LA MINISTRE QUI NE VEUT PAS DES MIGRANTS

Souverainismes, inégalités, sparadraps : non, la crise migratoire en Europe ne se résorbera pas en 2023. Un sujet à propos duquel Suella Braverman risque de faire beaucoup jaser au Royaume-Uni.

L’année 2022, tendue sur le front migratoire, s’est terminée sur une note controversée. Au grand dam des organisations humanitaires, la Haute Cour de Londres a validé fin décembre le projet du gouvernement britannique d’expulser ses demandeurs d’asile vers le Rwanda.

Personne au Royaume-Uni ne s’est autant réjoui de cette décision que la ministre de l’Intérieur, Suella Braverman. Deux mois plus tôt, Mme Braverman, 42 ans, avait formulé son « rêve » de « voir un avion décoller pour le Rwanda » pour Noël, avec à son bord des demandeurs d’asile arrivés « illégalement » en Angleterre.

Ses vœux n’ont pas été exaucés à temps pour le réveillon, mais Mme Braverman semble bien décidée à mener le projet à exécution au cours de 2023.

La très droitière politicienne, qui est elle-même un produit de l’immigration (ses parents sont originaires de l’île Maurice), a fait de la question migratoire une priorité, et se dit prête à employer tous les moyens pour dissuader les migrants de traverser la Manche de façon clandestine.

Dans une entrevue accordée à la mi-décembre au Time, son message aux demandeurs d’asile était d’ailleurs assez « clair » : « Si vous venez ici […] illégalement sur de petits bateaux, en enfreignant nos règles, vous n’aurez pas le droit d’être hébergés ici indéfiniment à la charge du contribuable. »

« Il y aura une réponse très rapide à votre arrivée ici. Détention suivie d’un renvoi », y a-t-elle indiqué. Une menace renouvelée mercredi par le premier ministre Rishi Sunak, dans son premier discours de l'année 2023.

À l’échelle européenne

Le système d’asile britannique serait actuellement débordé. Et le dossier migratoire est devenu un véritable enjeu politique au Royaume-Uni, tout particulièrement pour les conservateurs au pouvoir, qui cherchent à « reprendre le contrôle » des frontières dans la foulée du Brexit.

Mais ce n’est là qu’une fraction d’un problème plus vaste, qui continue de se jouer à l’échelle européenne.

Après un ralentissement de deux ans dû à la pandémie, l’immigration « irrégulière » a repris de plus belle en 2022, avec 275 000 entrées enregistrées aux frontières de l’Europe, selon Frontex, l’agence européenne des gardes-frontières. Une hausse de 168 % et 59 % sur les deux principales routes empruntées (Balkans et Méditerranée) par rapport à l’année précédente. Et une source de tension majeure entre les 27 pays membres de l’Union européenne (UE), qui semblent de moins en moins unis dans ce dossier.

Sans surprise, cette tendance à la hausse devrait se poursuivre en 2023.

Les traversées clandestines de la Méditerranée vont se multiplier, et l’UE continuera d’avancer crise après crise, en cherchant à défendre sa « forteresse ».

« Malheureusement, je ne vois pas la situation s’améliorer du tout », résume le politologue François Gemenne, expert en migrations à l’Université de Liège.

M. Gemenne rappelle qu’avec la montée des souverainismes en Europe (Hongrie, Suède, Italie), la question migratoire est devenue un vrai sujet de tension dans l’UE. Les accords de Dublin sur la répartition des demandeurs d’asile sont interprétés de plus en plus librement alors que le pacte européen sur la migration de 2020 semble définitivement mort et enterré. « Le droit international n’existe plus. C’est devenu un fantasme », regrette François Gemenne, ajoutant que les États font aujourd’hui « ce qu’ils veulent » pour défendre leur intérêt national. À commencer par l’Italie, qui a récemment refusé d’accueillir un bateau humanitaire (l’Ocean Viking) avec à son bord des migrants rescapés de la mer, au mépris du droit maritime.

Externalisons, externalisons

Il serait étonnant, à cet égard, que les 27 se solidarisent pour améliorer la gestion de l’accueil de migrants sur le territoire européen. Selon Luna Vives Gonzalez, spécialiste des migrations internationales à l’Université de Montréal, on assistera plutôt au renforcement d’accords visant à externaliser le traitement des demandes d’asile dans les pays « de transit » comme la Turquie, la Libye et le Maroc, afin de limiter en amont les traversées clandestines.

« C’est vraiment la stratégie qui est perçue comme gagnante présentement », résume Mme Vives Gonzalez. Selon elle, le « plan Rwanda » du Royaume-Uni s’inscrit d’ailleurs dans cette tendance, puisqu’il s’agit ni plus ni moins d’une « forme extrême d’externalisation ».

Solution imparfaite, du reste, puisque les pays concernés voudront vraisemblablement profiter de ce levier « pour faire avancer leur propre programme géopolitique ». Et que ce sparadrap sera forcément insuffisant pour casser les patrons migratoires, désormais bien établis.

De fait, le problème ne sera pas réglé tant qu’on ne s’attaquera pas plus précisément à la question des inégalités dans le monde, source principale du problème.

« La pauvreté, la violence, la violation des droits de la personne et maintenant les facteurs économiques avec le coût de la vie qui ne cesse d’augmenter. Voilà les racines de l’immigration, conclut Christine Clark-Kazak, experte de la question à l’Université d’Ottawa. La crise migratoire va donc continuer parce que les raisons qui poussent à la migration sont toujours là… »

Selon l’Agence de l’ONU pour les migrations, au moins 2836 morts et disparitions ont été documentés sur la route de la Méditerranée centrale depuis 2021 (au 24 octobre 2022). Un rapport de l’ONG Caminando Fronteras présenté fin décembre estime par ailleurs que plus de 11 200 migrants sont morts ou ont disparu depuis 2018 en tentant de rejoindre l’Espagne, soit 6 par jour en moyenne…

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