Famille

Des câlins plastifiés

Le plastique, c’est fantastique. Ce petit refrain des années 90 a été remis au goût du jour par des personnes en mal d’enlacements, chagrinées de ne plus pouvoir serrer grands-parents ou petits-enfants dans leurs bras. Au moyen d’une bâche étanche interposée entre les individus, des familles ont pu renouer avec les câlins en toute sécurité, créant des retrouvailles émouvantes… et insolites.

Affamées de contacts humains, des familles n’hésitent pas à recourir à ce procédé, qui n’est pas sans rappeler un condom géant ! Plusieurs vidéos du procédé ont émergé ces derniers jours, provenant des États-Unis ou de l’Ontario, où l’on aperçoit des aînés ravis de pouvoir enlacer leurs enfants et petits-enfants, même si ce fut à travers un film de plastique dressé entre eux. Des scènes touchantes et étranges, à l’image des temps présents.

L’idée plastifiée a fait son chemin jusqu’au Québec, la famille de Bianca Gervais et de Sébastien Diaz, coanimateurs de l’émission Format familial, l’ayant testée la fin de semaine passée. Elle constitua même un cadeau d’anniversaire – fort improbable ! – destiné au père de Mme Gervais.

« Il y a quelques semaines, j’étais partie poser quelque chose sur le perron de mon papa. Quand ma petite de 2 ans l’a vu, elle s’est approchée pour lui donner un ballon. Par réflexe, mon père s’est éloigné. Il avait les yeux pleins d’eau. Il m’a dit : “Ça n’a pas de sens, ça me fait tellement mal de ne pas pouvoir prendre mes petits-enfants dans mes bras.” »

— Bianca Gervais

En secret, et résolue de lui organiser ce cadeau « plus puissant que n’importe quel gugusse », l’animatrice a alors confectionné son installation, consciencieusement et précautionneusement : une immense bâche neuve fixée sur une grande corde, des manches hermétiquement fixées au ruban adhésif, le tout intégralement désinfecté.

En déballant ce cadeau plastifié, son père a eu à nouveaux les yeux remplis d’eau. « Dada » et « Mamilie » purent enfin se coller à leurs enfants et petits-enfants. « À ma grande surprise, c’était à la fois extrêmement farci d’émotion et ludique. Quel sentiment de tenir son papa dans ses bras ! On reste toujours les ti-culs de nos parents… »

Diffusée sur les réseaux sociaux, la scène a ému nombre d’internautes, même si l’écran de plastique en a laissé certains sceptiques. « L’art de faire peur aux enfants… », a écrit l’une d’elles. « Il me semble que c’est l’inverse, c’est l’art de montrer qu’il faut prendre certaines précautions, mais qu’il va y avoir un après. Ça a été fait dans le rire et la simplicité », rétorque Bianca Gervais.

Un signal de soutien social

Se faire un câlin avec plastique interposé, est-ce une bonne idée ? « Je ne peux pas m’avancer sur la sécurité du procédé et le fait que ce soit une bonne idée ou non, et je laisse les experts de la santé physique nous guider là-dessus », prévient avec prudence le psychologue Jean-Marc Assaad, directeur des services de formation chez PsyMontréal, qui précise en revanche qu’en temps normal, les enlacements sont très bénéfiques pour la santé, aussi bien mentale que physique. « Ils allègent beaucoup la détresse émotionnelle. De nombreuses études montrent que le toucher et les câlins libèrent des hormones de neurotransmetteurs qui réduisent le stress et l’anxiété. C’est un signal de soutien social. »

La présence d’une barrière de plastique est-elle à même d’amenuiser les bienfaits du contact ? Pour M. Assaad, « c’est toujours mieux que rien ». Il faut néanmoins que les participants se sentent à l’aise avec le procédé, notamment du point de vue de la sécurité. « Si l’un des deux est stressé à l’idée, cela pourrait défaire n’importe quel effet bénéfique ou provoquer de la détresse », prévient-il, suggérant dans ce cas de se tourner vers d’autres formes de soutien social, comme des appels téléphoniques et des visioconférences, pour exprimer son affection et sa disposition à aider. « Plus quelqu’un sent qu’il a un soutien social, plus il aura des sentiments positifs, et cela offre une forme de protection, au moins partielle, contre l’anxiété, la tristesse ou la dépression », rappelle le psychologue.

Et la sécurité ?

La question s’est rapidement posée : en voulant bien faire, s’expose-t-on à un risque de contamination ? La Presse a consulté deux microbiologistes experts, à la réponse similaire : le feu est vert – à condition, bien sûr, d’avoir pris toutes les précautions nécessaires (bâche large et étanche, manches parfaitement raccordées, désinfection préalable…).

« À mon sens, il n’y a pas de problème, puisqu’il n’y a pas d’échange d’air ou de fluides, ni de porte d’entrée microbiologique. A priori, ça semble sécuritaire. Le seul point où je pourrais voir un problème, c’est si plusieurs personnes ne vivant pas dans le même foyer se succèdent dans le même emplacement, lequel me semble un peu difficile à décontaminer entre chaque utilisateur. »

— Christian Jacob, président de l’Association des microbiologistes du Québec

« Ça brise un peu le cœur de voir ça. Mais il faut ce qu’il faut », lâche celui qui, en plus d’être scientifique, est père.

Selon Eric Frost, professeur en microbiologie et infectiologie à l’Université de Sherbrooke, la méthode est « intéressante », mais il préconise le nettoyage et la surveillance d’éventuelles fissures à la jonction des « manches », surtout si les utilisateurs sont de tailles différentes. « Si tout reste intact, si c’est nettoyé entre utilisateurs, cela devrait marcher », conclut-il.

Moralité : même si ce n’est pas parfait, le plastique, c’est fantastique. « Avec la pandémie, on aura au moins appris qu’on a besoin de l’autre et redécouvert ce désir d’être en contact, encore plus grand », philosophe Bianca Gervais.

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