Jeux vidéo 

Ce qui a changé, en cinq tableaux

Qu’est-ce qui a changé depuis 20 ans, alors qu’une petite entreprise française nommée Ubisoft s’est installée à Montréal ? Quatre artisans des premières années de ce studio font le bilan.

Multiplié par 10

Tout, de la taille des équipes affectées à un jeu à celle de l’entreprise elle-même, a explosé en deux décennies. « Les premiers partys de Noël, on les faisait à la cafétéria, raconte Luc Duchaine, directeur de marque sur le plus récent succès d’Ubisoft, For Honor. Aujourd’hui, il faut réserver deux fois le TAZ. » Installée au départ au 5e étage du 5505, boulevard Saint-Laurent, l’équipe de 250 employés en compte aujourd’hui 2800 dans cinq lieux éparpillés dans la métropole. La taille des équipes affectées à un seul jeu a suivi la même courbe : de quelques dizaines, on est passé à près d’un demi-millier d’artisans de toutes les divisions, écartelés entre plusieurs pays, pour des projets comme Watch Dogs ou Rainbow Six.

De produit dérivé à marque

Si le premier titre d’Ubisoft Montréal en 1998 était un jeu de course original, Speed Busters, le studio se spécialisait à l’époque dans les jeux simples associés à des franchises connues, comme Playmobil et Disney. « Le jeu vidéo était perçu à l’époque comme un produit dérivé, intégré avec d’autres dans le marketing d’un film », explique le producteur Stéphane Cardin. Le revirement de situation est total 20 ans plus tard, du moins pour un studio comme Ubisoft Montréal : ce sont des jeux comme Prince of Persia et Assassin’s Creed qui créent leur propre univers, auquel s’accolent des films, livres et produits dérivés de toutes sortes. « For Honor, Watch Dogs, Steep, ça n’existait pas il y a cinq ans », note M. Cardin.

Service après-vente

Le jeu vidéo est un des rares domaines où la durée de vie des productions a augmenté. La commande en 1997 était relativement simple : « On développe un petit jeu pour un public cible et on passe à autre chose », dit M. Cardin. « À l’époque, quand le jeu était fini, tout le monde partait en vacances, se rappelle M. Duchaine. For Honor, ça fait quatre mois que c’est sorti et on est plus d’une centaine de personnes qui y travaillent encore. » Des émissions hebdomadaires sur Twitch sont diffusées pour satisfaire les milliers de joueurs qui veulent explorer à fond ces univers. Des mises à jour régulières sont poussées pour corriger des bogues découverts par des joueurs. Et il faut gérer ce qui était encore embryonnaire il y a deux décennies, la communauté des joueurs en ligne, leur offrir de nouveaux tableaux, de nouvelles armes.

Du théâtre à la quasi-réalité

Le cheminement professionnel du directeur artistique Raphaël Lacoste (Prince of Persia, Assassin’s Creed) résume à sa façon la métamorphose des jeux vidéo. Lui qui a touché au théâtre et aux effets spéciaux a vu la même dynamique s’appliquer dans son studio. « Auparavant, on n’était pas dans la recherche du réalisme pur, ça s’apparentait plutôt au monde du théâtre. On décidait du décor, on concevait les graphiques dans lesquels le joueur évoluait dans un corridor. » Aujourd’hui, notamment grâce à la puissance croissante des consoles, l’expression consacrée est le « monde ouvert ». À partir d’éléments de base, on génère automatiquement un environnement complexe avec une richesse qu’il aurait été impensable d’obtenir à la main. « Avec une cinquantaine de modules [« assets »], on a pu couvrir 250 kmdans Assassin’s Creed Black Flag », précise-t-il. 

Joueur vs agent

Les personnages de jeux vidéo sont depuis belle lurette considérés comme des exemples d’intelligence artificielle (des « agents intelligents »), et ils l’étaient déjà il y a 20 ans. La grande nouveauté, c’est l’apprentissage profond. « Au lieu d’un comportement scripté, on laisse maintenant l’agent intelligent découvrir son environnement », explique Yves Jacquière, directeur du département de recherche et développement d’Ubisoft Montréal, baptisé La forge. Les résultats à l’écran sont fascinants : une voiture autonome qui apprend à suivre un trajet, un guerrier de For Honor qui va inventer de nouvelles façons de se battre pour trouver les failles du jeu, un personnage qui apprend seul à descendre une pente, se penche quand le plafond est bas. « Très bientôt », assure M. Jacquière, les joueurs pourront se frotter à des intelligences artificielles qui se comporteront comme des humains.

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