Chronique

Un grand pas pour les femmes réalisatrices

Hillary Clinton n’a pas réussi à fracasser le plafond de verre. Qu’à cela ne tienne. Chez nous, les réalisatrices et leurs camarades scénaristes auront bientôt les moyens pour pulvériser le plafond de celluloïd : des moyens et des mesures concrètes pour y parvenir. Et ces mesures, les réalisatrices les doivent à Carolle Brabant, la directrice générale de Téléfilm Canada, qui a profité du jour du Souvenir pour annoncer que l’organisme fédéral se donne jusqu’à 2020 pour atteindre la parité hommes-femmes dans la production cinématographique. Comment ?

En favorisant les projets, à qualité égale ou comparable, réalisés et scénarisés par des femmes. C’est ce qu’on nommait, dans le temps, la discrimination positive. À Téléfilm Canada, on n’aime pas trop cette expression même si, dans les faits, c’est exactement ce que sera appelée à faire l’équipe d’analystes qui jugent les projets et acceptent de les financer à même une enveloppe de 50 millions.

Désormais donc, à qualité égale, ces analystes vont devoir favoriser les projets présentés par des femmes. Les détracteurs de cette mesure, et ils ne vont pas tarder à se manifester, ne manqueront pas de clamer qu’il s’agit d’une mesure radicale, qui ne rend pas service aux réalisatrices en leur faisant ainsi la charité et en les infantilisant. Selon ces mêmes détracteurs, les femmes devraient s’imposer par leur talent et non grâce à des mesures discriminatoires.

Une mesure radicale, mais nécessaire

Ces détracteurs ont raison sur un point : c’est effectivement une mesure radicale. Radicale, mais nécessaire parce que jusqu’à présent, toutes les belles paroles en faveur de l’émergence des femmes cinéastes n’ont rien donné, strictement rien. Il y a à peine six mois (en 2016 et non pas en 1950), une vaste étude sur la représentation des femmes dans les milieux culturels concluait que dans la plupart des champs de création, les femmes étaient sous-représentées.

En cinéma, par exemple, 77 % des scénarios produits entre 2011 et 2014 ont été réalisés par des hommes. Dans le même laps de temps, seulement 19 % des fonds en longs métrages ont été accordés à des femmes.

Ces pourcentages pour le moins accablants indiquent avec éloquence que même si la parité était un mot à la mode, dans les faits, les films pilotés par des hommes ont été systématiquement favorisés. Moins par souci de qualité que par conditionnement.

Comme l’écrivait fort bien le groupe des Réalisatrices équitables dans le mémoire qu’elles ont déposé à l’Assemblée nationale en 2011 : « Depuis la naissance du 7e art, nous sommes inondés par des histoires racontées et mises en images par des hommes. Nous avons tous baigné dans cette façon de présenter la vie à l’écran et nous sommes tellement imprégnés par cette façon de faire que quand un projet semble se distancer des codes habituels, nous avons tendance à le rejeter. »

Tout n’est pas gagné

Avec un objectif précis et des mesures appropriées, les choses devraient changer et favoriser l’émergence d’une nouvelle génération de réalisatrices et de scénaristes d’ici. Mais tout n’est pas gagné, tant s’en faut. D’abord les mesures favorisant les femmes sont fondées sur le principe du « à qualité égale », un principe hautement subjectif où le flou peut se glisser subrepticement. Car comment apprécier ou reconnaître cette soi-disant qualité qui met les réalisateurs et les réalisatrices sur un pied d’égalité ? Comment y parvenir quand ceux qui jugent les projets de demain sont les mêmes qui jugeaient les projets d’hier ? 

La question se pose d’autant plus qu’à Téléfilm Canada, l’équipe qui analyse les projets et approuve leur financement compte 16 personnes. Or sur ces 16, 14 étaient et sont des femmes, contre seulement 2 hommes. C’est donc dire que même avec une forte représentation féminine chez les analystes, un biais inconscient a eu préséance pendant toutes ces années.

Or ce biais inconscient existe partout et vient de s’illustrer avec éclat avec l’élection de Trump. Même si Hillary Clinton avait toutes les qualités et les compétences pour être élue à la présidence, on lui a préféré un néophyte démagogue, imprévisible et sans expérience : en grande partie parce qu’il était un homme.

Il y a deux ans, la SODEC a mis au point une mesure pour inciter les producteurs à favoriser les projets proposés par des femmes. Un producteur ne pouvait déposer que deux projets à la fois, sauf si le troisième projet était réalisé par une femme. Or, si on se fie à la dernière liste de projets acceptés en production par la SODEC au printemps, neuf des films financés étaient réalisés par des hommes, contre un seul, par une femme. Beau traitement de faveur…

Dans le monde du cinéma, le biais inconscient (ou carrément conscient) s’exprime souvent à travers le manque de confiance.

On se demande si une femme réalisatrice aura l’autorité nécessaire pour diriger une équipe. Finalement, au moment de choisir entre un film réalisé par un homme ou par une femme, on prétextera le manque d’expérience de la réalisatrice pour accorder le financement au film du réalisateur.

Mais tout cela, en principe, est bel et bien révolu. L’ONF a donné le ton en mars en décidant de consacrer 50 % de son budget aux projets de femmes. Téléfilm Canada vient d’emboîter le pas. On espère que la SODEC ne tardera pas à suivre, tout simplement parce que nous sommes en 2016 et que si personne ne bouge, les choses n’avanceront pas.

En attendant, bravo à Téléfilm. Pour paraphraser un célèbre astronaute, les nouvelles mesures sont un petit pas pour l’humanité, mais un grand pas pour le cinéma des femmes.

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