Spectacle avec une marionnette noire

Ne mélangeons pas tout

Devenu depuis peu la « vedette » médiatique d’un comportement tout à la fois absurde et malveillant d’un petit groupe social qui s’arroge le droit de faire interdire une représentation artistique, au nom d’un blackface qui n’en est pas un, et d’une protection de jeunes enfants qui n’en est pas une, Max, la marionnette de Franck Sylvestre, doit se demander ce qui lui arrive.

Rappelons que le blackface qui a eu cours jusqu’à tout récemment dans notre histoire était une pratique théâtrale de grimage en noir de personnages blancs pour stéréotyper, inférioriser et raciser des personnes noires dans notre société, au bénéfice d’une majorité pas du tout silencieuse, au contraire très bruyante.

Or dans la controverse qui nous est présentée actuellement, Max n’est pas un blackface. C’est un personnage de théâtre, une caricature d’un passé colonial chargé qu’on voudrait enfouir dans notre mémoire et ne plus voir, comme le sont souvent les personnages de théâtre, et qui intervient à la fin du spectacle de Franck Sylvestre pour résoudre l’énigme du conte, comme il le dit lui-même. On ne doit pas mélanger les pommes et les oranges, selon le dicton, et dans ce cas-ci, c’est malheureusement ce qu’on fait. Reprocher à un conteur-comédien de « jouer » avec et non sur une représentation de lui-même, n’a pas de sens. Cela nous oblige à réfléchir sur le rôle et la place qu’on accorde aux artistes aujourd’hui, quelles que soient la couleur de leur peau ou leur origine ethnique ou toute autre caractéristique liée à une discrimination (genre, handicap, orientation sexuelle, etc.).

La caricature est un art, une œuvre de création, qui n’a d’ailleurs jamais eu « bonne presse » dans les siècles passés. Rappelons-nous les caricatures de Daumier, du Guignol, et plus récemment celles de Charlie Hebdo, qui ont conduit à un ensemble d’interdictions, d’emprisonnements, allant jusqu’aux meurtres. Elles sont pourtant essentielles pour qui veut comprendre les travers et les qualités des êtres humains, afin d’arriver à se comprendre soi-même et le monde qui nous entoure.

Car la caricature cherche à provoquer une réaction émotionnelle à travers une transgression. En bousculant la bienséance, elle a pour but de rendre visible ce que masque une vision convenue d’un problème social (le racisme), de développer une culture de résistance au pouvoir politique, culturel et surtout de nous faire au moins sourire, si ce n’est rire.

La Fontaine le disait déjà au XVIIsiècle dans une de ses fables, Le Cochet, le Chat et le Souriceau : « Garde-toi, tant que tu vivras, de juger les gens sur la mine ». C’est pourtant ce qu’on est en train de faire, en interdisant à un artiste de dévoiler son talent de créateur multidisciplinaire et de se représenter publiquement comme il l’entend. On confond caricature comme personnage et la personne qu’elle incarne comme artiste. On s’insurge contre les dangers pour les jeunes enfants de voir et d’entendre des préjugés à combattre, du racisme « banal, ordinaire » à éradiquer systématiquement, de prendre conscience que l’imaginaire, la poésie, le conte, l’humour, le rêve sont tout ce qui nous reste en ces temps de crises multiples. Pourtant, c’est exactement ce que déploie L’incroyable secret de Barbe Noire de Franck Sylvestre dans une belle symphonie de couleurs, d’accents, de rires et de peurs. Croire que les jeunes enfants ne doivent pas avoir peur ou les prendre pour des « petits, fragiles, sans jugement » qu’il ne faut pas effaroucher, c’est bien mal les connaître. Ce dont ils ont essentiellement besoin en ce moment, c’est de profiter d’un espace convivial où tout peut se dire et s’entendre et en ressortir grandis, enthousiastes et heureux.

Max, la marionnette caricaturée d’une personne noire, s’en remettra. J’en suis beaucoup moins sûre pour l’artiste, qu’on a blessé et malmené dans son imaginaire et sa création, pourtant reconnu par ses pairs, par les différents Conseils des arts, ici comme en Europe.

Il serait vraiment erroné de supposer que la censure ne s’impose pas au sein d’un même groupe social ou des institutions qui subventionnent la culture. Les artistes, plus que tous les autres, le savent tellement, eux (et elles) qui passent tant de temps à chercher de l’argent pour pouvoir créer et en vivre. L’art est rarement consensuel. Mais dire à haute voix ce qui nous dérange, nous blesse, nous allume aussi, est un acte courageux, franc et non consensuel. Tout mon respect va donc à Franck Sylvestre et à son « pote » Max qui bravent la tempête.

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