un Lancement sur deux roues

Le recueil de nouvelles Les disparus d’Ély est sorti au début de novembre, et pour pallier l’absence de lancement public, un des auteurs du collectif, Alain Labonté, a décidé de livrer des exemplaires… à vélo. Après une expérience concluante à Drummondville la semaine dernière, il a donc remis ça ce week-end à Montréal. Pour recevoir un exemplaire du livre en mains propres à votre porte, il suffit de le commander à la Librairie du Square. « C’est ma façon d’encourager la littérature québécoise, d’encourager une librairie indépendante de chez nous et de faire ma part dans la promotion de ce projet », dit Alain Labonté. Un autre des auteurs du recueil, Tristan Malavoy, a décidé d’embarquer dans ce projet, mais dans son cas c’est à la librairie Le Port de tête qu’il faut commander le livre. — Josée Lapointe, La Presse

Le principe de la mygale

Neuf visages de Jean Leloup

Jean Leclerc, John the Wolf, Johnny Guitar, Johnny Welltiper, Roi Ponpon et on en passe… Au fil de son parcours artistique, Jean Leloup a été le premier à multiplier les identités. Se décrivant comme une fan de l’auteur-compositeur-interprète, la chercheuse Nadia Murray s’est à son tour prêtée au jeu avec l’essai Le principe de la mygale, dans lequel le musicien porte d’un album à l’autre le chapeau d’imposteur, d’insolent, de polymorphe, de décadent, d’authentique, etc.

Enseignante au Centre d’études collégiales en Charlevoix depuis près de 20 ans, Nadia Murray est fascinée depuis l’adolescence par celui qui se décrit dans la pièce I Lost My Baby comme un « chanteur populaire grandi en Algérie, assez fucké merci ». Si bien que pour son mémoire de maîtrise en études littéraires, elle a choisi Jean Leloup comme sujet – mémoire qui est devenu un livre, paru cette semaine aux éditions L’instant même.

« Je me suis rendu compte qu’il n’y avait à peu près rien de publié sur Jean Leloup. Ç’a débouché sur un long mémoire que j’ai étiré sur quatre ans à travers mon travail d’enseignante. Après coup, on trouvait ça plate de laisser ça sur une tablette. »

— Nadia Murray

« Dans le milieu universitaire, la chanson populaire n’est pas assez étudiée, ça c’est clair, reprend-elle. Quand elle est étudiée, ce sont les grands poètes de l’époque des boîtes à chansons. Je n’ai rien contre. On a beaucoup étudié l’époque [Robert] Charlebois aussi. Dans les plus récents, il y a aussi eu Richard Desjardins. Mais cette chanson populaire qui est très connectée avec le public, il n’y en a pas beaucoup. »

Changer de peau

Si passionnée qu’elle soit – même si elle confie être moins attirée par les disques Mille excuses Milady et Mexico –, Nadia Murray a fait le pari de mettre de côté l’admiratrice en elle de côté pour plonger dans une étude sérieuse de la discographie de Jean Leloup. Son idée de départ : notre homme change de peau à chaque projet.

La chercheuse a emprunté le titre de son essai au film La mygale jaune, qu’a signé en 2004 Jean Leloup, né Leclerc à Sainte-Foy, avec l’objectif d’« assassiner » son personnage de scène et de passer à autre chose. Bien sûr, il ne tardera pas à y revenir.

L’image de la mygale – un type d’araignée qui mue régulièrement – a capté l’attention de Nadia Murray. Celle-ci s’est attelée à la tâche de décortiquer chaque album de Leloup : sa poésie, mais aussi la musique et le visuel. « C’est une œuvre totale, explique-t-elle. Au début, je devais me servir juste des textes. Mais il y a une cohérence dans les pochettes, dans la musique. Je ne pouvais pas ne pas les intégrer. »

En se penchant sur des chansons marquantes, l’objectif de Nadia Murray a été de cibler les transformations d’une personnalité créative surprenante et imprévisible, pour le meilleur et pour le pire.

De Menteur, un premier album renié par Leloup dès sa sortie en 1989, la chercheuse dégagera le thème de l’« imposteur ». Elle accolera au chanteur le qualificatif d’« insolent » pour L’amour est sans pitié, avec ses couleurs « sexe, drogues et rock’n’roll » et des titres « provocateurs » comme Cookie. Le très éclaté Le dôme lui vaudra l’épithète de « polymorphe », Les fourmis celle de « décadent », et La vallée des réputations celle d’« authentique ».

Ça se poursuit ainsi jusqu’à l’album L’étrange pays, qui nous est arrivé par surprise l’an dernier, 30 ans après le baptême du disque de Leloup. Neuf visages ou incarnations pour autant d’albums studio, en somme, selon l’analyse de Nadia Murray.

L’œuvre avant l’homme

Si les démarches qui ont mené au Principe de la mygale sont étoffées de plusieurs extraits de reportages, Nadia Murray a choisi de ne pas trop se pencher sur la personnalité publique parfois déstabilisante de Jean Leloup et de mettre plutôt son œuvre au cœur de ses recherches.

Bien sûr, certains épisodes sont inévitables parce qu’ils ont influencé la création de l’artiste. On pense à la controverse qui a suivi le tristement célèbre pow-wow au Colisée de Québec en 2008, lors duquel un Leloup hors de lui avait invectivé son public, s’attirant une volée de bois vert médiatique.

L’album Mille excuses Milady est arrivé l’année suivante en réponse à la polémique. « La formule un peu guindée du titre de l’album laisse en fait paraître beaucoup plus d’ironie qu’un réel sentiment de culpabilité », observe l’autrice dans son essai.

Pour s’éloigner des préjugés, Nadia Murray ne met pas non plus l’accent sur certains problèmes de consommation ou de santé mentale – lui-même a parlé publiquement de bipolarité – qui ont marqué le parcours de Jean Leloup.

« J’utilise souvent la chanson quand j’enseigne la littérature québécoise et j’ai une frustration quand j’entends les gens dire d’un artiste : “Il est un peu cinglé, il est juste fou, il est gelé”, explique-t-elle. Ça me perturbe, parce que l’imaginaire, ça ne se chiffre pas comme ça. »

Jean Leloup a-t-il, selon la chercheuse, orchestré toutes ses transformations, ou ont-elles été dictées par une créativité qui vient de l’inconscient ?

« Moi, j’ai toujours pensé qu’il y avait quelque chose de cohérent là-dedans, mais je ne sais pas à quel point c’est ficelé comme ça. Je ne sais même pas si l’image de la mygale, il l’utilise dans cette idée-là. Mais en juxtaposant les albums, la métaphore tient. Je n’ai aucune prétention par rapport à l’aspect conscient du truc. Il y a probablement une grosse part d’inconscient là-dedans… »

— Nadia Murray

UNE « BOÎTE À SURPRISES »

Au printemps 2019, Jean Leloup a pris tout le monde par surprise en lançant L’étrange pays, un album inattendu mitonné sans artifices et en toute intimité sur lequel l’auteur-compositeur-interprète mise uniquement sur sa guitare, sa voix et son imaginaire foisonnant. Grande admiratrice de Leloup, Nadia Murray a un peu été prise de court : son essai Le principe de la mygale était terminé. Voilà que le musicien s’invitait de nouveau dans sa « toile ».

« Je venais de finir quand c’est sorti, raconte l’autrice. Mon mémoire de maîtrise s’arrêtait à la mort symbolique de Leloup. J’avais rajouté un chapitre qui regroupe les trois albums suivants pour que ce soit plus cohérent. J’avais fini ça, j’avais ajouté une conclusion, et là, il me sort L’étrange pays ! »

La chercheuse a donc repris ses écouteurs et sa plume pour ajouter un épilogue, dans lequel elle raconte le grand frisson qu’elle a ressenti à l’écoute de ces chansons livrées en tête-à-tête. « Mon Dieu ! que c’est sombre comme album. Ça m’a perturbée », ajoute-t-elle en entrevue.

Nadia Murray n’en était pas à son premier moment d’étonnement en décortiquant l’œuvre de Jean Leloup. « À chaque album, ç’a été un party, décrit-elle. Ç’a été tellement le fun ! C’était une vraie boîte à surprises. Certains penseront que c’est le cauchemar du chercheur. Pour moi, c’était : “Yes ! Ça ne sera pas linéaire !” » De quoi lui donner envie de saluer son sujet pour sa soif intarissable de réinvention. « Merci de ne pas avoir fait deux albums pareils ! », lance Nadia Murray.

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