Relancer le dialogue intergénérationnel

Après la crise, il faudra relancer le dialogue intergénérationnel et parler de solidarité. Pas juste avec les plus vieux de nos sociétés, mais avec le reste des habitants de la biosphère, dont les microbes, qui sont de véritables aînés dans le vivant. En effet, que représentent les 300 000 ans de Sapiens quand on sait que les virus existent depuis au moins 3,4 milliards d’années ? En plus, s’il y a une vérité scientifique de plus en plus reconnue, c’est que les virus font partie de nos ancêtres lointains.

L’idée fait son chemin depuis la cartographie du génome humain. Une des découvertes inattendues que nous avons apprises de ce grand projet qui a été réalisé au début des années 2000, c’est qu’environ 8 % de notre matériel génétique est de l’ADN viral provenant de vestiges de très anciennes infections devenues héréditaires. Ces traces laissées par les virus dans nos gènes dateraient d’il y a déjà 500 millions d’années, ce qui correspond à la période d’apparition des vertébrés sur la Terre. La plupart du temps, telles des reliques inutiles, ces gènes d’origine virale sont silencieux et dormants dans nos chromosomes. Mais, dans quelques rares exceptions, il arrive qu’ils soient actifs et permettent ou, pour être plus précis, codent pour la synthèse de protéines qui peuvent intervenir dans notre métabolisme.

Ainsi, le chercheur français Thierry Heidmann et son équipe ont découvert que deux gènes provenant de rétrovirus qui sont en nous codent pour des protéines appelées des syncytines et qui sont indispensables à la formation normale du placenta chez les mammifères. Ces gènes de rétrovirus, introduits chez nos ancêtres primates il y a de 25 à 40 millions d’années, ont été déterminants sur notre histoire. Si le placenta, qui permet aux bébés de mammifères de se développer dans l’utérus de la femelle, doit au rétrovirus, on peut dire que les virus à ARN ont eu un rôle majeur dans l’apparition et l’évolution de notre espèce de ce grand groupe des mammifères placentaires, dont nous faisons partie.

La présence de cet ADN viral dans nos chromosomes aurait commandité une deuxième particularité de notre mode de reproduction. Les virus nous auraient aussi transmis des aptitudes d’immunosuppression.

Autrement dit, nous avons hérité d’eux notre capacité à désactiver le système immunitaire localement et temporairement. Une propriété indispensable à la survie de l’œuf fécondé, lorsqu’installé dans l’utérus. Pour quelle raison ? Après la fécondation d’un ovule, la future maman doit rappeler ses cellules immunitaires à l’ordre pour éviter qu’elles s’acharnent sur les composantes d’origine paternelle, qu’elles confondent avec des corps étrangers indésirables, voire des microbes. Lorsque des globules blancs de la femme voient s’installer dans leur territoire des sous-produits d’un spermatozoïde, ils déclenchent l’alerte et se préparent à attaquer le composite en formation. Alors, pour éviter que cette réaction physiologique ne compromette la survie de l’œuf fécondé, le corps de la femme abaisse ses propres défenses cellulaires.

C’est cette capacité à moduler l’immunité pour éviter que l’œuf fécondé ne soit la cible des globules blancs que nous ont léguée les virus. Ces deux exemples montrent à quel point l’empreinte de ces ancêtres microscopiques a été décisive sur l’apparition et l’évolution des mammifères placentaires, notamment celle des animaux très intelligents que nous sommes.

Les virus sont des vieillards qui ont vu neiger et doivent leur expérience au temps. Ils sont peut-être aussi là pour nous rappeler l’importance de la solidarité avec ceux qui nous ont précédés, y compris le reste de la biodiversité, que nous exterminons à vitesse grand V. Malheureusement, même si plus de 95 % du monde viral est en paix avec nous, il restera toujours un bras armé de la sélection naturelle au service de l’évolution et de l’équilibrage des systèmes biologiques.

Bref, ils commettent des massacres sur tous les plans du vivant, comme en témoigne le SARS-CoV2, qui est un vilain virus porteur d’une génétique d’âgisme, car c’est chez les plus vieux qu’il a fait beaucoup plus de ravages. Mais, son apparition nous a aussi révélé au grand jour la relation problématique que nous entretenons avec les plus âgés de nos sociétés. Une faille majeure qu’on gagnerait à colmater rapidement.

Alors, dans notre plan de relance après la pandémie, il faudra aussi penser à revoir en profondeur notre rapport à la vieillesse, qui a été le point faible du Québec, surtout pendant la première vague. Je ne parle pas seulement ici de la catastrophe dans les CHSLD, mais de notre déficit de bienveillance envers les plus vieux et vulnérables.

Évidemment, il est plus facile d’attribuer la faut au gouvernement, aux préposés aux bénéficiaires ou aux transferts fédéraux en santé que de reconnaître que cette catastrophe découle aussi d’un choix sociétal duquel on a longtemps détourné le regard. Je pense ici à cette propension d’un certain capitalisme à vouloir presque donner une date de péremption à ceux qui ne participent plus au système de production. C’est ce manque de reconnaissance et de solidarité intergénérationnelle qui a amené beaucoup de gens à demander, à mots couverts, d’enfermer les plus vieux pour que les plus jeunes puissent vivre la pandémie sans contraintes. Quelle façon injuste de remercier ceux et celles qui se sont époumonés dans le passé pour nous permettre de vivre un présent plus agréable.

Faut-il rappeler que ce sont les sacrifices de ces gens qui nous ont donné cette grande liberté grâce à laquelle, aujourd’hui, quelqu’un à qui on demande simplement de mettre son masque avant d’entrer dans une épicerie se permet de crier à la dictature et au fascisme ? Je me demande d’ailleurs ce que pensent tous ces gens âgés qui ont été envoyés en Europe pendant leur adolescence pour aller combattre le fascisme lorsqu’ils entendent ces contestataires vivant dans un des endroits les plus paisibles de la planète associer le simple port du masque à cette horrible et mortifère idéologie.

Ces plus vieux et vulnérables qu’on marginalise sont les artisans des libertés et des facilités dont nous profitons généreusement aujourd’hui. Un peu comme les microbes, qu’on pense sans importance, qui sont les fondations sur lesquelles s’est construit le vivant.

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