Boxe

la grande évasion

La relation entre Eleider Álvarez et Marc Ramsay dépasse celle qu’un boxeur et son entraîneur entretiennent normalement. Ramsay est celui qui a organisé l’opération pour permettre à Álvarez de fuir la Colombie, en pleine nuit. Les deux hommes se sont assis avec La Presse pour raconter comment cela s’est passé. Ils reviennent aussi sur la fameuse « promesse » que Ramsay a faite à Álvarez il y a plusieurs années et qui pourrait se réaliser le 4 août prochain, à Atlantic City.

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Comme les Stastny

La complicité entre Eleider Álvarez et son entraîneur Marc Ramsay est évidente.

Les deux hommes se sont rencontrés pour la première fois aux Championnats du monde de boxe amateur à Chicago, en 2007, et ne se sont jamais quittés depuis. Ramsay avait remis une lettre rédigée dans un espagnol approximatif au boxeur. Álvarez n’avait rien compris…

Ramsay était loin de se douter que quelques mois plus tard, il aiderait Álvarez à fuir la Colombie, en pleine nuit, en autocar, en passant par le Venezuela. Ils racontent leur aventure à La Presse.

Marc Ramsay

« En 2007, je me suis rendu à Chicago pour les Championnats du monde de boxe amateur pour le voir. Je l’avais seulement vu sur vidéo avant ça. Ç’a été notre premier contact. J’avais fait préparer des lettres en espagnol, en russe, en plusieurs langues. Si j’avais un coup de cœur, je pouvais ainsi me présenter, expliquer mes intentions. J’avais remis une lettre à Eleider. Il m’a dit très longtemps après qu’il n’avait rien compris. »

Eleider Álvarez

« Il était très insistant. Il avait une très belle chemise blanche, un pantalon noir. Dans la lettre, j’ai seulement compris qu’il s’appelait Marc Ramsay, entraîneur pour Yvon Michel, et qu’il était l’entraîneur de Jean Pascal. C’était qui, ça, Jean Pascal ? Je n’en avais aucune idée. Je n’avais aucun désir de passer chez les pros à ce moment. Je voulais aller aux Jeux olympiques de Pékin. Mais il m’écrivait très souvent. »

MR

« J’ai toujours insisté pour qu’il aille aux Jeux. Je voulais seulement qu’on apprenne à se connaître. »

EA

« Quand j’ai décidé de quitter l’équipe nationale, c’était à un mois des Championnats panaméricains au Mexique. J’étais en froid avec le président de la Fédération colombienne de boxe. Un jour, je lui ai dit de ne pas se surprendre si je disparaissais de l’hôtel où logeait l’équipe nationale. Peu de temps après, j’ai appelé Epifanio Mendoza. »

MR

« Mendoza est un boxeur professionnel colombien. Je l’avais engagé pour être partenaire d’entraînement pour Jean Pascal avant son combat avec Carl Froch en décembre 2008. On était en camp ensemble et je lui avais parlé de ces deux boxeurs amateurs colombiens que j’aimais beaucoup, Eleider et Óscar Rivas. Il a servi de contact entre les deux groupes à ce moment-là. »

EA

« J’ai décidé très rapidement de faire le saut chez les professionnels. J’étais tanné. Il y avait un gars que tout le monde voulait dans l’équipe nationale, Jeysson Monroy. Il était blanc, beau, mais très mauvais. Le Comité olympique est à Bogotá, il venait de Bogotá, et ils le favorisaient. Une rumeur circulait même selon laquelle il m’avait dominé à l’entraînement. C’était assez. C’était la goutte qui faisait déborder le vase. J’ai décidé de partir en pleine nuit. Il était 3 h du matin. »

MR

« Au Canada, quand tu as mérité ta place dans l’équipe nationale, on ne peut pas te l’enlever. En Colombie, s’ils mettent quelqu’un d’autre, ils peuvent le choisir. C’est très politique et ils ont emmerdé longtemps Eleider avec ça.

« J’étais au courant de l’opération pour faire partir Eleider et Óscar. C’est moi qui l’avais montée. C’est toujours très compliqué de négocier avec l’ambassade du Canada de Bogotá. J’avais un contact à Caracas, j’avais donc décidé de faire passer Eleider et Óscar par le Venezuela. »

EA

« À Bogotá, je devais attendre 30 jours pour avoir le visa pour le Canada. Je ne pouvais pas attendre si longtemps. Au Venezuela, on pouvait l’avoir en deux semaines. Mais on ne pouvait pas voyager en avion, car le Comité olympique avait appelé l’aéroport pour nous empêcher de partir.

« On a donc pris l’autocar pour Caracas, mais nous avons été arrêtés à la douane. Les policiers ont trouvé un accordéon rempli de cocaïne dans l’autocar. Tout le monde a été mis en état d’arrestation. On a donné presque tout l’argent qu’on avait aux policiers pour pouvoir partir. »

MR

« Même s’ils viennent d’un pays très dur – Óscar vient des rues de Cali et Eleider vient d’une province difficile –, le Venezuela est un pays très dangereux. Même pour eux. »

EA

« On a payé l’hôtel deux jours et on n’avait plus d’argent pour manger. Pendant deux jours, on n’a bu que de l’eau. Óscar voulait retourner en Colombie, mais pour moi, c’était hors de question. J’avais décidé de quitter l’équipe nationale et je ne retournerais pas en arrière. »

MR

« On les aidait comme on pouvait pendant qu’ils attendaient à Caracas. On avait un entraîneur qu’on connaissait là-bas, Memin Ramos, qui nous donnait un coup de main. Je lui envoyais de l’argent. Finalement, ç’a pris trois semaines, ç’a été plus long que prévu. »

EA

« On logeait à l’hôtel le moins cher. Quand Memin Ramos nous a trouvés, il a demandé ce qu’on faisait là ! Il y avait des gens très bizarres tout autour. Il y avait des prostituées, de la dope. Il nous a amenés dans un plus bel hôtel. Finalement, on est arrivés à Montréal le 5 mai 2009. Marc Ramsay nous attendait à l’aéroport. »

MR

« On était soulagés. C’était une grosse opération. Je me sentais comme Marcel Aubut qui faisait passer les Stastny à l’Ouest. C’était peut-être moins rock'n’roll que les péripéties de Maître Aubut, mais c’était majeur. Tout le monde était content.

« Au départ, on avait quelqu’un qui devait financer l’opération et être leur agent. Une fois qu’ils sont arrivés, cette personne a voulu renégocier tout ce qu’on leur avait promis, ce dont ils avaient besoin pour vivre. Il n’a pas tenu parole et je l’ai tassé. Ensuite, même si je devais mettre tout mon argent personnel pour respecter ce que j’avais dit à Óscar et Eleider, j’allais le faire.

« Pendant une semaine, on a cherché. À l’époque, je travaillais avec Didier Bence qui avait comme agent Stéphane Lépine. Stéphane est entré dans mon bureau un jour, je me tenais la tête à deux mains. J’ai expliqué la situation. Je voulais respecter ma promesse, mais ça me mettait dans une situation précaire financièrement. Il m’a dit tout bonnement qu’il embarquait avec moi. Ce n’était même pas un ami à l’époque, il l’est devenu ensuite. »

EA

« Notre supposé agent parlait à Marc, on ne savait pas ce qui se passait. Il m’a expliqué par la suite et je suis fier qu’il ait respecté sa promesse. Nous sommes aussi fiers de Stéphane.

« Quand je suis parti, je n’ai rien dit à ma famille. Ni à mon père ni à mes sœurs, pas même à ma femme enceinte. Elle a su où j’étais quand j’ai appelé pour envoyer 5000 $. Ils ont tous fait le saut quand ils ont appris que j’étais passé chez les professionnels et que j’étais maintenant au Canada !

« On est très proches dans ma famille. Mon père est fier de nous, on n’a jamais manqué de rien grâce à lui. Moi, tout ce que je peux faire pour ma famille, je le fais. Ma famille est ce qu’il y a de plus important. J’ai aussi une petite fille de 8 ans en Colombie. C’est dur de rester ici quand ma famille est là-bas. Mais j’ai quitté le milieu familial quand j’avais 14 ans. J’ai toujours été très concentré sur la boxe. Ma famille comprend. »

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La promesse de Marc Ramsay

Marc Ramsay et Eleider Álvarez se connaissaient à peine quand l’entraîneur a fait la promesse au boxeur. Le genre de promesse avec un P majuscule.

C’était à Chicago en 2007, aux Championnats du monde de boxe amateur. Ramsay y était pour dépister les futurs talents et ce jeune boxeur colombien avait attiré son regard.

« Il a promis qu’il allait faire de moi un champion du monde », se remémore Álvarez.

« J’ai fait cette promesse la première fois que je l’ai rencontré, ajoute Ramsay. À mes yeux, selon mon analyse, je pensais pouvoir l’amener à un titre mondial. On est rendus là. »

Onze ans après leur rencontre, après toutes les aventures qu’ils ont traversées ensemble, les hauts et les bas de la carrière de boxeur, les deux hommes sont encore assis côte à côte. C’est Álvarez qui a parlé le premier de la promesse, comme pour revenir sur ses années de doute pendant qu’il attendait son combat de championnat du monde.

Álvarez est devenu aspirant obligatoire au titre WBC des mi-lourds détenu par Adonis Stevenson en novembre 2015, après avoir battu Isaac Chilemba. Avec les années, cet événement pourtant heureux est devenu un boulet.

« Des fois, c’est dur d’attendre, oui, ça dérange beaucoup. J’ai continué à travailler, j’ai une bonne équipe, un bon entraîneur, un bon agent en Stéphane Lépine. Mon équipe a la passion. Marc a beaucoup de passion. Si je ne suis pas à l’heure à l’entraînement, il est très fâché. Il m’appelle et m’écrit. »

« Marc est passionné et il m’a fait une promesse. »

— Eleider Álvarez

Quatre combats, quatre victoires

En attendant Stevenson, Álvarez s’est battu quatre fois, notamment dans des combats dangereux contre Lucian Bute et Jean Pascal. Il a gagné quatre fois. Toutes les rumeurs ont circulé sur sa part de responsabilité dans ce combat qui n’est jamais venu. Une d’entre elles veut même qu'Álvarez ait reçu 3 millions de dollars pour se tasser, ce qu’il rejette. Ramsay fait une mise au point.

« En tout cas, je n’ai pas eu mon 10 % sur ces 3 millions, lance l’entraîneur en regardant son poulain. C’est ridicule. Du moment qu’on est obligatoire, on a un peu plus de poids. On a commencé à négocier doucement pour le combat avec Stevenson. Ils préféraient faire autre chose, clairement. On aurait pu faire exercer nos droits dès le départ, mais le combat contre Lucian Bute qu’on nous a proposé n’était pas à jeter aux poubelles. On parlait à peu près du même montant pour un boxeur moins dangereux. Ça nous donnait une bonne préparation, contre un gaucher, c’était bon pour la confiance d’Eleider. 

« Comme expérience, il n’avait pas vécu les grandes conférences de presse, les semaines très pesantes avant les combats majeurs, la publicité. Pour nous, c’était une option intéressante et on a décidé d’accepter ce défi. »

Pour Jean Pascal, c’était différent, presque un combat imposé, assure Ramsay. Le clan Álvarez est revenu à la charge pour affronter Stevenson. Il a reçu une offre terriblement basse, en plus d’apprendre que Stevenson n’était pas prêt à se battre à ce moment-là.

« Il y avait quelques pourparlers avec des chiffres très bas, puis on nous proposait une seconde option. Ça demeurait notre décision d’opter pour autre chose, c’est vrai. Mais quand on voyait combien c’était compliqué de négocier avec le clan Stevenson, pour nous, l’autre voie était toujours la meilleure. »

Le défi Kovalev

« Ça fait longtemps que je méritais qu’une chose comme celle-là m’arrive », juge Álvarez.

C’est ainsi qu’à la seconde où il a pu affronter Sergey Kovalev pour le titre WBO, il a sauté sur l’occasion. Álvarez assure que la décision s’est prise en quelques secondes. Le combat était ficelé, documents signés, en tout juste deux semaines. Les deux boxeurs s’affronteront le 4 août prochain, à Atlantic City.

« Kovalev devait se battre avec Marcus Browne mais ce dernier a été arrêté [pour violence conjugale], explique Álvarez. Kathy Duva [la promotrice de Kovalev] a appelé Yvon Michel. Je n’ai pas eu besoin de réfléchir bien longtemps. Tout de suite, j’ai dit oui. Quand j’ai reçu l’appel, j’ai fait un grand sourire. »

Ce combat américain est une chance en or pour Álvarez. Il y a le titre, bien sûr, l’adversaire, évidemment. Kovalev est l’une des grosses pointures de la catégorie, un boxeur qui a multiplié les combats d’envergure et n’a perdu que contre Andre Ward dans sa carrière. Il y a aussi l’occasion de se faire voir aux États-Unis, le combat se déroulant à Atlantic City, et sur une chaîne de télévision prestigieuse, HBO.

« Stevenson dit que je ne suis pas vendeur, mais personne ne le croit. Il veut se battre avec des boxeurs plus mauvais que moi. Ses adversaires n’étaient pas de calibre. Je n’écoutais pas quand il disait ça. Maintenant, on lui donne une claque au visage parce que c’est HBO qui va diffuser le combat. »

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