ce qui est le double du taux ».

L’ex-grand chef Serge Simon assure néanmoins que « personne n’a volé d’argent ». « S’il y a eu des dépenses qui ont dépassé les normes administratives, il y a sûrement de bonnes raisons. Les gens ont acheté eux-mêmes de la nourriture avec leur carte de crédit parce que des gens de la communauté avaient faim », a-t-il insisté.

Climat « toxique »

La situation au sein du Conseil mohawk de Kanesatake est qualifiée d’« environnement toxique » par le grand chef Victor Bonspille. La Cour fédérale a ordonné il y a deux semaines la réintégration de Serge Simon à titre de chef, après une contestation de son élection menée par Valerie Bonspille, sœur jumelle de Victor Bonspille.

« C’est encore plus toxique depuis que la Cour fédérale, et non pas la communauté, a réintégré Serge Simon. »

– Victor Bonspille, grand chef du Conseil mohawk

Serge Simon rétorque que c’est l’attitude de Victor Bonspille qui est responsable de la crise interne : « Le grand chef garde toute l’information et ne dit rien à ses chefs. C’est le seul qui fout le trouble », lance M. Simon.

La crise interne se déroule alors que Québec et Ottawa s’apprêtent à rencontrer le Conseil mohawk pour trouver des solutions concernant le dépotoir illégal de G & R Recyclage, dont les eaux toxiques se sont écoulées dans le lac des Deux Montagnes au moins deux fois ce printemps, selon une enquête de La Presse. La rencontre devait avoir lieu cette semaine, mais se tiendra vraisemblablement selon M. Bonspille au début de la semaine prochaine.

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