Remplacer la taxe sur l’essence, pas l’abolir

Alors que le prix du carburant fait pomper les automobilistes, certains politiciens voudraient envoyer la taxe sur l’essence à la fourrière. Ce serait faire fausse route.

N’empêche que cette taxe a besoin d’une sérieuse mise au point si on ne veut pas que nos routes tombent en ruines un jour. On y reviendra plus loin.

D’abord, un mot sur l’essence, autour de 2 $ le litre, qui fait un fameux trou dans le portefeuille des automobilistes… et même dans leur réservoir que certains voleurs sans vergogne percent pour s’emparer du carburant. Quelle calamité !

Dans le camp conservateur, les politiciens n’ont pas manqué de réagir à cette flambée à la pompe pour propulser leur cote de popularité.

Le premier ministre de l’Alberta, Jason Kenney, a annoncé une réduction temporaire de la taxe provinciale sur le carburant, une mesure que le chef du Parti conservateur du Québec Éric Duhaime voudrait imiter.

Voilà qui serait bien mal avisé.

D’abord, il ne faut pas prendre une décision en fonction des fluctuations du prix du carburant qui est hautement cyclique. Souvenez-vous que le prix du pétrole a même été négatif au début de la pandémie !

Ensuite, il n’est pas clair que les pétrolières refileraient la baisse aux consommateurs, plutôt que de la garder dans leurs coffres.

Et fondamentalement, l’écofiscalité est l’un de nos meilleurs leviers pour lutter contre le réchauffement climatique. Un levier que nous utilisons fort peu. Le Québec se classe au 31rang parmi 35 pays de l’OCDE lorsqu’on compare le poids des écotaxes sur l’essence1.

Conséquence : les ventes de VUS montent en flèche, ce qui éloigne le Québec de ses cibles de réduction des gaz à effet de serre (GES). Pour l’instant nous avons réussi à diminuer nos émissions de seulement 2,7 % alors qu’on vise une baisse de 37,5 % d’ici 2030, par rapport à 19902.

Manifestement, on fonce dans le mur. Il faut donner un coup de frein. Et vite.

Une piste : hausser significativement le coût de l’immatriculation sur les VUS pour que les acheteurs optent pour un véhicule plus petit, hybride ou électrique.

* * *

Sauf que l’avènement des véhicules électriques pose un autre défi : l’entretien des routes qui est financé par les taxes sur le carburant, par l’entremise du FORT (Fonds des réseaux de transport terrestre).

Or, ce fonds est déjà déficitaire. Plus il y aura de véhicules électriques sur les routes, moins il y aura d’argent pour les entretenir.

Il n’est pas équitable que les propriétaires de véhicules électriques – souvent des gens mieux nantis qui ont bénéficié de subventions à l’achat – profitent gratuitement du réseau routier en laissant la facture à ceux qui roulent à essence.

Non, les véhicules électriques ne polluent pas. Mais ils usent quand même les infrastructures.

Il faut donc songer à remplacer la taxe à la pompe par une taxe kilométrique, une idée qui a déjà été appuyée par la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, CAA Québec et le Conseil du patronat.

Il est vrai que cette solution présente des enjeux technologique et politique.

Technologique : mesurer le nombre de kilomètres parcourus en installant un GPS dans les voitures soulève des craintes d’atteinte à la vie privée, tandis que procéder avec une lecture annuelle de l’odomètre serait sujet à la fraude.

Politique : en pleine année électorale, un gouvernement qui a promis de ne pas augmenter les impôts aura peu envie de discuter d’une taxe kilométrique, même s’il ne s’agit pas d’une nouvelle taxe, juste d’un remplacement qui ne changerait rien dans la poche des contribuables, globalement.

Malgré les embûches, il faudra parler de la taxe kilométrique. Sinon, il y aura un gros trou dans le budget du Québec… et beaucoup de trous dans nos chaussées.

1. Consultez l’étude Bilan de la fiscalité au Québec

2. Consultez le document GES 1990-2019 : inventaire québécois des émissions de gaz à effet de serre en 2019 et leur évolution depuis 1990


EN SAVOIR PLUS

32 %
C’est l’augmentation du prix du carburant, en février dernier, qui a contribué à pousser l’inflation à 5,7 %. Du jamais-vu au Canada depuis 30 ans.

Source: SOURCE : Statistique Canada

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