« Refondation » du système de santé

Un plan par et pour les fonctionnaires

Le « Plan pour mettre en œuvre les changements nécessaires en santé » est exactement cela : une liste de prérequis. Parmi les 50 mesures se trouvent pêle-mêle de nouvelles orientations stratégiques, des conditions de succès (prérequis), des résultats attendus et quelques outils pour « rendre le réseau plus humain et plus performant ». Dans la presque totalité des cas, des mandats qui occuperont les fonctionnaires du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS). Les patients, eux, sont priés d’attendre.

Un plan par et pour les fonctionnaires du MSSS, quoi ! Une to-do list qui s’étale sur une période de plus de cinq ans (!!!) pour les hauts fonctionnaires cités dans les rectangles du gigantesque organigramme du système de santé.

Christian Dubé croit qu’il peut nettoyer le champ de mines de son réseau public parce qu’il a vu des succès pendant la période pandémique.

Il a tort. Ce qu’il appelle des « succès » n’a été possible que parce qu’il avait carte blanche sur l’ensemble du réseau.

Il pouvait déplacer ou ajouter du personnel à sa guise, obliger celui-ci à annuler ses vacances, imposer du délestage, souvent inutilement… Les ordres professionnels « filaient doux ». La critique n’était ni possible ni tolérée. Le ministre bénéficiait d’une enveloppe budgétaire sans limites pour orchestrer son plan de vaccination, créer des ententes avec des fournisseurs sans appel d’offres, etc. Pas étonnant qu’il ne veuille pas que l’état d’urgence prenne fin…

La réalité du mastodonte est bien différente. L’espace de liberté du grand gestionnaire de la santé est bien limité, le réseau public étant régi d’abord par les groupes corporatistes et syndicaux qui le gouvernent.

Les conditions de succès

Cela dit, ce rapport énonce clairement les « conditions de succès » du projet Dubé, soit 1) une véritable prise en charge au sein d’un groupe de médecine familiale ; 2) une capacité excédentaire du personnel ; 3) le décloisonnement des champs de pratique des professionnels de la santé ; 4) une modernisation en matière de technologies de l’information (dossier de santé numérique et système de gestion intégrée des ressources) ; et 5) des outils de mesure de performance.

Tout repose sur ces prérequis. Sérieusement, vous évaluez à combien la probabilité que tout cela réussisse ? Je rappelle que le maître d’œuvre est le MSSS…

Et on peut évaluer à combien la probabilité que l’État-assureur se limite à énoncer des orientations et à mesurer les résultats, alors que le réseau en serait responsable ? Qu’il y aura une véritable décentralisation du réseau, avec tous les moyens nécessaires pour y exercer une autonomie certaine en termes d’organisation du travail ? Que s’implante sans coûts exorbitants un système de gestion intégrée des ressources humaines, financières et des approvisionnements ?

Quant à la nouvelle orientation d’offrir un accès à un médecin de famille OU à un professionnel de la santé en temps opportun, c’est majeur. Serions-nous tellement médiocres que nous devons renoncer à un accès à un médecin ? Au lieu d’ajouter des médecins, a-t-on choisi d’ajouter des hauts fonctionnaires ?

Enfin, plutôt qu’un financement des établissements sur une base historique, on propose un financement basé sur la réponse aux besoins. Bravo ! Seulement, il y a un problème. On aura beau financer autrement les épisodes de soins, un problème fondamental demeure : il y a une limite au budget du ministère de la Santé et des Services sociaux.

En clair, ce n’est pas parce qu’on financera autrement les établissements que les budgets du secteur public ne seront pas plafonnés !

D’autant qu’il y a un rattrapage monstre pour les chirurgies ambulatoires. D’autant que la couverture du régime est tellement étendue qu’on n’arrive déjà pas à répondre aux attentes (pensons aux besoins des jeunes et des aînés). Quant au financement pouvant nous parvenir du fédéral, autant oublier ça.

On fait quoi, alors ? C’est foutu ? On continue de faire attendre les gens ? On donne encore la chance au coureur ? On risque le tout pour le tout parce qu’on aurait confiance au ministre de passage ?

Non. Ça suffit ! 1) il faut augmenter le nombre de médecins de famille ; 2) on doit permettre aux médecins de pratiquer à la fois dans le secteur public et le secteur privé (pratique mixte) ; et 3) on doit s’ouvrir au secteur indépendant pour une solide injection de concurrence dans la gouvernance des établissements et la fourniture de soins et services sociaux.

Il est temps d’ouvrir la machine. Au lieu d’interdire, permettons ! Le mandat du Ministère ? Établir des orientations, signer des ententes de gestion et de fourniture de soins et évaluer les résultats. Point.

Si le secteur public doit attendre cinq ans pour se raplomber, ouvrons à une plus grande variété de secteurs et permettons une contribution des citoyens qui le désirent.

Ultimement, le modèle québécois nous amène à ça : payer beaucoup d’impôts pour devoir, en plus, se payer des services dans le privé. Malheureusement, malgré tous les échecs du modèle québécois, on vote encore pour ça. Et malheureusement, ce ne sont pas les plus favorisés qui en paient le véritable prix.

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