Michel Jean

Perceptions autochtones

L’Itinéraire aurait pu aborder une entrevue avec Michel Jean, auteur, journaliste d’enquête et chef d’antenne à TVA, sous mille angles. Parce que cet Innu métissé est l’un des rares Autochtones à évoluer dans le milieu des médias québécois, parce qu'il est aussi conteur de sa culture, de ses aïeux et créateur d’espaces de discussion entre les communautés. Wapke, son recueil collectif publié en mai dernier, en est l’exemple parfait. Il y relate les visions de « demain », posées par 14 voix autochtones de plusieurs origines.

« Il y a eu du chemin de parcouru », constate Michel Jean. Depuis la Commission de vérité et réconciliation clôturée en 2015 qui a donné la parole à plus de 6500 témoins des ravages causés par les pensionnats sur la culture, l’identité et l’intégrité des personnes autochtones, un tournant s’est opéré. Et l’affaire Joyce Echaquan en est l’un des points marquants. Parce que les conditions entourant sa mort qui ont choqué tout le Québec et endeuillé la nation atikamekw ont aussi « ouvert les cœurs », pense l’auteur et journaliste innu.

Dans le même traîneau

Ce tournant, on le perçoit également dans sa dernière publication, Wapke, le tout premier recueil autochtone d’anticipation paru en mai dernier. À l’instar d’Amun, son aîné de cinq ans, plusieurs plumes se sont rassemblées. Et cette fois, le nombre de peuples et de nations représentées a doublé. Quatorze auteurs d’origine innue, atikamekw, wendat, crie, anishinaabe et inuk y décrivent leur vision de « demain ». L’avenir… c’est la première fois qu’on offre aux Autochtones un espace public pour « se projeter dans le futur et dire comment ils voient le monde », précise Michel Jean.

Wapke, l’écrivain le compare à un traîneau à chiens. « Tout le monde tire le traîneau en même temps, et il avance, à la même vitesse pour tous. » On y retrouve des « valeurs sûres » comme Joséphine Bacon, Natasha Kanapé Fontaine, Virginia Pésémapéo Bordeleau… à côté d’autres talentueux auteurs moins connus, comme Janis Ottawa, enseignante atikamekw de Manawan. Et tous s’expriment, le regard fixé vers le même horizon.

Le silence des origines

Récipiendaire du prix littéraire France-Québec 2020 pour son roman Kukum paru en 2019 (roman qui retrace la vie d’Almanda Siméon, son arrière-grand-mère), le journaliste et écrivain n’aurait sûrement pas imaginé un tel intérêt pour les peuples autochtones il y a encore quelques années de cela. « Partout où j’ai travaillé, j’ai entendu que les histoires d’Indiens n’intéressent personne », raconte celui qui, pendant des années, a adopté un comportement silencieux sur ses origines métissées, calquant celui de sa famille.

Reste qu’il a toujours éprouvé de la fierté à l’égard de sa culture. « J’ai toujours trouvé admirable que les gens aient vécu et survécu comme ça. Je n’étais pas honteux. J’en étais fier naturellement. » Déjà enfant, et bien que coupé de sa famille innue, il avait une inlassable curiosité pour les savoirs de sa grand-mère. « J’étais proche d’elle, mais moi, je grandissais dans le milieu blanc et je ne savais pas que ce n’était pas en la bombardant de questions que j’allais obtenir des réponses. C’est pas dans la culture innue. Il faut regarder, écouter, attendre… »

C’est à la mort de cette femme que le besoin de renouer avec la branche innue de son métissage se fera sentir : « Quand ma grand-mère est décédée, la cousine de ma mère, que je ne connaissais pas personnellement, m’a dit : “Michel, l’indien tu l’as en toi”. C’est là que j’ai commencé à me poser des questions ».

« Être Autochtone, c’est ça que ça change »

Aujourd’hui, l’une des raisons qui poussent l’auteur à écrire sur les Autochtones n’est plus juste sa volonté de renouer, mais aussi sa conscience d’être un exemple positif. « Ça fait au moins un nom de plus dont les communautés autochtones parlent. »

Il est reconnu que les Premières Nations manquent de figures de réussite pleinement intégrées à la société québécoise. Et Michel Jean en sait quelque chose, lui qui évolue dans un milieu professionnel où les Autochtones se comptent sur les doigts d’une main. « À part Marie-Michèle Sioui (correspondante parlementaire à Québec) au Devoir, je ne connais aucun journaliste autochtone qui publie au Québec », déplore l’auteur.

Pourtant, être Autochtone apporte un regard avantageux dans bien des situations. Comme avec l’affaire Joyce Echaquan, dont l’auteur nous conte une partie de ce qui s’est passé dans les « coulisses médiatiques » au moment de la tragédie. « Quand est arrivé l’évènement, il y a eu un débat : fallait-il ou non diffuser les propos du personnel ? Ils étaient tellement durs qu’on a hésité. Et j’ai dit : “Non, je comprends que c’est dur, mais ça fait longtemps que les Autochtones entendent ça, alors il est temps que les Québécois l’entendent aussi.” Le fait d’être Autochtone, c’est ça que ça change. »

Vous venez de lire un extrait de l’entrevue avec Michel Jean. Pour la version intégrale, procurez-vous L’Itinéraire du 15 juin auprès de votre camelot préféré.e ou en ligne, moyennant un don.

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