Wedge combine le vin rouge, le gin et le ginger ale. Entre autres.
Le petit bureau de design montréalais vient de concevoir une caisse-outre (le véritable terme pour vinier) pour une entreprise californienne qui voulait importer un vin français aux États-Unis.
Une caisse-outre-mer, donc.
L’objectif : un design d’une telle qualité qu’il ferait contrepoids à la mauvaise réputation des vins en boîte.
« On s’est dit : il faut que ça soit un objet qui pourrait se retrouver dans la boutique du MoMA, le musée d’art moderne de New York », explique Justin Lortie, directeur du design et fondateur de Wedge. « On a créé le nom, la marque, élaboré la stratégie et réalisé l’ensemble du design. »
Wedge a suggéré la marque Ami Ami, inspirée de l’amitié des deux cofondateurs, qui dégageait en même temps une idée de convivialité sympathique, sans prétention œnologique.
La caisse-outre de 1,5 litre (les viniers traditionnels contiennent jusqu’à quatre litres) ne ressemble en rien à la version cartonnée d’une étiquette de bouteille.
Présenté en versions pour vin blanc et vin rouge, l’emballage montre la marque Ami Ami en larges caractères noirs, au-dessus d’un empilement de demi-cercles colorés, comme des coupes sans leurs pieds.
« Des couleurs qui sont super vibrantes, c’est très optimiste comme design », commente le designer.
Le graphisme est inspiré du travail du peintre italien Depero pour l’apéritif Campari dans les années d’avant-guerre (celle de 1939).
« On a travaillé avec un illustrateur local, Mathieu Dionne, pour développer deux petits personnages, qui sont au centre de l’univers de ce vin-là. Car au final, le monde du vin n’est pas un monde si sérieux. »
Surtout auprès des jeunes générations, qui sont moins intimidées par la mystique des grands crus, souligne-t-il.
Étonnamment, ce sont les Californiens qui ont contacté la firme montréalaise pour lui confier ce mandat, qui constituait en fait l’acte de naissance de leur entreprise.
Il faut dire que le jeune cabinet montréalais s’était rapidement fait une singulière réputation.
Gin et Canada Dry
Wedge a été fondée en 2016 par le jeune graphiste Justin Lortie, qui s’était notamment fait les dents chez Sid Lee et Paprika, et la directrice de création Sara Di Domenico.
Ce n’est pas que Wedge se spécialise dans les boissons, mais la petite entreprise montréalaise s’est fait rapidement connaître avec le design singulier de la bouteille du gin québécois Menaud. « On a fait la bouteille sur mesure, on a inventé la marque avec eux de A à Z », décrit Justin Lortie.
La forme épurée de la bouteille vert forêt, son bouchon d’aspect bois et le dépouillement de son étiquette ont attiré l’attention des publications spécialisées. Et celle de nouveaux clients.
La pandémie est alors survenue et, en propulsant le télétravail, elle a aussi effacé les frontières.
« Vu qu’on était une entreprise de services, on s’est mis à avoir des téléphones d’un peu partout dans le monde. Quelqu’un nous a appelés de Singapour, on a fait des contrats à Copenhague. C’est fou, on était des gens de Montréal ! Les gens voyaient notre travail sur l’internet, et ils n’étaient plus limités par la géographie. »
Wedge a créé l’image de marque de la gamme de lotions solaires Vacation, établie en Floride. La chaîne de librairies Indigo lui a confié la conception d’une collection de 25 œuvres littéraires emblématiques, dont les illustrations de couverture ont été réalisées par des artistes canadiens.
« C’est fou, quand Canada Dry nous a écrit, je ne le croyais pas ! »
Difficile à croire, en effet : l’entreprise leur a demandé de faire une proposition pour la refonte de son logo.
Plus incroyable encore : ils ont obtenu le contrat. La nouvelle identité visuelle a été lancée en septembre 2022 sur le marché canadien.
« On a gagné un compte comme ça contre de super grosses agences », souligne Justin Lortie.
Wedge ne compte pourtant qu’une quinzaine d’employés.
« En agence, souvent, les compagnies ont des gens qui font du développement d’affaires. On n’a jamais eu quelqu’un comme ça chez nous. »
Nul besoin : « Notre travail parle de lui-même. »
Mise en boîte
C’est cette réputation en ligne qui a incité Woody Hambrecht, lui-même issu d’une famille de vignerons, à contacter Wedge, il y a un peu plus d’un an, pour concevoir une caisse-outre.
« La première chose que j’ai dite, c’est qu’il faut que l’objet soit plus petit, relate Justin Lortie. On a trouvé des manufacturiers en France et on leur a donné les proportions. »
La boîte d’une contenance de 1,5 litre est à peine plus grosse qu’un dictionnaire.
« Sur une tablette de mon meuble, il faut que ça soit aussi beau qu’un objet de design. »
Les vins blanc et rouge Ami Ami sont conditionnés et mis en boîte en France et importés en Californie.
« On est en vente partout aux États-Unis en ce moment. Ça fait quelques semaines qu’on a lancé le site web, informe Justin. On est en train de voir pour le vendre en grande surface au travers des États-Unis. Depuis quelques mois, on est en relation avec la SAQ pour l’importer. »
Ce « on » à répétition fait dresser l’oreille : « On est partenaires, révèle-t-il. Je pense que ça fait vraiment partie de ma philosophie avec Wedge. Quand on pense à faire une croissance durable pour notre entreprise, il s’agit aussi de s’investir dans les projets auxquels je crois. »
Justin Lortie donne l’entrevue téléphonique depuis New York, où il prépare l’installation d’une antenne de Wedge. Il a tenté l’aventure à Los Angeles, mais n’a pas obtenu le succès espéré. Il croit que le marché new-yorkais a plus d’atomes crochus avec la sensibilité montréalaise. « On va l’essayer et on va laisser émerger la magie. »
Il se laisse guider par l’intuition et la confiance. « Je crois beaucoup en l’univers, dans ces moments-là », lance-t-il en rigolant.
Car les débouchés ne se font pas qu’avec le vin.
— Marc Tison, La Presse