Soccer

Aux bons souvenirs de la Coupe du monde 1974

Un certificat de participation à la Coupe du monde 1974 est posé sur une table basse, dans un coin du salon. Une photo de la sélection haïtienne, tout juste encadrée, patiente sur le canapé de cette résidence du quartier Saint-Michel, à Montréal.

Sitôt la main serrée, Guy François, ancien milieu de terrain des Grenadiers, s’empare de l’objet pour nous montrer le groupe qui a disputé la Coupe du monde, en Allemagne de l’Ouest. Lui se situe dans la rangée du milieu tandis qu’Eddy Antoine, qui le rejoint quelques minutes plus tard, est juste au-dessus. Les deux hommes, qui vivent au Québec depuis de nombreuses années, auront l’occasion de retrouver huit de leurs coéquipiers lors d’un brunch organisé, demain dès 10 h, au Centre de la jeunesse ukrainienne.

Près de 42 ans après cette épopée, les « souvenirs des beaux jours », expression que l’on retrouve en gros sur la photo, ne se sont pas estompés. À une époque où le tournoi ne comptait que 16 participants et où la CONCACAF ne comptait qu’un représentant, François, Antoine et consorts ont écrit la plus belle page du sport haïtien. Avec, en guise d’introduction, un tournoi de qualification disputé et remporté à domicile, dans la ferveur de Port-au-Prince. « C’était de la folie. Tout le monde était en joie et en liesse même si notre dernier match s’était soldé par une défaite », se remémore François, qui fait le parallèle avec une ambiance de Mardi gras.

Deux semaines plus tard, en janvier 1974, le tirage au sort ne dissipe pas cet enthousiasme. Pour sa première – et seule – présence au Mondial, Haïti se retrouve dans le même groupe que l’Italie, alors championne à deux reprises, l’Argentine et la Pologne, qui finira troisième du tournoi. La presse européenne regarde la sélection haïtienne avec un mélange de curiosité et d’arrogance. Mais, à l’interne, on ne s’imagine pas faire uniquement de la figuration. 

« Quand tu fais partie du groupe des 16 qualifiés, tu es un grand, soutient Antoine. On n’avait pas peur, on savait qu’on avait une bonne équipe. »

— Eddy Antoine, qui a participé à la Coupe du monde de 1974 au sein de l’équipe haïtienne

Son premier match du tournoi illustre l’insouciance d’un groupe dont la moyenne d’âge dépasse tout juste les 25 ans. Face à lui se dresse l’Italie des Riva, Rivera, Chinaglia, Mazzola et du mythique gardien Dino Zoff qui, en sélection, n’a pas accordé le moindre but en près de deux ans. Une décharge électrique parcourt donc le Stade olympique de Munich lorsqu’Emmanuel « Manno » Sanon, lancé dans la profondeur par Philippe Vorbe, ouvre le score au début de la deuxième mi-temps. À cet instant, David peut espérer un exploit contre Goliath qui domine pourtant le match.

« Les Italiens pensaient qu’ils pourraient marquer 10 ou 20 buts en première mi-temps. Mais quand elle s’est terminée, ils étaient déçus et ils ne s’attendaient pas à ce qui allait arriver en deuxième mi-temps. On devait marquer un deuxième but automatiquement pour les battre. S’ils l’avaient pris, ils allaient perdre. Mais on a temporisé le jeu », commence François.

« C’est ça, ils ont ouvert la machine. Eux autres étaient des professionnels. Tout autant qu’ils n’ont pas pris un deuxième but, ils ont pesé sur l’accélérateur, ils ont persévéré et on a perdu 3 à 1 », ajoute Antoine, arrivé à Montréal en 1977.

Les deux amis, titulaires cette journée-là, revivent le match avec moult détails : l’ambiance dans le vestiaire à la mi-temps, les occasions ratées, l’égalisation italienne, la blessure aux adducteurs d’un coéquipier… L’après-match est tout aussi vif dans leurs esprits avec l’exclusion, pour un contrôle positif, du défenseur Ernst Jean-Joseph. Le ressort est brisé pour la délégation haïtienne qui s’insurge du traitement infligé tandis que de fortes suspicions de dopage pesaient sur d’autres sélections plus puissantes.

Par la suite, Haïti perd ses deux derniers matchs de groupe contre la Pologne (7 à 0) et l’Argentine (4 à 1). Mais l’important est ailleurs. 

« On ne gagnait pas une fortune, il n’y avait pas d’argent. Mais on jouait pour l’amour du club et pour le pays. On voulait faire savoir qui est Haïti et on l’a fait. J’ai pris du plaisir à jouer pour Haïti. »

— Eddy Antoine

Le rapport technique de la FIFA, publié dans la foulée du tournoi, a dépeint l’image d’une équipe douée physiquement, techniquement et guidée par un buteur athlétique, Sanon. En 2014, le quotidien anglais The Guardian a classé ce match, et le but haïtien, au 12rang des moments étonnants de la Coupe du monde.

DISPERSÉS, MAIS TOUJOURS PROCHES

La phase finale de 1974 a ouvert des portes à plusieurs joueurs des Grenadiers. Le rapide attaquant Sanon, mort en 2008, a notamment disputé six saisons au sein du championnat belge avant de prendre le chemin de l’American Soccer League (ASL). François et Antoine ont également foulé les terrains nord-américains, respectivement à Cincinnati et à Chicago. Malgré la distance ou les années qui défilent, le Mondial allemand, apothéose d’une longue aventure humaine et sportive en sélection, a uni ce groupe pour toujours.

Le banquet d’honneur aura donc des allures de retrouvailles pour ces joueurs qui ont toujours gardé le contact, qu’ils vivent à Montréal, New York, Miami ou Port-au-Prince. « Cette équipe, je ne vais jamais, jamais, au grand jamais de ma vie, l’oublier. Je me rappelle le visage de tous ces gens, dit Antoine, en passant sa main sur la photo de la sélection. Je les aime tous, ce sont mes amis. Je les appelle tout le temps pour savoir comment ils vont. »

Demain, ce sera une occasion en or de faire le point et de prendre des nouvelles de vive voix. Un beau moment, également, pour se souvenir d’une équipe qui, l’espace de quelques minutes, a fait trembler un ténor du soccer mondial…

Le brunch d’honneur aura lieu de 10 h à 14 h au 3270, rue Beaubien Est.

Joueurs présents : Gérard Joseph, Fritz André, Pierre Bayonne, Wilner Nazaire (cap.), Jean-Hubert Austin, Wilfried Louis, Jean-Claude Désir, Eddy Antoine, Guy François et Joseph Marion Leandré

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