Le mot qui commence par « P »… (Palestine)

« La Palestine n’existe pas en tant que pays moderne avec des frontières, donc n’utilisez pas le mot Palestine et ne montrez pas la carte géographique dans vos reportages. Utilisez plutôt le terme territoires palestiniens pour les endroits sous l’autorité palestinienne. »

La fuite de cette directive de la direction de la CBC à ses journalistes a créé un émoi. Les débats intenses et les manifestations qui ont été organisées devant le siège de la télévision nationale canadienne pour contester cette directive m’ont fait réfléchir…

En une simple instruction, la CBC semble vouloir régler le litige d’une histoire complexe et vieille de plus de 70 ans. Moi, je ne pouvais m’empêcher de penser à Najat El-Taji, une dame d’origine palestinienne qui m’avait marquée par son histoire lors d’une série de reportages que j’avais réalisée sur l’immigration au Québec il y a 10 ans.

L’année 1948 n’est pas facile pour Najat El-Taji. L’année de sa naissance est aussi l’année où elle a perdu son pays. Elle était encore bébé, mais elle s’en souvient quand même, car les récits de cette déportation forcée de 700 000 Palestiniens lors de la création de l’État d’Israël, en 1948, seront les berceuses qui nourriront son imaginaire d’enfant et façonneront sa vie d’adulte.

« Va retrouver ton roi Abdellah », avaient lancé les paramilitaires sionistes munis d’armes au grand-père de Najat, à Ramleh. Ce matin de juillet 1948, en plein mois du jeûne, la famille El-Taji n’aura que quelques minutes pour réunir ses affaires avant de monter dans les autocars qui devaient les déporter vers la frontière jordanienne. Cette déportation forcée, les Palestiniens l’appellent la « Nakba » (la catastrophe, en arabe). Mazin, le mari de Najat, qui avait 9 ans lors de cette déportation, fuira sous les balles, qui frôleront sa tête d’enfant et celles de ses parents.

Depuis, ces Palestiniens attendent un peu partout autour des frontières palestiniennes dans des camps de réfugiés comme au Liban et en Jordanie, et ailleurs dans le monde, pour retourner un jour dans leur pays.

Ces familles, qui se comptent aujourd’hui par millions, ont pour la plupart gardé les grandes clés de leur maison, comme une preuve d’acte de propriété, comme un pied de nez à ceux qui osent prétendre qu’ils n’ont jamais eu de maisons en Palestine.

Le grand-père de Najat s’est installé en Égypte, où il a acheté des terres. Najat fréquentera l’école française et collectionnera les passeports – égyptien et jordanien –, mais aucun de ces passeports ne lui permettra d’aller visiter la Palestine, qui coule dans ses veines. La famille immigrera au Canada à la fin des années 1980 et c’est seulement en tant que citoyens canadiens que la famille El-Taji et le mari de Najat feront ce voyage, en 1996, le passeport canadien permettant une telle visite.

Najat m’a parlé avec émotion de ce grand voyage. Les membres de sa famille sont venus d’un peu partout, du Canada, des États-Unis et de l’Europe pour vivre ensemble ce moment unique de retrouvailles de leur paradis perdu.

Leur grande maison est devenue un sanatorium pour les gens avec des problèmes de santé mentale. La beauté du site et la fraîcheur de son air, me disait Najat, ne peuvent que servir à apaiser les gens. Sur le grand balcon, Najat s’est souvenue des paroles de sa tante, qui lui racontait que quand les deux grandes familles se réunissaient dans les grandes maisons des deux grands-pères, ils pouvaient entendre les rires réciproques des deux familles et les cris des enfants.

« On nous a tout pris, me disait Najat, mais même si on ne peut pas retourner sur nos terres, on ne les laissera pas nous voler notre patrimoine. »

On comprend alors pourquoi Najat accumule jalousement chaque parcelle de son patrimoine palestinien. Très jeune, elle a commencé à collectionner les robes brodées par les paysannes palestiniennes. Elle achetait et gardait tout. Les taies d’oreiller, les robes, les jetés de lit, etc. Comme si elle savait qu’un jour, elle allait les exposer dans son pays d’accueil pour que le monde les découvre. « J’ai senti que je me préparais à devenir une ambassadrice de mon pays », m’a-t-elle avoué.

Najat s’est donc donné pour mission de partager avec le monde ce patrimoine palestinien avant qu’il ne soit volé avec leur terre. Pour encore mieux préserver ces motifs ancestraux qui racontent les histoires des différentes régions, l’artiste inventera une technique qui consiste à les repeindre sur de la porcelaine pour que ni le temps ni les tentatives d’appropriation culturelle coloniales n’aient raison de son patrimoine.

Elle va même plus loin pour raconter des histoires inédites de résistance et d’espoir. Comme ce mur, qui porte les fleurs des broderies palestiniennes et qui raconte l’histoire de la résilience du peuple palestinien.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.