Le juge Alito et le mouvement contre l’avortement

Selon le brouillon de décision rédigé par le juge Samuel Alito, le droit et l’accès à l’avortement sont potentiellement sur le point d’être lourdement affectés par le jugement à venir de la Cour suprême des États-Unis dans le dossier Dobbs c. Jackson Women’s Health Organization. “”

Ce document, qui circule depuis lundi soir dernier et qui alimente bien des discussions tant au Québec qu’au sud de la frontière, représente le point culminant de 50 années de lutte contre les droits reproductifs. Plus encore, les arguments invoqués laissent planer le doute quant à l’invalidation d’autres droits acquis.

Qui est Samuel Alito ?

Samuel Alito, l’un des neuf juges siégeant à la Cour suprême des États-Unis, a été nommé par le président George W. Bush il y a plus de 16 ans. Ce juge, aujourd’hui âgé de 72 ans, porte depuis longtemps les revendications du mouvement contre l’avortement dans sa pratique.

La position actuelle de ce juge n’étonne pas. Déjà, en 1991, alors qu’il siégeait à la Cour d’appel des États-Unis pour le troisième circuit, Alito a rendu une opinion défavorable au droit et à l’accès à l’avortement dans le cadre de l’arrêt Planned Parenthood c. Casey.

Dans le cadre de cet arrêt, il a défendu l’idée qu’une personne enceinte désirant avoir accès à l’avortement devrait obtenir l’autorisation de son partenaire (« spousal notification »).

Outre cette opinion controversée, Alito a aussi rédigé une note adressée au département de la Justice, en 1985, alors qu’il était procureur pour le district du New Jersey. Dans le cadre de ce document, le juge donnait son opinion relativement à l’arrêt Thornburgh c. American College of Obstetricians and Gynecologists. Cet arrêt rejetait la constitutionnalité d’une loi étatique restreignant l’accès à l’avortement, forçant notamment les médecins à divulguer des informations décourageant leurs patientes de recourir à l’avortement. Alito était en désaccord avec la décision prise par la cour.

En plus de donner son opinion, sa note étayait une stratégie comprenant des composantes politiques et juridiques dans le but très assumé de renverser Roe c. Wade. À l’époque, Alito était conscient des faibles chances de complètement renverser l’arrêt phare de 1973. Il y détaillait donc les meilleures façons de contourner Roe et d’en « mitiger les effets » en passant par l’adoption de multiples lois étatiques restreignant l’accès aux services. Il y affirmait que cette manière de faire réduirait « les désavantages qui accompagneraient l’effort majeur de renverser Roe » en plus d’avoir l’avantage de ne pas avoir à en reconnaître la légitimité juridique. Force est de reconnaître que la stratégie du juge a été entendue et appliquée. Après l’adoption de plus de 1300 lois étatiques restreignant l’accès à l’avortement depuis 1973, il est maintenant plus que probable que la Cour suprême renverse entièrement les dispositions légalisant l’avortement sur l’ensemble du territoire états-unien.

La Cour suprême au service de l’idéologie conservatrice

À la fin de la présidence de Donald Trump, les analystes de la politique états-unienne savaient que les nominations des juges républicains Neil Gorsuch, Brett Kavanaugh et Amy Coney Barrett à la Cour suprême auraient des conséquences pour plusieurs années.

Dans le brouillon de décision qui circule depuis quelques jours, les juges majoritaires (républicains) laissent entrevoir la profondeur des changements que leur présence à la plus haute instance juridique du pays pourrait engendrer.

En effet, parmi les arguments mobilisés afin de soutenir le renversement de Roe c. Wade, ils soulignent que l’avortement n’est pas un droit énuméré dans la Constitution.

Afin d’évaluer la constitutionnalité de ce droit non énuméré dans la Constitution, les juges ont eu recours au test de Glucksberg qui stipule que pour être constitutionnel, un droit doit remplir l’une des deux conditions suivantes : 1. être profondément enraciné dans l’histoire et la tradition de la nation ou 2. être implicite au concept même de liberté. Selon l’interprétation des juges majoritaires, le droit à l’avortement échoue au test de Glucksberg, alors que l’avortement n’a été interdit (partiellement ou entièrement) qu’un siècle dans toute l’histoire des États-Unis.

À l’heure actuelle, plusieurs personnes militantes et analystes craignent l’effet « boule de neige » de la décision potentielle de la Cour suprême. Si le droit à l’avortement a échoué au test de Glucksberg, qu’en sera-t-il du droit au mariage gai, des droits récemment acquis par les personnes trans, de l’accès à la contraception et de sa couverture, ainsi que d’autres droits non énumérés dans la Constitution, dont l’adoption repose sur l’évolution des mœurs de la société états-unienne. Cette manière d’interpréter le droit a de quoi faire peur aux communautés marginalisées, particulièrement au sein des États républicains.

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