Mouvements sociaux

Autres temps, mêmes mœurs

Si elle avait l’occasion de croiser James Richard Cross, Louise Lanctôt ne lui ferait pas d’excuses. Seule femme du Front de libération du Québec, elle a pourtant été l’une des ravisseuses du diplomate britannique en 1970. « Si on me remettait dans les mêmes conditions sociales et familiales, je referais la même chose », dit-elle aujourd’hui.

Âgée de 68 ans, l’ancienne felquiste assume complètement son passé, et ce, même si elle s’est distancée des idées du FLQ dès 1971, rejoignant plutôt les rangs d’un parti marxiste-léniniste qu’elle a depuis aussi abandonné. « Bien sûr, mon regard n’est plus le même avec l’expérience acquise ici et en France dans divers mouvements sociaux. »

Elle a passé huit ans en exil après la libération de Cross, dont quatre à Cuba et quatre en France. De retour au Québec en 1978, elle a fait un séjour de huit mois derrière les barreaux. « Je ne regrette pas ce que j’ai fait, je me suis responsabilisée. J’assume complètement les conséquences de mes actes », dit-elle.

Elle n’hésite d’ailleurs pas à utiliser le mot « terroriste » pour qualifier ses actions et celles de ses anciens camarades felquistes, dont son frère, Jacques Lanctôt, et son ex-mari, Jacques Cossette-Trudel. Ensemble, ils ont fait partie de la cellule Libération du FLQ. « À l’époque, j’étais convaincue que les actions que nous posions étaient essentielles pour changer les choses, pour réveiller les Québécois », dit-elle.

CLARIFIER LA LUTTE

Aujourd’hui, Louise Lanctôt comprend que de jeunes femmes soient en colère et, du coup, attirées vers des mouvements radicaux.

« Quand tu fais face à une police pas très éduquée, que tu fais une manifestation et que les policiers te vargent dessus juste pour te varger dessus, je comprends qu’on puisse se radicaliser. La brutalité amène la radicalisation. »

— Louise Lanctôt

« En 2012, le mouvement a fini avec des étudiants estropiés. Je comprenais leur colère. »

Celle qui a fait carrière dans le milieu de la santé a cependant plus de difficulté à comprendre la rage qui anime le mouvement étudiant de 2015. « On a l’impression que les étudiants ne savent pas contre quoi lutter. En 2012, c’était les frais de scolarité et ils ont ouvert la conscience de la société sur ce qu’est le bien commun. Cette année, c’est trop abstrait, on a de la difficulté à s’identifier à la cause, note-t-elle. La bataille doit être clairement identifiée et juste. »

INCONTOURNABLE SEXISME

Dans les années 70, seule femme au cœur d’une organisation radicale, Louise Lanctôt a souffert du sexisme de ses camarades. Dans le livre qu’elle a écrit sur son exil, Une sorcière comme les autres, elle en parle abondamment. « Je n’étais jamais la bienvenue dans les discussions. Je lisais beaucoup à l’époque. Si je citais quelqu’un, on me demandait la citation exacte. Si j’avançais une idée, elle était mise de côté parce qu’elle ne s’appuyait pas sur un auteur », se souvient-elle. 

Plusieurs critiques estimaient qu’elle avait été entraînée par son mari et son frère. « On me réduisait au fait que j’étais “la femme et la sœur de”. J’ai toujours cru au libre arbitre et à l’obligation pour une femme de prendre sa place dans l’action comme dans la société en général. »

Louise Lanctôt se désole d’apprendre que les filles du mouvement étudiant font toujours face au sexisme dans les rangs militants et qu’elles doivent toujours se battre pour avoir leur place en 2015. « C’est frustrant de voir que l’apport des femmes dans les grandes luttes est toujours invisible. »

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