Société

L’effet Si on s’aimait

Si on s’aimait a convaincu de nombreux couples et individus de consulter un sexologue. Alors que bien des téléspectateurs voient en l’émission un simple divertissement, d’autres y perçoivent une dimension beaucoup plus profonde, a constaté La Presse.

Diffusée depuis l’an dernier, la série documentaire de TVA provoque des rencontres entre célibataires, qu’elle met ensuite en relation avec Louise Sigouin, une sexologue et spécialiste en accompagnement relationnel. Devant les caméras, cette dernière guide les candidats afin qu’ils brisent leurs modèles et qu’ils apprennent à « mieux aimer ».

Dans chaque épisode, Guillaume Lemay-Thivierge et Emily Bégin commentent les interactions entre les participants, et s’entretiennent avec Louise Sigouin pour discuter des situations observées.

Membre de l’Ordre professionnel des sexologues du Québec, Patrice Bécotte a, comme plusieurs collègues, remarqué l’impact du rendez-vous télévisuel sur sa clientèle. « Des personnes m’ont contacté en précisant que l’émission avait pesé dans la balance au moment d’évaluer l’option d’aller ou non vers un sexologue », raconte le spécialiste des enjeux touchant la diversité sexuelle.

« Beaucoup, beaucoup de gens m’en parlent, non seulement mes proches, mais aussi mes clients. C’est une émission qui vulgarise bien certaines notions, qui pousse les gens à réfléchir sans être trop lourde. »

— Caroline Messier Bellemare, sexologue et psychothérapeute

Popularité grandissante

Si on s’aimait continue d’élargir son auditoire. Au printemps 2020, sa première saison ralliait 684 000 téléspectateurs du lundi au jeudi, selon les données confirmées de Numéris. Un an plus tard, ce nombre atteignait 759 000 téléspectateurs. Cet automne, sa troisième saison attire une moyenne de 809 000 fidèles. Et TVA vient d’annoncer la mise en chantier d’une quatrième saison.

Psychothérapeute et sexologue spécialisée dans les violences sexuelles, Latifa Boujallabia salue les interventions de Louise Sigouin, qu’elle trouve « justes, sympathiques et accessibles », mais elle salue surtout l’initiative du réseau, qui diffuse l’émission à heure de grande écoute du lundi au jeudi.

« Ça rejoint des gens qui ne s’étaient sans doute jamais posé des questions sur le rôle d’un sexologue. Ça vient démystifier beaucoup de choses pour beaucoup de monde. J’en suis convaincue. »

— Latifa Boujallabia, psychothérapeute et sexologue

Ce concept de « démystification » enthousiasme les sexologues, qui estiment qu’il existe trop de méconnaissances entourant leur profession.

« Encore aujourd’hui, des gens pensent qu’un sexologue, c’est un technicien du sexe, c’est quelqu’un qui donne des techniques pour avoir de bonnes relations sexuelles, résume Caroline Messier-Bellemare. En amenant une image professionnelle, Louise [Sigouin] a changé la donne pour plusieurs téléspectateurs. Et parce que l’émission est rassembleuse et qu’elle fait jaser, elle normalise la consultation en sexologie. Les gens voient qu’ils sont loin d’être les seuls à vivre ce qu’ils vivent, à ressentir ce qu’ils ressentent. Ça brise le tabou. »

Craintes dissipées

Louise Sigouin est évidemment ravie d’entendre que Si on s’aimait brise des tabous et ouvre le dialogue.

« Je suis très consciente de l’impact que l’émission a auprès des gens parce qu’ils me l’écrivent, déclare la sexologue en entrevue. Ça leur a donné le courage de consulter. Certains y pensaient depuis longtemps. Leur couple battait de l’aile, etc. Mais ils manquaient d’information, ils avaient des craintes. En étant témoins d’une démarche à travers la télévision, ils ont réalisé qu’il y avait des personnes qui pouvaient leur donner des outils. »

Louise Sigouin savait que l’émission risquait de susciter un engouement. Puisque son carnet de rendez-vous était déjà complet au moment d’enregistrer la première saison, elle avait rencontré au préalable d’autres sexologues, ainsi qu’une travailleuse sociale, pour qu’elles puissent « prendre le relais » en cas d’affluence de demandes de consultation. Ce qui est arrivé.

Anne-Sophie Hollender figure parmi les sexologues contactés par Louise Sigouin. Durant les consultations, ses nouveaux clients parlent non seulement des fameuses « dualités » dont Louise Sigouin discutait abondamment au début de l’émission, ils évoquent également les livres Si on s’aimait. Paru en 2020, le premier tome s’est écoulé à 51 000 exemplaires. Paru en avril dernier, le second a franchi le cap des 27 000 exemplaires vendus.

« Avant même de venir au bureau, les gens ont déjà amorcé une certaine réflexion, observe Anne-Sophie Hollender. Parfois, ils vont nous parler de certains participants qu’ils ont vus dans l’émission, à qui ils peuvent s’identifier, qui manifestent des comportements en lesquels ils peuvent se reconnaître. »

« Les gens citent l’émission lors des séances, ajoute Annabelle Lajoie, travailleuse sociale qui accueille des clients recommandés par Louise Sigouin. Quand ils regardent l’émission, ils voient que consulter, ça peut être simple. Ça peut être très convivial. »

L’influence télévisuelle

L’exemple Si on s’aimait montre le pouvoir du petit écran. Comme de nombreux sexologues, Patrice Bécotte a commencé à regarder l’émission avec « beaucoup d’appréhension ».

« Les représentations de sexologues dans des films, dans des séries, ça m’a toujours fait grincer des dents… Mais en voyant l’approche de Louise Sigouin, en voyant comment l’émission respecte les participants et respecte notre rôle, j’ai été rassuré. »

« C’est fait avec bienveillance, avec sérieux. C’est d’une utilité incroyable pour moi et pour notre profession, surtout quand on compare à d’autres émissions qui peuvent avoir émergé récemment… »

— Patrice Bécotte, sexologue en relation d’aide

Patrice Bécotte fait référence à Sans rendez-vous, une comédie d’ICI Tout.tv dans laquelle Magalie Lépine-Blondeau campe une infirmière-sexologue qui reçoit des patients souffrant de problèmes découlant parfois de comportements nichés, comme masturber un cheval. Bien qu’il s’agisse d’une fiction, cette série freine les gens qui pourraient profiter d’un soutien en sexologie, croit-il.

Même son de cloche chez Vincent Quesnel, sexologue clinicien et psychothérapeute. La télévision influençant grandement le public, ce qu’on y voit s’imprègne dans l’inconscient collectif.

« Je l’ai souvent constaté dans mon bureau : les émissions qui traitent de sexualité ont beaucoup d’impact. Je pense à Fifty Shades of Grey ou encore Sex Education sur Netflix. Les gens se réfèrent à ce qu’ils ont vu. »

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