Sommet sur la démocratie proposé par Biden

Démocratie ou géopolitique ?

La démocratie est malmenée dans le monde depuis plusieurs années. C’est dans ce contexte que le président Joe Biden annonce un sommet mondial sur la démocratie tôt dans son mandat. Mais une telle initiative est-elle pertinente et a-t-elle une chance de succès ?

Tout observateur de la scène internationale l’aura remarqué : après une période d’expansion de la démocratie à l’échelle mondiale, la tendance est au recul. Le coup d’État en Birmanie et l’assaut du Capitole de Washington étant les exemples les plus récents.

L’indice de la démocratie de l’Economist Intelligence Unit (EIU) affiche ainsi sa pire note en 15 ans, tout en soulignant des avancées dans certains endroits, tel Taiwan.

De son côté, l’ONG Freedom House souligne une diminution constante des droits et libertés au cours de la même période. Enfin, l’Institut international pour la démocratie et l’assistance électorale (International IDEA) se montre un peu plus optimiste, soulignant que si la démocratie inspire un nombre croissant de pays, la qualité de la démocratie est en déclin un peu partout. L’EIU catégorise d’ailleurs maintenant les États-Unis de flawed democracy (ou « démocratie imparfaite »).

S’il s’agit d’une tendance qui se manifeste depuis plusieurs années, la COVID-19 a exacerbé la situation, certains pays y voyant un prétexte pour serrer l’étau sur les droits et la démocratie au-delà des nécessaires mesures sanitaires.

Dans ce contexte, le Président Biden annonçait récemment son intention de tenir un sommet pour la démocratie, dont les contours restent toutefois à définir. Si la nouvelle administration projette une diplomatie ancrée dans les valeurs démocratiques et les idéaux de droits de la personne, la tenue éventuelle d’un tel sommet soulève tout de même bien des questions.

Premièrement, les États-Unis ont-ils, encore, une crédibilité pour lancer une telle initiative dans la foulée des graves incidents des derniers mois et de l’état de leur propre démocratie ? Plusieurs intervenants américains s’interrogent ouvertement à ce sujet, tout comme le reste de la planète. On pourra rétorquer que les États-Unis pourraient habilement retourner la situation à leur avantage, démontrant « par leur exemple », nouveau credo de Biden, qu’il faut travailler constamment pour soutenir les institutions démocratiques.

Deuxièmement, si la démocratie est certes un sujet d’importance légitime, l’enjeu réel de ce sommet est-il plutôt géopolitique ? La Chine et la Russie, notamment, s’affirment de plus en plus sur la scène internationale à la poursuite de leurs intérêts géostratégiques, mettant à rude épreuve les normes internationales et la démocratie. Dans un tel contexte, promouvoir la démocratie au moyen d’alliances fera à tout le moins partie d’un ensemble d’objectifs plus large sur l’échiquier géopolitique.

Enfin, un tel sommet serait-il un moyen efficace pour que la démocratie étende ses racines dans un nombre croissant de pays ?

Tout sommet de ce type possède, a priori, un potentiel de mobilisation d’un groupe vers un idéal et peut fournir une certaine impulsion à un mouvement. Mais il serait prudent de se rappeler que la vraie démocratie se bâtit d’abord et avant tout au plan national, par les acteurs nationaux de la société civile, et laborieusement. Et qu’elle se détruit, aussi, de l’intérieur.

Pour quiconque se soucie de la démocratie, là est la question clé. Un sommet peut bien attirer les projecteurs, mais quel impact réel aura-t-il sur la démocratie ?

Relevons enfin les dilemmes politiques et diplomatiques auxquels feront face les organisateurs d’un tel sommet. À commencer par : qui invite-t-on et qui n’invite-t-on pas ? La liste des pays en « zone grise » des démocraties fragiles ou émergentes pourrait être longue et source de bien des tensions. Entre une approche inclusive, qui pourrait accommoder des alliés à la légitimité démocratique douteuse et donner l’apparence de gonfler le camp prodémocratie, et une liste d’invités plus sélective, qui pourrait être source de tensions avec des alliés commodes et même avoir un effet pervers en poussant ces derniers vers l’« autre camp », les choix seront douloureux.

Quoi qu’il en soit, nul doute qu’il est grand temps de mener réflexion sur l’avenir de la démocratie dans le monde. La conjoncture s’y prête, avec les reculs démocratiques des dernières années ainsi que l’arrivée en poste d’une nouvelle administration à Washington. Reste à voir comment les enjeux géopolitiques et les idéaux démocratiques, pas nécessairement incompatibles, feront bon ménage.

* L’auteur est également Visiting Fellow au Perry World House de l’Université de Pennsylvanie

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