Adib Alkhalidey

Être ou ne pas être… québécois

Dans son nouveau spectacle qu’il présente depuis mars, Adib Alkhalidey affirme haut et fort qu’il est un Québécois tabarnak. Discussion sur le thème des racines avec un humoriste qui voudrait que tout le monde joue dans la même équipe.

Nous avons donné rendez-vous à Adib Alkhalidey au parc Painter, en plein cœur du Petit Beyrouth, à Montréal. C’est dans cette enclave située dans le nord-est de l’arrondissement de Saint-Laurent que l’humoriste de 34 ans a grandi. Mais même s’il revient souvent dans le quartier, c’est toujours au passé qu’il songe en traversant ce parc qui a été « toute sa vie ».

« Chaque fois, il y a 10 000 souvenirs de mon enfance et de mon adolescence qui remontent », raconte-t-il en regardant les lieux, déserts en cet après-midi de semaine.

« C’est ici que j’essayais de jouer au basket, mais je n’étais pas bon, on ne me laissait pas... J’ai travaillé à la piscine comme sauveteur. J’ai chillé sur ce banc. Ma mère m’interdisait même de venir par moments ! »

Il sourit. « Tellement de choses ont changé dans ma vie. Mais ici, ça n’a pas tant changé. »

Depuis deux ans, l’humoriste-acteur-scénariste-chanteur, qui est né d’un père irakien et d’une mère marocaine et qui est arrivé au Québec à l’âge de 8 mois, utilise sa tribune pour parler d’inclusion, de représentation et de racisme. En le voyant au Gesù ce printemps, on a eu l’impression qu’il avait mis toute cette réflexion dans ce nouveau spectacle corrosif, extrêmement drôle, qui gratte là où ça fait mal et qui émeut aussi.

« Je pense que j’ai flippé le discours de bord, analyse-t-il. Je ressentais que la manière dont je l’abordais depuis deux ans, ça créait des équipes. Les gens étaient pour ou contre, mais ce n’est pas ça que je voulais ! Je cherche une façon d’appartenir à une équipe, dans laquelle il pourrait y avoir des gens avec qui je ne suis pas d’accord, mais une seule équipe quand même. »

Coup de pied

En travaillant sur ce nouveau spectacle, celui dont la quête identitaire dure depuis toujours – « Je pense à ça depuis que je suis né, depuis que je sais que je ne suis pas comme tout le monde » – a fini par trouver son refuge dans cette idée qu’il « est » un artiste québécois. Et cela, que ça nous plaise ou non.

« Parce que j’ai vécu toute ma vie ici, peu importe où je vais aller sur Terre, je serai toujours un résultat de cette société. Et ça, c’est indéniable. Ma nature appartient à cette culture qui m’a sauvé et dans ça, il y a tout ce que je porte. »

C’est donc devenu le fil rouge de ce spectacle où il joue avec les clichés et se moque des préjugés, tant les siens que les nôtres, triture la langue et les expressions. Il faut le dire, ce spectacle d’Adib Alkhalidey est moins « mignon » que ses précédents, vise sérieusement dans le mille et ne fait pas de quartier.

« Ce show me donne un coup de pied au cul, et aussi au public. Mais le bon coup de pied, là. C’est OK, on saute, on a assez trempé nos orteils dans la piscine, on y va, go ! Il n’y a plus de demi-mesure. »

— Adib Alkhalidey

Résultat : jamais il n’a autant senti que son art résonnait que dans ce spectacle où se superposent les niveaux de lecture. On peut s’y taper les cuisses sans se poser davantage de questions, « et c’est très bien comme ça », pleurer de rire... ou pleurer tout court.

« Je reçois des témoignages qui me chavirent, des gens en larmes, qui me laissent des messages vocaux après être sortis du show complètement ébranlés », raconte l’humoriste, qui commence à peine à mesurer l’impact du spectacle sur les gens.

Expérience humaine

Adib Alkhalidey veut bien continuer d’assumer son rôle de bâtisseur de ponts. « Il n’y a rien de plus vrai que des ponts », lance-t-il. Mais c’est maintenant l’analogie des racines qui l’intéresse : le déracinement des immigrants, l’enracinement qui nous aide à pousser droit, et surtout, les racines communes.

« Je suis époustouflé depuis que j’ai lu que les arbres communiquent entre eux, que sous la terre toutes les racines sont interconnectées. C’est vraiment cette image qui a accompagné l’écriture de ce spectacle. »

— Adib Alkhalidey

Le cœur du spectacle est d’ailleurs consacré à l’histoire de son père, qui a fui l’Irak et parcouru un bien long chemin « sans chaussures » avant d’aboutir un jour au Québec avec sa famille. Une histoire qu’il a eu l’impression d’entendre vraiment pour la première fois peu avant sa mort, alors qu’il était à l’hôpital.

« Ça m’a frappé différemment... Je pense que je n’avais jamais vraiment écouté un être humain avant ça. Mon père m’a tout raconté et à la fin, lui qui était très pudique, il a pleuré et il m’a dit : “C’est la première fois que quelqu’un me demande de raconter mon histoire.” »

Sa voix se casse un peu sur le dernier mot. Court silence, malgré la casquette et les lunettes fumées, on sent l’émotion qui le gagne. « Alors c’est pour ça que je la raconte. »

Surtout, ajoute-t-on, que ce récit est celui de tous les immigrants, ceux d’hier, d’aujourd’hui et de demain. « De tous les humains ! », lance Adib Alkhalidey, qui s’enflamme.

« Tous les humains appartiennent à une terre et sont arrachés à une terre, ont un morceau qu’ils cherchent à replanter. On ne le vit juste pas au même moment. Il n’y a pas quelque chose là-dedans qui nous unit ? Ça fait partie de l’expérience humaine, et c’est ce qui me propulse dans ce spectacle. »

Avancer

Pour annoncer son nouveau spectacle, l’humoriste a fait peu de promotion ou de publicité, préférant le bouche à oreille. « Le plus beau de tous les miracles », dit-il.

« C’est la plus belle chose qui me soit arrivée dans ma vie artistique, des gens qui militent pour que leur entourage vienne te voir. Ça donne de la force. Tu te réveilles le matin et tu te dis : je ne suis pas tout seul. »

Pour l’instant, Québécois tabarnak n’a été présenté qu’au Gesù, à Montréal, et une supplémentaire est prévue à la salle Maisonneuve de la Place des Arts. Adib Alkhalidey se produira aussi dans des salles de la région montréalaise, mais pas beaucoup plus loin. « L’affaire, c’est que j’aime beaucoup dormir chez moi. » Mais bon, il se laissera peut-être convaincre d’aller dormir au motel quelques fois, si on insiste.

« On m’en parle tellement de ce show. Ce ne serait pas honorer cette histoire de ne pas aller la raconter à des gens qui ne peuvent pas se déplacer. » Ce qui est certain par contre, c’est que dans un an, ce sera terminé.

« Je ne ferai pas 150 représentations. Je ne peux pas, ce show parle en partie de l’après-pandémie », dit l’humoriste, qui a d’autres projets sur le feu, une série télé en développement, un deuxième album à venir.

La finale de Québécois tabarnak est d’une puissance hors du commun – on ne la dévoilera pas ici, par respect pour ceux et celles qui iront voir le spectacle. Adib Alkhalidey, lui, veut continuer de réfléchir et de « faire spinner la roue », en ne croyant qu’à une chose : nous ne sommes qu’un. C’est sa manière d’y contribuer, et il est loin d’avoir l’impression que c’est une cause perdue. Même si, de son propre aveu, il n’est « plus sûr » de ce qu’il fait.

« Mais je vais dans une direction où, au moins, j’ai l’impression que j’avance. Je me laisse porter par ce spectacle dans lequel j’avais envie de raconter une histoire, mais qui, bizarrement, parle à tout le monde. Et qui fait en sorte que les gens me racontent la leur après. »

— Adib Alkhalidey

De la nourriture pour les spectacles à venir ? « C’est nourrissant pour le cœur », répond-il.

« Ça me rapproche de l’idée qu’il y a tellement plus de choses possibles quand on trouve le moyen de se parler. On dirait que c’est ça que mon père voulait me dire avant de mourir : écoute les autres. »

L’entrevue est terminée. Les jeunes du quartier reviennent de l’école et le parc Painter a repris vie. Adib Alkhalidey se lève, nous remercie la main sur le cœur de lui avoir donné rendez-vous ici. « C’est la première fois en 10 ans de carrière. » Il ne rentrera pas tout de suite chez lui, car il a rendez-vous chez la meilleure amie de sa mère pour se faire couper les cheveux, juste à côté, dans l’immeuble où il vivait enfant.

C’est pas mal ça, être enraciné.

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