Itinérance féminine

Chez Doris, le jour et la nuit

Depuis 45 ans, Chez Doris accueille des femmes vulnérables et en situation d’itinérance à son refuge de jour. Grâce aux dons considérables qu’il a reçus dans la dernière année, l’organisme peut élargir son offre de service et ouvrir un refuge de nuit pour femmes en situation d’itinérance et une résidence permanente. Des ressources qui arrivent à un moment où l’itinérance féminine connaît un triste essor à Montréal.

Des besoins qui explosent

« Avant la pandémie, environ 20 % à 30 % de notre clientèle était en situation d’itinérance, illustre Marina Boulos-Winton. En ce moment, ce sont plus de 80 % des femmes qui utilisent nos services qui vivent dans la rue. » Interrogée sur cette hausse marquée, la directrice générale de Chez Doris admet que les causes sont multiples.

Des femmes victimes de violence ont été forcées de fuir leur domicile pendant la pandémie ; d’autres peinent à se trouver un logement abordable ; des mères de famille se sont retrouvées à la rue en juillet dernier, prises de court par l’augmentation du coût de la vie. « Dans de tels cas, les enfants sont placés par la DPJ, le temps qu’elles se trouvent un logement décent et puissent ravoir la garde. »

Le visage de l’itinérance change

Pour l’équipe derrière l’organisme, les défis à relever sont grands, et surtout inédits. « L’expertise de nos intervenantes a dû évoluer, explique Marina Boulos-Winton. Les besoins psychosociaux sont beaucoup plus lourds. » Les services socio-récréatifs qui constituaient autrefois le cœur de Chez Doris – les activités artisanales, les journées spa, les ateliers de musique – sont maintenant chose rare dans l’enceinte du refuge de jour. Les besoins de base ont pris le dessus.

Et ce qui manque en ce moment, ce sont des lits. Face aux besoins criants de l’itinérance pendant la pandémie, Chez Doris est devenue une ressource 24/7, avec les moyens du bord : en louant l’étage d’un hôtel pendant quinze mois, en aménageant ensuite des lits de camp dans des bureaux à son refuge de jour pour accueillir environ 25 femmes chaque nuit, en procédant à une gymnastique quotidienne pour transformer l’espace en dortoir le soir et en effacer les traces le matin.

« À Montréal, il manque plus d’une centaine de lits dans les refuges chaque soir. Les chiffres sont là pour le prouver : l’itinérance a doublé ces dernières années. »

— Marina Boulos-Winton, directrice générale de la Fondation du refuge pour femmes Chez Doris

Deux nouveaux refuges à Montréal

Grâce à la plus grande campagne de financement de son histoire, Chez Doris a pu récolter plus de 15 millions de dollars en dons et subventions. Cette somme record permet entre autres de financer l’ouverture de deux nouveaux points de service. Le premier a reçu ses premières usagères le 19 septembre dernier. La résidence permanente comptant 26 studios sera, quant à elle, prête en 2023, dotant ainsi Montréal d’une combinaison de nouveaux logements sociaux et de logements abordables.

Ce premier refuge de nuit à voir le jour sous l’enseigne Chez Doris a été entièrement pensé pour accueillir les femmes dans la dignité. « Le refuge compte 22 cubicules superposés, à la façon de pods japonais, chacun doté de son propre système d’éclairage et de ventilation », dit Marina Boulos-Winton. À ces « bulles » d’intimité s’ajoutent deux lits en chambre privée pour recevoir les femmes en crise ou ayant des besoins particuliers, quatre douches ainsi qu’un espace buanderie. Contrairement à la plupart des autres ressources du genre sur le territoire montréalais, l’endroit est adapté aux personnes à mobilité réduite et admet les animaux de compagnie des femmes qui y trouvent refuge.

« Ça fait deux ans que je vis surtout dans la rue et c’est vraiment pas facile, encore moins quand tu es une femme. C’est dangereux, pis c’est fatigant de pas savoir où tu vas dormir la prochaine nuit. […] Je dors à Chez Doris et j’y mange trois repas par jour depuis quelques mois et c’est vraiment bien. J’ai même eu une chambre isolée dans la maison lorsque j’ai eu la COVID et que personne ne voulait m’accueillir. […] J’ai hâte de pouvoir dormir au nouveau refuge. C’est beau, c’est propre et on va avoir notre propre espace pour dormir et mettre nos affaires.  »

— Frédérique, une cliente qui utilise les services offerts à Chez Doris

Le financement, toujours une priorité

Chez Doris répond aux besoins les plus élémentaires des femmes en situation précaire. Trois repas par jour, un lit, une douche, des produits hygiéniques, des programmes d’aide adaptés aux besoins grandissants, un service de placement en logement, du soutien en santé mentale, des soins infirmiers, des services juridiques et financiers… « Seul 25 % de notre budget provient de soutien gouvernemental », indique Marina Boulos-Winton. Tout le reste, ce sont les donateurs qui le rendent possible.

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