Corps Titan (titre de survie)

Une histoire de résilience

Elle a failli mourir. Écrasée sous un camion. Huit ans plus tard, Audrey Talbot revient sur l’horreur sans nom de cet accident de vélo qui a écorché sa vie, avec un récit par ailleurs lumineux de résilience. Un texte qui touche une sacrée corde, en ces temps de turbulences.

Présenté à partir du vendredi 23 avril, avec un horaire remanié (à cause des nouvelles restrictions sanitaires que l’on sait), Corps Titan (titre de survie) marque aussi le grand retour des activités du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, fermé depuis de longs mois (pour les raisons que l’on sait trop bien aussi). C’est dire s’il sera question ici de renaissance…

« L’idée de revenir sur l’accident a fait son chemin. J’ai fini par prendre conscience que je ne connaissais pas mon histoire. Et ce n’était plus possible, à un certain point, de ne pas savoir… », commente la principale intéressée, la comédienne Audrey Talbot, qui signe ici son premier texte (un travail qui l’a occupée pendant toute la pandémie, faut-il le signaler), sorte de quête documentaire, frôlant par moments le film d’horreur, du tragique fait divers qui fut le sien. En ce 28 mai 2013, coin Molson et Masson, qui était là ? Qu’est-ce qu’ils ont vu ? « Est-ce qu’ils croyaient à une suite pour moi ? »

La réponse courte : non. Personne n’y croyait. Elle allait mourir, et c’était clair. Pour cause : elle était en « morceaux », littéralement. « Les signes de morbidité [étaient] évidents », dira même un ambulancier, retrouvé, interrogé, et cité dans le texte. Le sergent envoyé sur la scène du drame n’a même pas été capable de poser les yeux sur elle. « La scène est trop dure. » Ça vous donne une idée de l’ampleur des dégâts.

Pour reconstruire la scène (et les longs mois d’hospitalisation, de réadaptation et de renaissance qui ont suivi, d’où l’angle lumineux de la pièce, on vous rassure ici tout de suite), Audrey Talbot a fait enquête. Retrouvé toutes ces personnes, – de l’ambulancier à l’urgentologue, en passant par les infirmières et physiothérapeutes – qui l’ont épaulée, littéralement soutenue, bref sauvée. Une enquête qu’on devine chargée d’émotions, et assurément thérapeutique.

« Tout un chacun, on a des épreuves dans la vie. Il faut se relever. Ç’a été la mienne. Mais pour pouvoir regarder vers l’avant, il faut s’attarder à ce qui est arrivé derrière. »

— Audrey Talbot, comédienne et autrice

À sa grande (et agréable) surprise, tous les témoins ont accepté de lui parler. Mieux : tout le monde se souvient. De tout. Distinctement. Précisément. Malgré les années. Ce qui explique sans doute la reconstitution aussi minutieuse, dans les moindres détails, les plus scabreux qui soient.

À ce sujet, Audrey Talbot n’est pas étonnée. Elle le savait : la scène relevait du carnage. On le lui avait dit : elle ne devait pas survivre. Encore moins remarcher. Mais elle a défié tous les pronostics. À force d’entêtement, d’acharnement et de résilience. Ça s’entend dans le texte. Et ça se sent.

« Tu marches tellement bien », s’émerveilleront justement les deux ambulanciers, retrouvés aux fins de sa recherche. Et comment.

Revenir sur un passé pas si lointain aussi crûment, le jouer du surcroît (puisqu’elle incarne ici son propre personnage), constitue aussi pour Audrey Talbot une sorte de « catharsis ». « C’est pour me libérer, même si, dans une certaine mesure, je n’en serai jamais détachée. Je porterai toujours cela en moi », confie-t-elle, dans un long entretien téléphonique, ponctué de nombreux silences et d’autant de réflexions. On devine que l’affaire continue de la secouer. « Mais c’est sûr que c’est à la fois excessivement éprouvant et très libérateur aussi. »

C’est aussi l’une des grandes leçons de cette pièce :

« On peut se relever. Il faut s’accrocher à ce qui nous est cher. On a chacun notre chemin. Ce n’est pas grave si notre chemin n’est pas direct et qu’on n’emprunte pas la voie rapide. »

— Audrey Talbot, comédienne et autrice, après mûre réflexion

Cela étant dit, son intention première est ailleurs. Il s’agit surtout pour elle non pas tant de se libérer de ce passé qui fera finalement toujours partie de son présent que de rendre hommage à tous ceux qui ont contribué à sa survie. Ses proches, bien sûr, qui l’ont soutenue (et quelle triste ironie, par les temps qui courent, et les restrictions imposées, de ne pas pouvoir montrer sur scène le pouvoir guérisseur du toucher), mais aussi tout le personnel hospitalier, sa « nouvelle famille ». « Il était important pour moi de mettre de l’avant le travail de ces gens-là, dit-elle, de qui on entend très peu parler. » Très peu, sauf depuis un an, disons. Exact, concède-t-elle. « Mais avant qu’on se rende compte que ces gens-là étaient essentiels, ils l’étaient… », conclut-elle. Et elle en est la preuve incarnée.

Corps Titan (titre de survie), un texte d’Audrey Talbot mis en scène par Philippe Cyr, prend l’affiche le 23 avril, au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui.

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