Transferts en santé

Pourquoi les provinces quémandent-elles ?

Pourquoi une hausse de 35 % ? Et pourquoi autant d’argent quémandé au fédéral dans une période où le fédéral accumule des déficits records ?

C’est la question que je me suis posée quand les provinces ont réclamé, l’automne dernier, une hausse de 35 % des transferts fédéraux en santé. Le chiffre, très gros, semblait sorti tout droit d’un chapeau de la part de François Legault, qui préside le Conseil de la fédération.

C’est finalement vendredi qu’est venue la réponse dans un rapport rendu public sur la question, et produit par les ministres des Finances des provinces et des territoires. L’ensemble des premiers ministres des provinces ont fait front commun, lors d’une conférence de presse, jeudi, pour réclamer plus de fonds à Ottawa.

Nul doute que ce rapport de 21 pages est un document politique, et non une étude, disons, scientifique. On y martèle presque à toutes les pages qu’il faut une hausse de 35 % des transferts en santé, avec des passages soulignés, arguant qu’au bout du compte, leur proposition serait « un bénéfice net pour les Canadiens ».

Mais au-delà de cette question de négociations, le rapport explique bien les raisons du désarroi des provinces face à leurs responsabilités financières et les raisons qui justifient qu’Ottawa doive s’engager davantage dans le financement de la santé.

Il est basé sur une étude du Conference Board, payée par le Conseil de la fédération, faut-il le souligner. Les doléances des provinces ont des appuis crédibles dans d’autres études, toutefois, notamment celle du Directeur parlementaire du budget (DPB) et celle de l’économiste de l’Université de Calgary Trevor Tombe.

D’abord, un rappel lucide : la santé accapare une part grandissante du budget des provinces. En 1982, 31 % de leurs dépenses de programme y étaient consacrées, contre 41,4 % aujourd’hui.

Et cette hausse progressive n’est pas près de ralentir, avec le vieillissement de la population, l’inflation des services de santé et les effets à plus long terme de la pandémie. Selon le rapport, qui cite abondamment le Conference Board, les dépenses de santé s’accroîtront de 5 % par année d’ici 20 ans (le DPB parle de 4,3 %).

Près de la moitié de cette croissance viendra de l’inflation en santé – notamment les nouveaux médicaments et les nouvelles technologies –, tandis que 19 % des dépenses seront attribuables au vieillissement de la population, 18 % à la croissance de la population et 17 % aux nouveaux services (notamment voués à la santé mentale).

Tant et si bien que la dette nette des provinces gonflera de 35 points de pourcentage d’ici 2040 si rien n’est fait, la faisant passer de 36 % du PIB à 71 % du PIB, selon le Conference Board. Wow !

Et pendant ce temps, celle du fédéral serait réduite de 55 % à 34 % du PIB.

Certes, à court terme, le déficit du fédéral restera monstrueux, mais le Conference Board et le DPB sont d’avis que ce déficit se résorbera à moyen terme, n’étant pas miné par des éléments récurrents, tandis que ceux des provinces, qui assurent les services à la population, poursuivront leur forte progression.

En maintenant le statu quo dans les dépenses de santé, la part du fédéral dans le financement passerait de 22 % aujourd’hui à 20 % dans 10 ans et à 18 % en 2040.

Pour corriger le déséquilibre et combler les besoins, les provinces demandent qu’Ottawa fasse grimper sa part du financement dès maintenant à 35 %, ce qui équivaut à une hausse costaude de 28 milliards de dollars.

Ce bond ferait, bien sûr, augmenter la dette nette du fédéral à 60 % du PIB, proportion qui resterait stable pendant plusieurs années, avant de reculer à 57 % du PIB en 2040. Mais elle aurait pour effet de faire croître celle des provinces à « seulement » 44 % du PIB en 2020, plutôt qu’à 71 %, selon les projections du Conference Board.

Les deux dettes combinées (fédérale et provinciales) seraient moindres qu’avec le statu quo, notamment parce que le fédéral est en mesure de se financer à meilleur coût que les provinces.

Bref, il y aurait un meilleur équilibre, selon le rapport.

Pourquoi demander une hausse de 35 %, et non 30 % ou 40 % ? Le chiffre paraît encore arbitraire, mais il appert que c’est le taux qui stabiliserait la dette nette du fédéral à quelque 60 % du PIB. Ce niveau d’endettement, en passant, ramènerait le fédéral au niveau très élevé des années 1990.

Le premier ministre Justin Trudeau s’est montré ouvert à cette demande. « Absolument, on va s’asseoir pour parler avec les provinces et territoires de comment on va augmenter les transferts en santé et s’assurer que les Canadiens soient bien servis par un système de santé renouvelé post-pandémie », a-t-il déclaré en conférence de presse, comme l’a rapporté La Presse Canadienne.

« Mais ces conversations-là doivent avoir lieu après qu’on ait passé à travers cette crise actuelle. »

Une question reste sans réponse, selon moi, et elle est cruciale : comment les Canadiens pourront-ils financer des dépenses de santé en hausse de 5 % par année, alors que l’économie croît seulement au rythme de 3,9 %, comme c’est le cas depuis 10 ans1 ?

Il faudra nécessairement que le système planche sur d’importants gains de productivité – par exemple la télémédecine –, chose que n’explore pas le rapport. Et encore, comme il est difficile de faire de grands gains de productivité en santé, il faudra s’interroger sur les services que les Canadiens auront les moyens de s’offrir.

Par exemple, il semble illusoire de penser que nous pourrons ajouter de nouveaux services payés par l’État sans en exclure d’autres. Mais même sans ces nouveaux services, la croissance des dépenses de santé passerait de 5 % par année à 4,1 %, ce qui demeure supérieur à la croissance économique.

Conclusion : préparez-vous dès aujourd’hui à ne pas être trop malade demain.

1. Il s’agit de la croissance nominale annuelle moyenne du PIB au Canada entre 2009 et 2019. La croissance réelle, après soustraction de l’inflation, a été de 2,2 %.

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