S’il fallait dénoncer chacun des propos démagogiques prononcés par Pierre Poilievre, nous serions fort occupés.

Mais il y a des moments où le chef conservateur surpasse ses propres standards. C’est arrivé cette semaine lorsqu’il a tenté de faire adopter une motion concernant les surdoses de drogue qui déferlent sur le pays.

La motion a été défaite en Chambre – heureusement !

Mais cela n’efface pas le fait que M. Poilievre et son parti ont choisi de détourner une crise majeure de santé publique pour la transformer en enjeu partisan.

Ils ont décidé de propager de fausses informations sur des questions de vie et de mort – littéralement – avec un incroyable manque de sensibilité.

Comme contribution publique, c’est particulièrement déplorable.

Chaque jour, 20 Canadiens meurent d’une intoxication aux opioïdes. C’est presque un décès par heure, toutes les heures, tous les jours.

PHOTO MAX WHITTAKER, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

« Chaque jour, 20 Canadiens meurent d’une intoxication aux opioïdes », écrit Philippe Mercure.

Face à un tel fléau, les élus ont la responsabilité de laisser la politique au vestiaire et de contribuer à trouver des solutions.

Le chef de l’opposition officielle a plutôt choisi de tirer dans la chaloupe de ceux qui sauvent des vies.

La motion conservatrice demandait au gouvernement Trudeau de « renverser immédiatement ses politiques mortelles ».

Les mots sont gros – on pourrait dire grossiers. Ils sont aussi complètement faux.

Les conservateurs font ici référence à ce qu’on appelle « l’approvisionnement plus sécuritaire », qui consiste à fournir des drogues de qualité médicale à certains toxicomanes.

Depuis un moment déjà, M. Poilievre dépeint le gouvernement Trudeau comme un revendeur de drogues dures qui contribue au problème des surdoses en inondant les rues de substances dangereuses qui sont ensuite revendues.

Cette caricature irresponsable n’a rien à voir avec la réalité.

L’approvisionnement plus sécuritaire découle du fait que les drogues illégales qui circulent sont de plus en plus contaminées, mélangées et dangereuses. Leur concentration variable met aussi les consommateurs à risque. Lorsque la force des drogues diminue, ceux qui en sont dépendants augmentent leurs doses pour atténuer leurs symptômes de sevrage. Quand la concentration remonte, ils tombent comme des mouches.

L’idée est de remplacer ces drogues illégales par des substances non contaminées, à la concentration connue. L’approvisionnement plus sécuritaire est toujours un traitement de dernier recours, offert à ceux chez qui toutes les autres approches ont échoué.

Si M. Poilievre se donnait la peine de lire la littérature scientifique au lieu de dire n’importe quoi, il verrait que, loin d’être « mortelles », ces pratiques sauvent des vies.

En Europe, de nombreuses études ont montré que l’approvisionnement plus sécuritaire favorise la santé physique, psychologique et sociale des patients. Il conduit à une réduction de la consommation de drogues illégales et de la criminalité1,2,3,4.

Au Canada, où ces pratiques sont plus récentes, les impacts sont moins bien documentés, mais pointent néanmoins clairement dans la même direction.

« […] le programme a conduit à d’importants déclins dans les admissions aux urgences, dans les hospitalisations, dans les admissions pour des infections incidentes et dans les coûts pour le système de santé […] », peut-on notamment lire dans une étude ontarienne récente5.

M. Poilievre, un homme intelligent, sait probablement tout cela. Mais il préfère véhiculer des mensonges et agiter des épouvantails pour servir ses propres intérêts. Compte tenu des enjeux, ça donne mal au cœur.

Cette mauvaise foi n’a rien d’inoffensif. Pierre Poilievre aspire à devenir premier ministre. Dans l’éventualité où il était élu, on l’imagine mal effectuer un virage à 180 degrés après avoir tenu de tels propos et débloquer des fonds pour la réduction des méfaits entourant les drogues.

À chaque déclaration à l’emporte-pièce, Pierre Poilievre se peinture ainsi dans un coin, s’éloignant de la possibilité d’accoucher de politiques censées et basées sur les faits.

Dans le cas des surdoses, ce n’est pas simplement contre-productif. C’est carrément dangereux.

On peut spéculer sur les objectifs poursuivis par Pierre Poilievre. Une chose est toutefois claire : il ne s’agit pas de sauver des vies.

1. Lisez « Medical prescription of heroin to treatment resistant heroin addicts : two randomised controlled trials » 2. Lisez « Long-term effects of heroin-assisted treatment in Germany » 3. Lisez « Outcome of long-term heroin-assisted treatment offered to chronic, treatment-resistant heroin addicts in the Netherlands » 4. Lisez « Supervised injectable heroin or injectable methadone versus optimised oral methadone as treatment for chronic heroin addicts in England after persistent failure in orthodox treatment (RIOTT) : a randomised trial » 5. Lisez « Clinical outcomes and health care costs among people entering a safer opioid supply program in Ontario » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion