Décriminalisation de drogues dures en Colombie-Britannique

Une avancée pour endiguer la crise

La possession de petites quantités de drogues dures n’est plus criminalisée depuis mardi en Colombie-Britannique dans le cadre d’un projet-pilote mené dans l’espoir de freiner une crise ayant fait plus de 30 000 morts au pays depuis 2016, dont plus de 2000 au Québec.

Une exemption

Lundi, la ministre canadienne de la Santé mentale et des Dépendances, Carolyn Bennett, a confirmé l’adoption d’une exemption à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances en Colombie-Britannique. Ce projet-pilote de trois ans décriminalise la possession de moins de 2,5 grammes de quatre drogues : opioïdes, crack et cocaïne en poudre, méthamphétamine et ecstasy. Les personnes concernées ne seront pas arrêtées ni accusées et pourront conserver leurs substances.

Une bonne chose ?

Oui, dit Jean-François Mary, directeur de CACTUS Montréal. « C’est une avancée car nous sommes dans un système répressif dans lequel tout ce qui a trait aux substances illicites est illégal », dit-il. Toute régulation de cette législation constitue une amélioration, selon lui. M. Mary estime que la criminalisation plonge davantage les gens dans une spirale qui les mène à la marginalisation. Mais la décriminalisation ne règle pas tout. Elle doit être accompagnée d’un meilleur encadrement.

Que faut-il faire ?

Selon M. Mary, on doit faire preuve de plus de souplesse tant sur la quantité permise que sur les substances tolérées. Et ajouter à cela des programmes d’approvisionnement sécuritaire. Parce qu’un des problèmes avec les produits sur le marché est qu’ils sont contaminés, notamment avec des benzodiazépines (comme le Xanax), très dangereux. « On doit remplacer des substances contaminées par des substances dont on connaît le contenu, le dosage et la concentration », dit-il.

Une sorte d’étatisation des drogues dures ?

Qu’on se rassure, on ne va pas trouver de l’héroïne ou du fentanyl au dépanneur, indique Jean-Sébastien Fallu, professeur à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal et chercheur à l’Institut universitaire sur les dépendances. Mais l’État doit être là, croit-il. « Comment voulons-nous encadrer la production, la distribution, la vente et la consommation de drogue ? On a trois possibilités l’État, le marché criminel ou les multinationales. Pour les gens dans le dossier, la réponse est évidente : l’État. »

Un exemple d’encadrement, alors ?

« Il faut penser à différents modèles pour différentes substances, poursuit Jean-Sébastien Fallu. Pensons à un encadrement par un médecin donnant accès à des drogues de qualité pharmaceutique et un suivi. Ça serait déjà beaucoup mieux qu’en ce moment. »

Canada : 32 000 victimes depuis 2016

Parce qu’en ce moment, ça ne va pas. Selon Santé Canada, le pays a enregistré 3556 décès apparemment liés aux opioïdes entre janvier et juin 2022. Une moyenne de 20 par jour, alors qu’on en relevait 8 par jour en 2016 et 12 en 2018. Toujours dans les six premiers mois de 2022, 90 % des décès ont été enregistrés en Colombie-Britannique, en Alberta et en Ontario, et 76 % impliquaient le fentanyl. Entre janvier 2016 et juin 2022, ce sont 32 632 décès apparemment liés à une intoxication aux opioïdes qui ont été comptabilisés.

2231 morts au Québec en moins de cinq ans

De 2018 à 2022, le Québec a enregistré 2231 décès liés à une intoxication aux opioïdes et autres drogues, selon l’Institut national de la santé publique (INSPQ). Cela exclut les données du dernier trimestre de 2022. Or, la fin de la dernière année a été très dure, selon Jean-François Mary. « Nous n’avons pas encore les chiffres mais décembre 2022 est probablement un des mois les plus mortels jamais vus à Montréal, dit-il. Ce sont des choses que nous avons observées et partagées avec nos interlocuteurs. »

Le Québec veut-il aller vers une décriminalisation ?

« Un tel projet n’est pas envisagé pour l’instant au Québec, mais nous suivrons de près l’expérience de la Colombie-Britannique », répond Élisabeth Gosselin, attachée de presse du ministre québécois de la Justice, Simon Jolin-Barrette. « Nous continuons en parallèle à travailler en étroite collaboration avec les organismes communautaires. Le gouvernement du Québec a octroyé des dizaines de millions de dollars à des ressources communautaires et pour le déploiement de la stratégie pour prévenir les surdoses d’opioïdes. »

Mais l’argent se fait plus rare…

C’est ce que remarque et déplore Jean-François Mary. « Sur le plan du financement des services, nous ne sommes pas dans une situation très reluisante, dit-il. Avec le financement qu’on nous octroie, on va devoir réduire les heures. Alors que les organismes communautaires sont les seuls à mettre en place des actions comme les salles de consommation supervisées. »

2267

La Colombie-Britannique est la province canadienne la plus touchée par la crise des opioïdes. En 2021, 2267 personnes sont mortes de surdose, le plus grand nombre de décès enregistrés sur une année civile dans une province.

Source : Santé Canada

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