L’enjeu politique de Dawson

François Legault s’était préparé à répondre aux questions portant sur sa volte-face concernant la contribution santé qu’il voulait imposer aux non-vaccinés. Mais il a dû aussi s’expliquer au sujet d’une autre volte-face (décidément…), celle qui concerne l’annulation d’une aide financière qui permettrait l’agrandissement du collège Dawson.

François Legault a confirmé qu’il n’accompagnera pas cet établissement anglophone dans ce projet « parce qu’il est préférable d’agrandir les cégeps francophones plutôt que d’augmenter la capacité du collège Dawson », a-t-il répondu à un journaliste anglophone.

Et paf !

François Legault a été franc, il n’y a pas de doute. Mais en disant cela, il a jeté un gros seau d’huile sur le feu des enjeux linguistiques du Québec. En moins de deux, les réseaux sociaux et les médias anglophones se sont enflammés.

Avons-nous besoin d’un tel débat en ce moment ? Dieu que non…

Pour ceux qui n’auraient pas suivi ce dossier, le collège Dawson fait des démarches depuis sept ans auprès du gouvernement afin d’obtenir des fonds pour se doter de locaux supplémentaires.

Précisons que le collège Dawson est le plus grand, toutes catégories confondues, au Québec. Les 11 000 élèves qui le réquentent sont éparpillés dans un grand nombre de bâtiments.

L’aide gouvernementale réclamée s’élève à 100 millions de dollars et servirait notamment à la construction d’un nouveau pavillon qui serait destiné aux élèves des programmes de santé, particulièrement en soins infirmiers et en radio-oncologie.

Il faut rappeler que le gouvernement a reconnu, selon ses propres normes, que le collège Dawson connaissait un déficit d’espace s’élevant à 11 200 m⁠2, soit l’équivalent de 10 étages d’un immeuble de bureaux typique. C’est du moins ce qu’a écrit Diane Gauvin, directrice générale de l’établissement, dans une lettre envoyée dimanche à la communauté collégiale.

Ça fait sept ans que la direction du collège Dawson tente d’obtenir cette aide. Alors que le gouvernement Legault avait d’abord soutenu la décision prise par les libéraux, en 2018, voilà que la ministre de l’Enseignement supérieur, Danielle McCann, a annoncé vendredi dernier à la direction du collège Dawson qu’elle devra trouver d’autres façons de régler son problème. On a notamment suggéré le principe de la location.

Quel changement de cap pour le gouvernement qui souhaitait inclure ce projet dans son programme d’infrastructures dans le cadre de la relance économique post-pandémie !

Au départ, on craignait que le collège Dawson profite de cet agrandissement pour augmenter sa capacité d’accueil. Mais le gouvernement a établi des règles claires qui définissent un nombre maximal d’inscriptions dans les cégeps anglophones du Québec jusqu’en 2029. On vise à le maintenir à 27 000 élèves.

La direction du collège Dawson assure de son côté que ces travaux serviront uniquement à offrir de meilleures conditions à ses élèves.

En fait, le gouvernement réalise qu’avec le gel du nombre de places dans le réseau collégial anglophone, les cégeps francophones pourraient être submergés de demandes.

Si vous me lisez régulièrement, vous savez que la défense du français au Québec, particulièrement à Montréal, me tient à cœur. J’écris souvent sur le sujet. Mais j’avoue que je trouve profondément injuste la décision du gouvernement de ne pas financer ces travaux.

Je comprends parfaitement que les élèves francophones ont des besoins. Tous les élèves ont des besoins, toutes les écoles ont des besoins, tous les centres de services scolaires de la province ont des besoins.

Mais à quelques mois d’un scrutin, il m’apparaît évident que cette décision est purement électoraliste. Le gouvernement Legault, à l’origine d’une réforme de la Charte de la langue française, est tanné de se faire accuser par l’opposition de dire tout et son contraire, de « parler des deux côtés de la bouche » dans ce dossier.

C’est d’ailleurs ce que répète le chef péquiste Paul St Pierre-Plamondon, de même que des ténors nationalistes et ardents défenseurs de la langue française.

En adoptant cette position, la Coalition avenir Québec veut clouer le bec du Parti québécois et de Québec solidaire. Mais il donne au Parti libéral l’occasion de se faire valoir auprès de l’électorat anglophone de Montréal.

Dominique Anglade a d’ailleurs été interrogée là-dessus mardi par les médias anglophones. Pour elle, le gouvernement montre une fois de plus qu’il est passé maître dans l’art de faire marche arrière et d’improviser.

Le gouvernement Legault a mis en place un cadre précis pour freiner le nombre d’inscriptions dans les cégeps anglophones, en quoi le financement d’un projet d’agrandissement d’un établissement anglophone va-t-il changer quelque chose ?

Dans sa réponse, mardi, François Legault a associé une augmentation de la capacité d’accueil à l’aide qui est refusée à Dawson. Ou bien il joue avec les mots, ou bien il ne fait pas confiance à cet établissement.

Pour protéger la langue française, il faut se doter de mécanismes et de lois solides et faire en sorte qu’ils soient respectés. Mais il ne faudrait pas perdre le nord et faire des gestes calculés dans un but bassement politique.

Le gouvernement a pris une demande d’aide financière d’un établissement scolaire qui a des besoins réels et l’a transformée d’un coup de baguette en enjeu linguistique.

Nous avons déjà joué dans ce film-là. Nous sommes maintenant ailleurs. Et cet ailleurs définit ce que nous sommes devenus. Une société qui tient à être respectée et qui a envie de marcher la tête haute… avec les autres.

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