GASPÉ — « Antoine ? Mais bien sûr qu’on connaît Antoine ! Il vient même manger ici demain soir ! »
Il fallait s’en douter : la chef Colombe St-Pierre, ambassadrice de premier ordre des produits du terroir québécois, se devait de connaître Antoine Nicolas, cueilleur d’algues – ou chasseur de trésors, diront certains tellement sa récolte est précieuse – dans le fond du Saint-Laurent.
Antoine Nicolas sourit doucement en repensant au repas de la veille, au restaurant Chez St-Pierre. Il s’est régalé. Et il aura besoin de la moindre des calories ingérées pour affronter cette nouvelle journée de travail dans les eaux froides du fleuve. Oui, même si le soleil tape fort dans la baie de Cap-aux-Os, en ce jour de juillet, l’eau ne dépasse pas les 12 °C et l’épaisse combinaison de plongée n’est pas de trop. Elle est essentielle, même.
Moulé dans son costume, le voici donc qui se fraie doucement un chemin contre les vagues, palmes aux pieds, lunettes et tuba vissés sur la tête. Un radeau gonflable suit derrière, accroché à son poignet. Devant lui, sous la surface de l’eau, le néophyte ne verra qu’un lit d’algues vertes, un peu agaçantes quand elles se frottent à nos mollets, plutôt repoussantes quand elles se détachent et flottent, poisseuses, à la surface de l’eau. Antoine Nicolas, lui, ne voit que kombu royal, laminaire sucrée, laitue de mer et wakamé – qu’il affectionne particulièrement pour son petit goût de noisette. Bref, Antoine voit une forêt de merveilles dans ces pousses, merveilles pour la santé et la cuisine. Et aussi, il y traque son gagne-pain.
Car Antoine Nicolas est l’un des premiers cueilleurs d’algues du Québec à en avoir fait son métier. Il pêche chaque jour ou presque de l’année – oui, oui, même en février quand l’eau est recouverte d’une épaisse couche de glace et que le mercure pique bien au-dessous de zéro. Ceci explique sûrement cela : le Breton d’origine explore les fonds marins depuis sa naissance. Enfin presque. Initié à 5 ans, il plonge chaque semaine, au minimum, depuis ses 7 ans.
Après ses études en biologie, c’est l’« envie d’aller voir ailleurs » qui l’a mené au Québec, où il a été surpris de constater que la richesse qui tapisse le fond du fleuve Saint-Laurent était si peu exploitée. Il y a une dizaine d’années, les algues québécoises étaient quasi introuvables sur le marché. Antoine Nicolas en vend maintenant – séchées, surtout, mais fraîches aussi – dans quelque 80 boutiques et fournit quelques grandes tables du Québec, comme Chez St-Pierre et Chez Boulay ; deux autres producteurs – Seabiosis et SALAWEG – commercialisent aussi des produits (relish, pesto, mélange à tartare, etc.) préparés avec du kombu cultivé dans le sud de la péninsule gaspésienne.
Amies des végétariens
Les experts ne manquent pas d’insister sur les vertus des algues dans l’alimentation. Elles sont riches en protéines, en fibres, en minéraux (magnésium, iode, zinc) et en vitamines, précise Lucie Beaulieu, qui consacre aux algues l’essentiel de ses travaux de recherche, à l’Institut sur la nutrition et les aliments fonctionnels de l’Université Laval. Ces verdures constituent une source de fer intéressante pour les végétariens. « Il faut pousser davantage la recherche, mais on observe qu’en Asie [où les algues sont plus présentes au menu], certaines maladies sont plus rares qu’ici, note Lucie Beaulieu. On sait qu’elles ont un effet positif sur le microbiote intestinal. »
Mieux : elles sont aussi riches en umami, cette cinquième saveur qu’on décrit parfois comme « le goût de ce qui est bon » et qui a la capacité de rehausser le goût des aliments.
« Ajouter des algues, c’est faire en sorte que son plat, de manière générale, sera plus savoureux. »
— Karine Berger, nutritionniste chez Merinov, un centre de recherche voué à la valorisation des produits aquatiques au Canada
Même si on n’en saupoudre qu’une poignée de flocons séchés sur une salade, dans une vinaigrette, sur un tartare, alouette.
Une ressource abondante
Les algues québécoises seraient de meilleure qualité puisqu’elles poussent dans une eau moins polluée qu’en Asie, souligne Lucie Beaulieu. « C’est aussi un moyen de soutenir l’économie de la Gaspésie et du Bas-Saint-Laurent », ajoute Karine Berger. La ressource est abondante et renouvelable. Les cueilleurs sont encore rarissimes et ne peuvent prélever plus de 25 % de chacune des variétés observées dans le secteur pour lequel un permis de Pêches et Océans Canada leur a été accordé.
Les algues peuvent aussi être cultivées et elles le sont depuis quelques années par SALAWEG et Seabiosis, à des fins alimentaires ; d’autres le font pour les utiliser dans le domaine de l’esthétique. Cette culture ne requiert pas d’engrais et ne pollue pas l’écosystème, mais elle est complexe, remarque Karine Berger. Le climat du Québec, rude, complique les choses : l’hiver dernier a été particulièrement dur pour les plantations d’algues et les récoltes, quasi nulles pour les deux entreprises. Les glaces ont malmené les cordages ensemencés de plantules qu’il faut plonger dans les fonds marins à l’automne, pour qu’elles puissent commencer à croître dès le printemps et être récoltées tout au début de l’été, avant qu’elles ne soient souillées par la présence d’autres micro-organismes.
« On commence à peine à savoir quels secteurs sont plus favorables », explique Karine Berger. Mais visiblement, il n’est pas question de baisser les bras. SALAWEG déplacera ses plantations dans une baie mieux protégée des glaces, l’an prochain.
« C’est une très bonne filière : il pourrait y avoir de plus grandes productions, pour valoriser les algues de manière différente, pour en extraire les antioxydants ou les agents épaississants, note Karine Berger. Il y a eu des défis, des problèmes, mais on continue la recherche : il ne faut pas oublier que l’agriculture s’est développée sur le long terme ! »