Projet de loi sur les pratiques policières

Une modernisation de façade

Alors que les rapports, les enquêtes et les dénonciations se sont accumulés dans les dernières années en regard des pratiques policières au Québec, le projet de loi 14 déposé par le François Bonnardel pour « moderniser la pratique policière » ne propose, au mieux, qu’une simple modernisation de façade.

De surcroît, le caractère expéditif de la consultation en commission parlementaire et le fait que la plupart des intervenants invités sont des organisations policières, des syndicats policiers ou des membres policiers laisse peu de place aux citoyens et aux citoyennes, aux communautés comme aux organismes de défense des droits. De l’espace et du temps pour participer à la modernisation des pratiques policières alors qu’il s’agit d’un enjeu démocratique d’importance.

L’exigence d’un véritable contrôle démocratique

Par leur rôle et leurs pouvoirs, les organisations policières ne sont pas des institutions comme les autres. Par leur capacité de contrôle, de surveillance, de répression à l’endroit des citoyens, les organisations policières doivent s’inscrire dans une relation de confiance forte avec les personnes et la société dans son ensemble en acceptant un véritable contrôle démocratique qui permettra de garantir que les pratiques policières s’exercent sans abus ni discrimination. Or, force est de constater que le projet de loi 14, plutôt que de renforcer le contrôle démocratique de la police, l’effrite.

D’abord, le renforcement du mécanisme de plainte que constitue la déontologie policière, réclamé et attendu depuis fort longtemps, est plus que décevant.

Le projet de loi réduit en fait considérablement le droit de porter plainte auprès du Commissaire à la déontologie policière, en supprimant les plaintes réalisées par les tiers alors que ce sont ces plaintes qui portent le plus souvent fruit en termes de sanctions de policiers. En réduisant les citoyens tiers à un rôle de signalant plutôt que de plaignant, le projet de loi porte atteinte encore davantage au contrôle démocratique de la police, pourtant ô combien nécessaire.

De la même façon, dès la création du Bureau des enquêtes indépendantes (BEI), en 2016, de nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer le manque de transparence et d’impartialité. Après plus de six ans d’enquête du BEI, un simple coup d’œil au site web du BEI permet de constater que malgré plus de 200 enquêtes où au moins un policier ou une policière a été impliqué dans le décès ou des blessures graves sur au moins un citoyen, aucune enquête ne s’est conclue par le dépôt d’accusation par le Directeur des poursuites criminelles et pénales. Et pourtant en moyenne, le BEI a ouvert une enquête par semaine depuis sa création, c’est donc dire que les pratiques policières posent de sérieux enjeux de vie ou de mort au Québec alors que dans de nombreux pays, ces enjeux sont limités, voire inexistants. Moderniser la loi de la police aurait été assurément une occasion de revoir le travail du BEI pour renforcer le rôle des citoyens à l’endroit des pratiques policières qui conduisent aux décès ou à des blessures graves de personnes. Pourtant, le projet de loi 14 est silencieux sur ce point.

Non seulement le projet de loi oublie de renforcer le contrôle démocratique des organisations policières, mais plus encore, il remet encore et encore le fardeau d’une pratique policière exempte d’abus et de discrimination sur les citoyens qui ont subi des préjudices.

Certes, des agents de liaison devraient accompagner les plaignants devant la déontologie policière. Mais, là encore, alors que le délai pour porter plainte avait été allongé à trois ans dans le projet de loi 18 mort au feuilleton cet automne, on revient maintenant à un délai d’un an. À aucun moment on ne semble se préoccuper des enjeux de représailles ou des difficultés des personnes à porter un processus de plainte contre des agents de police et surtout, on oublie que derrière un abus, une discrimination, il y a des logiques institutionnelles et organisationnelles qu’aucune plainte individuelle ne saura dénouer. Cette réforme de façade de la déontologie ne vient pas répondre aux préoccupations maintes fois formulées par les communautés, soit les délais de traitements très longs, le très faible taux de plaintes qui mènent à des sanctions et les sanctions disciplinaires souvent dérisoires imposées aux policiers.

Plutôt qu’interdire les interceptions routières comme les interpellations sans motif, malgré des décisions judiciaires et des études qui ont montré leurs effets délétères, le projet de loi propose une illusion d’encadrement par des lignes directrices établies par le ministère de la Sécurité publique et des redditions annuelles de comptes des organisations policières. L’urgence est de revenir à notre État de droit qui protège les citoyennes et les citoyens des abus, des profilages, de l’arbitraire et de la partialité en offrant à la population, aux communautés, le droit de circuler sur la route comme dans l’espace public sans être entravé par des décisions arbitraires et discriminatoires.

La modernisation des pratiques policières au Québec est assurément une nécessité. Cet exercice doit s’inscrire dans une volonté politique forte de transformation en profondeur de cette institution, de son rôle, de ses pouvoirs et de ses contrôles. Le projet de loi ne propose qu’une révision de pacotille qui laisse les enjeux d’abus et de profilage se maintenir, offrant aux organisations policières la possibilité de continuer à agir sans égard pour les citoyens qu’elles doivent desservir. Les consultations sont à l’image de cette modernisation : un exercice de façade.

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