Chronique

Un bon « Coke » pour déjeuner ?

J’ai presque toujours un petit sac de bonbons surets sur le coin de mon bureau. Un péché mignon, qui m’aide à finir mes après-midi de travail.

Ce petit sac, je l’ai regardé de travers quand j’ai lu l’étude des chercheurs Catherine Haeck, Nicolas Lawson et Krystel Poirier, du département de sciences économiques de l’UQAM. Cette étude sur la taxation des boissons sucrées fait un survol des effets du sucre sur la santé, et ce n’est pas jojo du tout.

Une surconsommation de sucre et de boissons sucrées augmente les risques d’avoir des problèmes cardiaques, des caries, le diabète, de l’hypertension, le cancer colorectal et, bien sûr, du surpoids. Les gens le savent, en général, mais voir l’impressionnant relevé des études qui convergent saisit.

Cet enjeu de santé publique est majeur. Et comme au Québec, les services de santé sont payés par l’État, la question devient un enjeu économique fondamental.

Trop de sucre, c’est quoi au juste ? Plus de 50 grammes par jour pour un adulte moyen et 40 grammes pour un enfant.

Et 50 grammes, c’est quoi ? Vraiment pas beaucoup.

Une seule canette de boissons gazeuses de format habituel (355 ml) contient 39 grammes de sucre, ce qui équivaut à 10 cuillerées à thé.

Et si l’on ajoute le jus de fruits, le yogourt, la barre tendre, le Nutella et tout ce qui contient du sucre, même naturellement présent (orange, banane, etc.), la consommation quotidienne est facilement trois fois plus importante que ce qui est recommandé. Ouf !

Pas étonnant que le surpoids, l’hypertension et le diabète soient devenus des problèmes criants.

Cet enjeu appelle des solutions musclées, et ne comptez pas sur Coca-Cola et Red Bull pour les imposer. D’où l’idée d’une taxe sur les boissons sucrées, de plus en plus répandue.

Pour juger de son efficacité au Québec, Catherine Haeck et son équipe ont estimé dans quelle mesure une taxe plus ou moins importante aurait un effet tangible sur la consommation.

J’ai toujours été sceptique quant à l’effet d’une telle taxe. Dix cents de plus ou de moins sur une canette de cola n’auraient guère d’impact, ai-je toujours pensé. Sauf que l’étude fait valoir que les boissons sucrées sont principalement consommées par des familles à plus faibles revenus, et que pour elles, le prix est un facteur très important.

Après avoir croisé des bases de données sur la consommation, les chercheurs ont pu déterminer l’élasticité du prix des boissons gazeuses, c’est-à-dire la sensibilité du niveau de consommation au prix.

Trois types de taxes ont ensuite été envisagés : une taxe en pourcentage du prix, une taxe selon le volume de boissons et, enfin, une taxe sur la quantité de sucre.

La taxe en pourcentage du prix a été rejetée parce que le prix des boissons gazeuses est plus bas que celui d’autres boissons moins sucrées (lait au chocolat, jus, etc., ), si bien qu’une telle taxe aurait pour effet d’avantager les boissons gazeuses, notamment les marques maison.

La deuxième option – la taxe sur le volume – n’est pas idéale, car elle pénaliserait tout autant les boissons peu sucrées que très sucrées. En fin de compte, une taxe qui est fonction de la quantité de sucre serait la plus efficace.

Un bémol, cependant : une taxe sur la quantité de sucre aurait pour effet d’inciter les consommateurs à se tourner vers des boissons diète, entre autres, dont le contenu a d’autres effets indésirables. Les chercheurs suggèrent une taxe mixte (sur la quantité de sucre et le volume), mais il est possible que cette avenue soit trop complexe à appliquer.

Concrètement ? Pour une bouteille de deux litres de boissons gazeuses types (220 grammes de sucre), vendue 3 $ au supermarché, une taxe de 15 cents par litre (30 cents au total) réduirait la consommation de 17 %, selon les chercheurs. Par comparaison, une taxe de 0,2 cent par gramme de sucre (44 cents au total) ferait reculer la consommation de 28 %.

Bref, les deux auraient des effets similaires sur les boissons gazeuses courantes, toute proportion gardée. Une taxe qui varierait de 5 cents à 15 cents le litre ou encore de 0,05 cent à 0,2 cent par gramme de sucre rapporterait à l’État entre 16 et 60 millions de dollars de revenus par année.

« La taxe est un outil, mais ce n’est pas suffisant. Il faut aussi une campagne de sensibilisation et une réinjection des revenus de la taxation dans des mesures d’aide [programme éducatif à l’école, financement de repas santé à la garderie, etc.] », me dit l’économiste Catherine Haeck.

Une telle taxe, malheureusement, aurait un effet régressif, c’est-à-dire qu’elle frapperait davantage les moins nantis, qui consomment davantage de boissons sucrées. En revanche, elle serait acceptable dans la mesure où elle améliorerait leur santé à long terme, estime Mme Haeck, comme ce fut le cas pour la cigarette.

Personnellement, je demeure sceptique. Ou en tout cas, je crois que les autorités devraient, en plus de taxer, imposer des normes plus sévères sur les produits alimentaires qui contiennent des surplus de sel, de gras et de sucre. On connaît les effets néfastes et les clientèles vulnérables, alors qu’on agisse, bon sang.

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