La complicité entre Eleider Álvarez et son entraîneur Marc Ramsay est évidente.
Les deux hommes se sont rencontrés pour la première fois aux Championnats du monde de boxe amateur à Chicago, en 2007, et ne se sont jamais quittés depuis. Ramsay avait remis une lettre rédigée dans un espagnol approximatif au boxeur. Álvarez n’avait rien compris…
Ramsay était loin de se douter que quelques mois plus tard, il aiderait Álvarez à fuir la Colombie, en pleine nuit, en autocar, en passant par le Venezuela. Ils racontent leur aventure à La Presse.
Marc Ramsay
« En 2007, je me suis rendu à Chicago pour les Championnats du monde de boxe amateur pour le voir. Je l’avais seulement vu sur vidéo avant ça. Ç’a été notre premier contact. J’avais fait préparer des lettres en espagnol, en russe, en plusieurs langues. Si j’avais un coup de cœur, je pouvais ainsi me présenter, expliquer mes intentions. J’avais remis une lettre à Eleider. Il m’a dit très longtemps après qu’il n’avait rien compris. »
Eleider Álvarez
« Il était très insistant. Il avait une très belle chemise blanche, un pantalon noir. Dans la lettre, j’ai seulement compris qu’il s’appelait Marc Ramsay, entraîneur pour Yvon Michel, et qu’il était l’entraîneur de Jean Pascal. C’était qui, ça, Jean Pascal ? Je n’en avais aucune idée. Je n’avais aucun désir de passer chez les pros à ce moment. Je voulais aller aux Jeux olympiques de Pékin. Mais il m’écrivait très souvent. »
MR
« J’ai toujours insisté pour qu’il aille aux Jeux. Je voulais seulement qu’on apprenne à se connaître. »
EA
« Quand j’ai décidé de quitter l’équipe nationale, c’était à un mois des Championnats panaméricains au Mexique. J’étais en froid avec le président de la Fédération colombienne de boxe. Un jour, je lui ai dit de ne pas se surprendre si je disparaissais de l’hôtel où logeait l’équipe nationale. Peu de temps après, j’ai appelé Epifanio Mendoza. »
MR
« Mendoza est un boxeur professionnel colombien. Je l’avais engagé pour être partenaire d’entraînement pour Jean Pascal avant son combat avec Carl Froch en décembre 2008. On était en camp ensemble et je lui avais parlé de ces deux boxeurs amateurs colombiens que j’aimais beaucoup, Eleider et Óscar Rivas. Il a servi de contact entre les deux groupes à ce moment-là. »
EA
« J’ai décidé très rapidement de faire le saut chez les professionnels. J’étais tanné. Il y avait un gars que tout le monde voulait dans l’équipe nationale, Jeysson Monroy. Il était blanc, beau, mais très mauvais. Le Comité olympique est à Bogotá, il venait de Bogotá, et ils le favorisaient. Une rumeur circulait même selon laquelle il m’avait dominé à l’entraînement. C’était assez. C’était la goutte qui faisait déborder le vase. J’ai décidé de partir en pleine nuit. Il était 3 h du matin. »
MR
« Au Canada, quand tu as mérité ta place dans l’équipe nationale, on ne peut pas te l’enlever. En Colombie, s’ils mettent quelqu’un d’autre, ils peuvent le choisir. C’est très politique et ils ont emmerdé longtemps Eleider avec ça.
« J’étais au courant de l’opération pour faire partir Eleider et Óscar. C’est moi qui l’avais montée. C’est toujours très compliqué de négocier avec l’ambassade du Canada de Bogotá. J’avais un contact à Caracas, j’avais donc décidé de faire passer Eleider et Óscar par le Venezuela. »
EA
« À Bogotá, je devais attendre 30 jours pour avoir le visa pour le Canada. Je ne pouvais pas attendre si longtemps. Au Venezuela, on pouvait l’avoir en deux semaines. Mais on ne pouvait pas voyager en avion, car le Comité olympique avait appelé l’aéroport pour nous empêcher de partir.
« On a donc pris l’autocar pour Caracas, mais nous avons été arrêtés à la douane. Les policiers ont trouvé un accordéon rempli de cocaïne dans l’autocar. Tout le monde a été mis en état d’arrestation. On a donné presque tout l’argent qu’on avait aux policiers pour pouvoir partir. »
MR
« Même s’ils viennent d’un pays très dur – Óscar vient des rues de Cali et Eleider vient d’une province difficile –, le Venezuela est un pays très dangereux. Même pour eux. »
EA
« On a payé l’hôtel deux jours et on n’avait plus d’argent pour manger. Pendant deux jours, on n’a bu que de l’eau. Óscar voulait retourner en Colombie, mais pour moi, c’était hors de question. J’avais décidé de quitter l’équipe nationale et je ne retournerais pas en arrière. »
MR
« On les aidait comme on pouvait pendant qu’ils attendaient à Caracas. On avait un entraîneur qu’on connaissait là-bas, Memin Ramos, qui nous donnait un coup de main. Je lui envoyais de l’argent. Finalement, ç’a pris trois semaines, ç’a été plus long que prévu. »
EA
« On logeait à l’hôtel le moins cher. Quand Memin Ramos nous a trouvés, il a demandé ce qu’on faisait là ! Il y avait des gens très bizarres tout autour. Il y avait des prostituées, de la dope. Il nous a amenés dans un plus bel hôtel. Finalement, on est arrivés à Montréal le 5 mai 2009. Marc Ramsay nous attendait à l’aéroport. »
MR
« On était soulagés. C’était une grosse opération. Je me sentais comme Marcel Aubut qui faisait passer les Stastny à l’Ouest. C’était peut-être moins rock'n’roll que les péripéties de Maître Aubut, mais c’était majeur. Tout le monde était content.
« Au départ, on avait quelqu’un qui devait financer l’opération et être leur agent. Une fois qu’ils sont arrivés, cette personne a voulu renégocier tout ce qu’on leur avait promis, ce dont ils avaient besoin pour vivre. Il n’a pas tenu parole et je l’ai tassé. Ensuite, même si je devais mettre tout mon argent personnel pour respecter ce que j’avais dit à Óscar et Eleider, j’allais le faire.
« Pendant une semaine, on a cherché. À l’époque, je travaillais avec Didier Bence qui avait comme agent Stéphane Lépine. Stéphane est entré dans mon bureau un jour, je me tenais la tête à deux mains. J’ai expliqué la situation. Je voulais respecter ma promesse, mais ça me mettait dans une situation précaire financièrement. Il m’a dit tout bonnement qu’il embarquait avec moi. Ce n’était même pas un ami à l’époque, il l’est devenu ensuite. »
EA
« Notre supposé agent parlait à Marc, on ne savait pas ce qui se passait. Il m’a expliqué par la suite et je suis fier qu’il ait respecté sa promesse. Nous sommes aussi fiers de Stéphane.
« Quand je suis parti, je n’ai rien dit à ma famille. Ni à mon père ni à mes sœurs, pas même à ma femme enceinte. Elle a su où j’étais quand j’ai appelé pour envoyer 5000 $. Ils ont tous fait le saut quand ils ont appris que j’étais passé chez les professionnels et que j’étais maintenant au Canada !
« On est très proches dans ma famille. Mon père est fier de nous, on n’a jamais manqué de rien grâce à lui. Moi, tout ce que je peux faire pour ma famille, je le fais. Ma famille est ce qu’il y a de plus important. J’ai aussi une petite fille de 8 ans en Colombie. C’est dur de rester ici quand ma famille est là-bas. Mais j’ai quitté le milieu familial quand j’avais 14 ans. J’ai toujours été très concentré sur la boxe. Ma famille comprend. »