Opinion

La vieillesse n’est pas une maladie

Si les taux de mortalité reliée à la COVID-19 nous interpellent tous comme société, ils constituent une menace plus directe pour les personnes de 60 ans et plus.

La phrase, répétée jour après jour, le printemps dernier, par ceux qui veulent notre bien : « Les vieux, restez chez vous », a sans doute contribué à enfoncer un préjugé de vulnérabilité et de dépendance, déjà bien ancré dans la population en général, entourant les personnes âgées. De plus, avec l’immense tâche de réparer les négligences du passé au sujet des personnes âgées, on comprend que notre premier ministre insiste pour nous rappeler qu’elles ont contribué à bâtir la société.

Ces phrases risquent de produire un amalgame perceptif négatif sur la population des personnes âgées dans son ensemble, laquelle continue pourtant de contribuer de façon importante à l’ensemble de la société.

Forts stéréotypes

D’après Betty Friedan, dans son livre La révolte du troisième âge, les images stéréotypées sur le grand âge sont partagées par les plus grands spécialistes du monde occidental : couches, pertes de toutes sortes, Alzheimer, coûts sociaux… « Après 65 ans, ils sont vieux et ont besoin qu’on prenne soin d’eux. »*

Un psychologue québécois qui s’est intéressé à la notion de concept de soi a découvert qu’il n’y avait pas d’échelles sur le développement de ce concept chez les personnes de plus de 60 ans.**

Entre 60 et 100 ans, ou nous avons cessé d’exister ou il ne se passe rien dans nos têtes…

Plusieurs études font également état d’images négatives et de fausses conceptions de la vieillesse chez la plupart des jeunes et des adultes de nos sociétés nord-américaines.

Le sous-groupe des personnes âgées dépendantes constitue généralement autour de 10 % de la population des 60 ans et plus. La majorité des autres, soit 90 % des 60 ans et plus est considérée comme, soit fonctionnelle (80 %), soit encore très active et en possession de sa créativité, ce que la psychologie humaniste a identifié comme l’actualisation de soi (10 %). Ces données nous rappellent donc que 90 % de la population des 60 ans et plus est active et contribue de façon significative à l’économie et au bien-être de la société. Elle paie ses impôts, voyage et explore la planète. Elle remplit nos salles de concert, de cinéma et de spectacles, ainsi que les bibliothèques. Elle fréquente les restaurants et les boutiques de vêtements, etc. Sans ces 90 % de la population, les sphères de la culture et des loisirs feraient piètre figure.

Notons que la strate des 80 % dite fonctionnelle remplit une tâche importante côté bénévolat ; son confinement récent a permis de prendre conscience de l’importance de son apport dans nos œuvres sociales et caritatives.

Cela, sans oublier le soutien qu’ils apportent à la génération qui les a précédés, leurs vieux parents, ainsi qu’aux générations suivantes, celles de leurs enfants et petits-enfants.

Parmi les 10 % des personnes âgées dites actualisées, on cite souvent de grands noms comme Freud, Jung, Michel-Ange, Picasso, Tolstoï, Verdi, Victor Hugo ; tout récemment, Edgar Morin, 98 ans, vient de publier un livre électronique relié à la COVID-19, Festival d’incertitudes. Le Québec connaît aussi nombre de personnes très âgées qui ont fait leur marque. Le sociologue Guy Rocher, entendu récemment sur nos ondes, encore actif et semblant en pleine forme à 95 ans, l’écrivaine Antonine Maillet, 90 ans, qui vient de publier Lettres de mon phare. Elle dit adorer parler à des gens âgés. « Ils ont des souvenirs à raconter », ajoute-t-elle ; la journaliste et dramaturge Janette Bertrand, 95 ans, très active elle aussi, que nous avons vue récemment à Tout le monde en parle, et qui vient de mettre la population féminine à l’écriture. Bravo ! Pour ne nommer que ceux-là. Un documentaire nous a présenté en 2011 des octogénaires hommes et femmes qui parlaient d’abondance de leur passion pour leur travail, et le cinéaste Fernand Dansereau nous a offert une trilogie sur la vieillesse, dont Le vieil âge et le rire, L’érotisme et le vieil âge et, à l’âge de 91 ans, Le vieil âge et l’espérance.

De ces 10 % de personnes plus actives, les recherches disent « qu’il se dégage une impression de vitalité, une attitude fondamentalement optimiste en même temps qu’une grande curiosité intellectuelle des personnes adaptées de façon créatrice. Elles ont des projets, veulent encore apprendre, exercer leur mémoire » .***

Développer les capacités des personnes âgées

S’il est important qu’en dépit de limites physiologiques, les personnes âgées se perçoivent pour ce qu’elles sont majoritairement, il en va de même pour l’intérêt de la société dans son ensemble.

D’un point de vue purement économique, signalons que selon les auteurs en gérontologie, les gouvernements ont intérêt à comprendre que les dépenses à titre préventif consacrées à l’éducation et au développement de l’ensemble de la population de même que le développement de ces mêmes capacités chez les personnes âgées auront un effet bénéfique non seulement sur les aînés eux-mêmes, mais sur l’ensemble de la société.

Il s’agit d’une approche psycho-préventive par opposition à une approche exclusivement médico-curative, qui est celle qui a prévalu jusqu’à maintenant. Le lien de causalité entre éducation et qualité de vie constitue un fait établi. On observe également qu’une bonne santé psychique a un effet positif sur la santé physique.

Les progrès des connaissances faisant en sorte que la proportion des personnes âgées ira en augmentant, on ne peut ignorer l’aspect économique de ces prévisions statistiques.

Donner du sens à une vie

D’un point de vue humain et culturel, les personnes âgées ont un rôle de transmission de l’histoire, de l’expérience et de perspectives humanistes aux générations qui les suivent. On dit que les jeunes générations ont accès à un très large éventail de connaissances horizontales : par l’internet et autres moyens numériques, elles peuvent être en lien avec les derniers fins fonds de la planète. Par contre, elles ont intérêt à avoir aussi accès à une culture précieuse pour eux qui porte sur une dimension fondamentale de leur être, celle du sens à donner à une vie. On parle d’une culture, d’une transmission verticale des valeurs, celle que leurs aînés ont les capacités de leur léguer par la qualité des relations qu’ils créent avec eux.

* Congrès international Santé, productivité et vieillissement, 1983

** L’Écuyer, R. 1992, Colloque de l’association québécoise de gérontologie

*** Leclerc et Poulin, 1985

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