Un dernier avertissement

Un autre rapport percutant du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Mais cette fois-ci, les scientifiques multiplient les mises en garde à l’endroit des décideurs du monde entier. L’inaction climatique ne signifie pas la fin du monde, mais le monde, lui, sera profondément transformé d’ici la fin du siècle. À moins de changements radicaux, les bouleversements à venir pourraient bien être sans précédent.

Changements climatiques

La fenêtre se referme, prévient le GIEC

Le GIEC multiplie les avertissements aux décideurs du monde entier face à l’urgence climatique. Les décisions prises aujourd’hui auront des impacts « pour des milliers d’années », préviennent les scientifiques dans leur sixième rapport d’évaluation.

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a dévoilé lundi son sixième rapport d’évaluation depuis sa création, en 1988. Si plusieurs constats étaient déjà connus – le rapport fait la synthèse des six rapports publiés par le GIEC depuis 2018 –, le sommaire pour les décideurs sert plusieurs mises en garde aux élus.

Premier avertissement : l’occasion d’agir (window of opportunity) permettant de limiter le réchauffement planétaire à 1,5 degré se « referme rapidement », rappelle le GIEC. Pour y arriver, les émissions de gaz à effet de serre (GES) doivent diminuer de 43 % d’ici 2030. Or, les engagements actuels ne permettent pas d’atteindre cette cible et rendent même « plus difficile de limiter le réchauffement en dessous de 2 degrés Celsius », prévient-on.

Autre mise en garde : les risques liés aux changements climatiques « seront de plus en plus complexes et plus difficiles à appréhender », indique le GIEC. C’est pourquoi les scientifiques signalent que chaque dixième de degré compte dans la lutte contre le réchauffement planétaire.

« L’humanité marche sur une couche de glace très fine, et cette glace fond rapidement. »

— António Guterres, secrétaire général des Nations unies

« Notre monde a besoin d’une action climatique sur tous les fronts – tout, partout, tout à la fois », a-t-il ajouté, faisant référence au film du même nom, grand gagnant de la dernière cérémonie des Oscars.

Des risques plus élevés qu’en 2014

Les risques liés au climat sont d’ailleurs jugés plus élevés que ceux évalués dans le cinquième rapport du GIEC, publié en 2014. La science climatique s’est raffinée, et les modèles utilisés sont aussi de plus en plus performants. « Pour tout niveau de réchauffement futur, de nombreux risques liés au climat sont plus élevés que ceux évalués dans le RE5, et les impacts à long terme projetés sont jusqu’à plusieurs fois plus élevés que ceux actuellement observés », signalent les scientifiques.

Le rapport n’est pas tendre non plus envers les énergies fossiles, principale source d’émissions de GES à l’échelle planétaire. L’atteinte de la carboneutralité passe par une réduction substantielle des énergies polluantes, rappelle-t-on. Or, les financements publics et privés en faveur des combustibles fossiles sont encore supérieurs aux sommes investies pour réduire les GES et dans des mesures d’adaptation aux changements climatiques, notent les auteurs du GIEC.

Pour appuyer son message, le rapport fait d’ailleurs le rappel de plusieurs constats clés établis depuis 2018.

Entre 1850 et 2019, les émissions de CO2 d’origine humaine ont totalisé 2400 gigatonnes, dont 42 % ont été relâchées en seulement 29 ans, soit entre 1990 et 2019.

En 2019, la concentration de CO2 dans l’atmosphère totalisait 410 parties par million (ppm), soit la valeur la plus élevée depuis au moins deux millions d’années. Pour rappel, le GIEC estime à 350 ppm la limite à ne pas franchir pour contenir le réchauffement à 1,5 degré.

En 2019, les émissions de CO2 d’origine humaine ont totalisé 59 gigatonnes, soit 12 % de plus qu’en 2010 et 54 % de plus qu’en 1990. Plus des trois quarts (79 %) des émissions de 2019 proviennent des secteurs de l’énergie, des transports et des bâtiments.

Environ 10 % de la population mondiale a contribué aux émissions de GES dans une proportion de 34 % à 45 %.

Des changements déjà bien visibles

Les experts du GIEC rappellent par ailleurs que la planète s’est réchauffée de 1,1 degré depuis l’ère préindustrielle. Et que les conséquences des changements climatiques sont déjà bien visibles, partout sur la planète.

On évalue que de « 3,3 à 3,6 milliards de personnes vivent dans des contextes très vulnérables au changement climatique », particulièrement en Afrique, en Asie centrale, en Amérique du Sud et dans plusieurs petits pays insulaires.

Entre 2010 et 2020, les décès provoqués par des inondations, des sécheresses et des tempêtes dans ces régions du monde étaient aussi 15 fois plus élevés que dans les pays moins vulnérables.

C’est d’ailleurs un autre constat important du GIEC : le réchauffement planétaire va toucher de façon disproportionnée les populations les plus vulnérables. Triste ironie : ces pays sont ceux qui ont le moins contribué aux émissions polluantes depuis 1850.

Face à l’ampleur de la crise, des solutions existent, affirme pourtant le GIEC. Une rare bonne nouvelle, la croissance des émissions annuelles de GES a reculé au cours de la décennie 2010-2019 (1,3 %) par rapport à la précédente (2,1 %). Une baisse qui ne permet pas, cependant, de contenir le réchauffement sous les 2 degrés d’ici la fin du siècle. Pour y arriver, il faudra « des réductions rapides et profondes et, dans la plupart des cas, immédiates des émissions de gaz à effet de serre dans tous les secteurs au cours de cette décennie », martèle le rapport.

Le GIEC signale d’ailleurs que les coûts de production pour l’énergie solaire (85 %), l’éolien (55 %) et la fabrication de batteries pour les véhicules électriques (85 %) ont diminué considérablement au cours de la dernière décennie.

Un manque de volonté politique

Si les solutions sont connues, la volonté politique, elle, ne semble pas toujours au rendez-vous. Le sommaire pour les décideurs rappelle qu’il existe des écarts importants entre les promesses politiques et les cibles officielles de réduction de GES. Les sommes investies dans la transition énergétique sont aussi insuffisantes dans toutes les régions du monde.

« Nous avons le savoir-faire, la technologie, les outils, les ressources financières et tout ce dont nous avons besoin pour surmonter les problèmes climatiques que nous avons identifiés, a précisé le président du GIEC, le Coréen Hoesung Lee. Ce qui manque pour l’instant, c’est une volonté politique forte afin de les résoudre une fois pour toutes. »

Il reste à savoir si le passé sera garant de l’avenir, tel que le suggère l’organisation de l’ONU dans un communiqué de presse.

« En 2018, le GIEC a souligné l’ampleur sans précédent du défi à relever pour maintenir le réchauffement à 1,5 °C. Cinq ans plus tard, ce défi est devenu encore plus grand en raison d’une augmentation continue des émissions de gaz à effet de serre. Le rythme et l’ampleur de ce qui a été fait jusqu’à présent, et les plans actuels sont insuffisants pour lutter contre le changement climatique. »

420,32 ppm

Le 18 mars dernier, la concentration de CO2 dans l’atmosphère pointait à 420,32 parties par million (ppm). Selon le GIEC, celle-ci ne doit pas dépasser 350 ppm afin de limiter le réchauffement à 1,5 degré d’ici la fin du siècle.

Source : National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA)

1866 ppb

En 2019, la concentration de méthane dans l’atmosphère s’est établie à 1866 parties par milliard, soit la valeur la plus élevée depuis au moins 800 000 ans. Le potentiel de réchauffement du méthane est beaucoup plus élevé que celui du CO2, mais sa durée de vie dans l’atmosphère est aussi beaucoup plus courte.

Source : sixième rapport du GIEC

Quatre impacts de la crise climatique

Le 6e rapport d’évaluation du GIEC aborde de nombreux aspects de la crise climatique. En voici quatre.

Hausse du niveau des océans

L’une des conséquences du réchauffement planétaire, c’est la hausse du niveau des océans. Avant de lire ces chiffres, il faut se rappeler que ce sont des moyennes, appliquées à d’immenses superficies d’eau: les océans couvrent presque les trois quarts de la superficie du globe. Le GIEC souligne que le niveau moyen des océans s’est élevé de 0,2 mètre entre 1901 et 2018. Le plus inquiétant, c’est que cette hausse s’est accélérée depuis 2016 à 3,7 mm par année, contrairement à 1,3 mm par année entre 1901 et 1971.

Des déplacements plus fréquents

Les changements climatiques vont pousser de nombreuses populations à trouver refuge dans des régions moins vulnérables, rappelle le GIEC. Le rapport affirme avec un niveau de certitude élevé que « les extrêmes climatiques et météorologiques vont entraîner de plus en plus de déplacements en Afrique, en Asie et en Amérique du Nord », notamment.

Les limites de l’adaptation

On parle de plus en plus d’adaptation aux changements climatiques, et non plus seulement de réduire les émissions polluantes. Mais le GIEC lance un avertissement à ce sujet : « Les options d’adaptation qui sont réalisables et efficaces aujourd’hui deviendront limitées et moins efficaces avec l’augmentation du réchauffement climatique. » Dans un monde de plus en plus chaud, « les pertes et les dommages augmenteront et d’autres systèmes humains et naturels atteindront leurs limites d’adaptation », ajoute le GIEC.

Les avantages de lutter contre le réchauffement

Il y a des avantages à prendre des mesures concrètes et substantielles à court terme, selon le GIEC. Les experts précisent que réduire rapidement les émissions polluantes permettrait d’améliorer considérablement la qualité de l’air. Dans plusieurs régions du monde, celle-ci est particulièrement néfaste pour la santé humaine. On fait aussi valoir qu’une réduction de la consommation de viande, source importante d’émissions de GES, serait bénéfique pour la santé. Finalement, un meilleur aménagement du territoire permettrait d’accroître la mobilité active dans plusieurs régions du monde.

Changements climatiques

« Ce qui devient urgent, c’est de s’adapter »

Réduire la quantité de gaz à effet de serre (GES) que l’humanité génère ne suffit plus pour lutter contre les changements climatiques, estime l’organisation québécoise Ouranos, à la lumière du plus récent rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).

« La réduction des émissions de GES reste absolument fondamentale et majeure et urgente à réaliser, mais ce qui devient urgent, c’est de s’adapter. Parce que le climat change, il y a des impacts, les évènements extrêmes sont [amplifiés], alors qu’il y a peut-être 20 ans, ou 10 ans même, on pouvait encore espérer que la réduction ferait le plus gros du travail », estime Alain Bourque.

Le directeur général du consortium québécois de recherche sur la climatologie régionale et l’adaptation aux changements climatiques Ouranos constate que le GIEC insiste désormais autant sur l’importance des mesures d’adaptation que sur la réduction des émissions.

« La lutte contre les changements climatiques, malheureusement, aujourd’hui, c’est rendu autant l’un que l’autre », dit-il.

Le rapport du GIEC met également en garde contre la tentation de miser sur la technologie pour réduire la quantité de carbone que l’humanité rejette dans l’atmosphère, souligne Alain Bourque.

« Il faut donner la priorité aux solutions immédiates. Malheureusement, les politiciens n’aiment pas ça, parce que ça implique des choix difficiles qui doivent se faire à l’intérieur de leur mandat électoral. »

— Alain Bourque, directeur général d’Ouranos

Les solutions technologiques comme l’hydrogène vert ne sont pas dénuées d’intérêt, mais les changements de comportement « sont probablement encore plus fondamentaux », indique-t-il.

« Ça, il y a beaucoup de gens qui ne le comprennent pas, notamment les décideurs, [qui] sont beaucoup plus attirés par des stratégies qui promettent des trucs dans 30 ans, parce qu’ils n’auront pas de comptes à rendre », assène M. Bourque.

Le Québec doit être premier

Les États développés sont sous pression pour mener la décarbonation du monde en raison de leur responsabilité historique face à la situation actuelle et de leurs capacités technologiques, financières et sociales, rappelle Alain Bourque.

Et c’est encore plus vrai pour le Québec, qui se doit d’être dans le peloton de tête, croit-il.

« Honnêtement, si le Québec n’est pas capable d’atteindre la carboneutralité avant les autres, je ne vois pas qui d’autre peut réussir », dit M. Bourque, évoquant l’hydroélectricité, la technologie et les moyens financiers dont dispose la province.

« On a vraiment tous les moyens pour atteindre la carboneutralité les premiers », dit-il.

« Il faut maintenant que les gouvernements sortent de leur dangereuse complaisance et prennent enfin le relais en réduisant les émissions dans tous les systèmes et secteurs, en investissant dans l’adaptation et en réagissant aux pertes et aux dommages, à la vitesse et à l’échelle requises. »

— Caroline Brouillette, du Réseau action climat Canada

« Nos gouvernements doivent cesser d’aider les entreprises d’énergies fossiles et les autres pollueurs, en cessant, entre autres, d’autoriser de nouveaux pipelines ou projets pétroliers et gaziers. »

— Patrick Bonin, responsable de la campagne Climat-Énergie de Greenpeace Canada

« Le fait que les personnes au pouvoir vivent toujours dans le déni et aillent activement dans la mauvaise direction sera au bout du compte considéré et retenu comme une trahison sans précédent. »

— Greta Thunberg, militante écologiste

« Les politiques mises en place actuellement permettent au mieux de contenir un peu l’augmentation des émissions, [mais] il y a des efforts importants à mettre en place pour respecter les promesses de réduction que les gouvernements ont faites. »

— Normand Mousseau, directeur de l’Institut de l’énergie Trottier

« Au Québec, la lutte contre les changements climatiques est une priorité et plusieurs mesures sont déjà bien implantées, notamment via la bourse du carbone avec la Californie pour laquelle le Québec est un leader en Amérique du Nord. »

— Benoit Charette, ministre de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs du Québec

« Il est essentiel de prendre rapidement des mesures concrètes et ambitieuses afin de lutter contre les changements climatiques. C’est la seule façon de préserver la sécurité et la force des collectivités, et d’assurer un avenir sain pour nos enfants. »

— Steven Guilbeault, ministre de l’Environnement et du Changement climatique du Canada

(Avec l’Agence France-Presse)

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