Magali Tisseyre

L’essoufflement tranquille

Dix ans après sa percée remarquable sur la scène internationale du demi-Ironman, la triathlonienne Magali Tisseyre prend sa retraite. Sereine et prête pour sa nouvelle aventure.

Magali Tisseyre n’a ni nagé, ni roulé, ni couru ces derniers temps. Ou si peu. Elle a « disparu de la carte », pour reprendre ses mots. Après un essai non concluant à l’Ironman, elle a décidé de prendre sa retraite.

« Ça ne s’est pas nécessairement fini de façon très positive pour moi, explique la femme de 37 ans. Ç’a été une dernière année vraiment frustrante. Je m’étais dit que j’allais faire l’Ironman. C’était comme un nouvel angle. Dans le fond, j’ai réalisé que je n’aimais pas ça tant que ça, la plus longue distance. En plus, pour mon corps, ça ne marchait plus. Le mental non plus. »

Son choix était fait depuis plusieurs mois, mais elle ne sentait pas le besoin de l’annoncer. Peut-être n’en avait-elle pas la force. Des proches l’ont encouragée à le faire. Pour les gens qui l’ont suivie et soutenue, mais surtout pour elle. « Libère-toi », entendait-elle.

Alors elle a écrit au seul journaliste dont elle avait les coordonnées, le premier à écrire un article sur elle dans un média généraliste. En novembre 2010, Magali Tisseyre venait de gagner la médaille de bronze aux Championnats du monde de demi-Ironman, sa deuxième de suite dans cette discipline relativement jeune, combinant 1,9 km de natation, 90 km de vélo et 21,1 km de course à pied.

Âgée de 29 ans à l’époque, la Montréalaise était arrivée sur le tard au sport de compétition de haut niveau. Les commanditaires affluaient. L’émission Tout le monde en parle l’a reçue.

« J’étais super inspirée. Tout était nouveau, c’était comme un rêve. Je me pinçais. »

Après de tels débuts, elle visait forcément la plus haute marche du podium. Et peut-être, un jour, voudrait elle faire la transition vers l’Ironman, la discipline mère, et participer aux mythiques Championnats du monde de Kona, à Hawaii.

Sa carrière de 10 ans ne s’est pas exactement passée comme ça. Elle n’en éprouve aucun regret. « J’avais comme atteint une limite et j’étais satisfaite de ça, expose-t-elle en entrevue dans un parc de Montréal. Je suis très fière de ce que j’ai accompli. »

En plus de ses deux podiums aux Mondiaux, Tisseyre a signé pas moins de 17 victoires sur le circuit Ironman 70.3, marque de commerce du demi, dont la distance est exprimée en milles.

Son ascension remarquable a coïncidé avec l’organisation d’une épreuve à Mont-Tremblant, dont elle est devenue l’ambassadrice toute naturelle, surtout après sa première place à la présentation inaugurale en 2011. « C’était tellement un beau moment, avec tous ces gens qui m’encourageaient. »

« Mighty Mag » voguait d’un succès à l’autre, succès qui nourrissaient son ambition à l’entraînement. Son corps a subi les contrecoups de cet acharnement. La pression l’a rattrapée aux Mondiaux de 2011 à Las Vegas, où elle n’a pas terminé.

Les années suivantes, marquées par les blessures, ont été difficiles. Ralentie par des maux à la hanche et au bas du dos, elle a dû se contenter du 10e rang aux Championnats du monde présentés à Mont-Tremblant en 2014.

Tisseyre est partie en Californie pour rejoindre un groupe d’élite dirigé par Paulo Sousa. Cet encadrement rigoureux et exigeant lui a permis de retrouver son élan. Aux Mondiaux de 2015, en Autriche, elle a terminé quatrième.

« J’ai vraiment fait ma meilleure performance en championnat du monde, même si ce n’était pas un podium. C’est un sport nouveau, le niveau monte tout le temps, la course avait lieu en Europe. J’étais à une minute du podium. J’ai quand même été très contente de ça. »

Le retour en Californie a été plus pénible.

« J’étais avec des gens de 20 ans. Je faisais juste ça, il n’y avait rien d’autre. Ma vie, c’était une bulle artificielle [autour du triathlon]. Je n’allais jamais chez moi, même pour Noël. »

— Magali Tisseyre

En 2017, elle a pensé se retirer une première fois. Après un détour par la Floride, où elle a renoué avec l’ex-championne Lisa Bentley, une mentore, elle s’est installée à Mont-Tremblant. Le triathlon fait désormais partie du tissu social dans le village de villégiature.

À force de côtoyer tous ces athlètes motivés, elle a repris goût à son sport. L’Ironman s’est imposé comme un nouveau défi. Elle a plongé autant par curiosité que parce que les gens lui en parlaient depuis longtemps.

Le type d’effort plus « diesel » et les longues heures d’entraînement en solo ne lui ont pas convenu. La flamme brûlait moins fort. « Au 70.3, pendant les années où j’étais vraiment dedans, j’avais envie de gagner. C’est comme si j’avais atteint un point où j’étais bien. Je n’avais plus cette volonté désespérée de victoire. »

Elle a quand même fait trois Ironman en 2017, dont ceux de Mont-Tremblant (5e) et d’Argentine à la fin de l’année, son plus accompli où elle a fini sur la troisième marche du podium.

Les Championnats du monde de Kona semblaient la suite logique. Elle espérait se qualifier en prenant le départ de l’Ironman de Nice, en juin 2018, mais une préparation déficiente, en raison d’une autre blessure, l’a menée à l’abandon dans la portion de vélo.

Son corps et sa tête en avaient assez. « Je m’approchais de Kona, mais je pense que je me mentais un peu à moi-même. Dans le fond, à la fin de ma carrière, c’était un essoufflement tranquille ! »

L’été dernier, Tisseyre a traversé les États-Unis en motorisé avec sa mère, sa première partisane, pour prendre part à un triathlon cross-country XTERRA en Utah. Elle s’est amusée (4e) dans cette version tout-terrain de l’Ironman, mais ce fut sa dernière course.

La suite lui faisait un peu peur : la nécessité de redéfinir son identité à l’extérieur du sport, découvrir une passion qui l’allumerait autant.

Cette remise en question a apporté sa propre réponse : la psychologie, qui l’intéressait depuis des années. Elle vient de terminer sa première session en vue d’obtenir un baccalauréat à l’Université de Montréal. Cette titulaire d’une maîtrise en kinésiologie à McGill est heureuse de restimuler ses facultés intellectuelles. Elle vise le doctorat en psychologie, sa nouvelle ligne d’arrivée.

« Je me suis demandé à quoi le sport m’avait menée. À quoi j’avais contribué. Finalement, j’ai pris confiance. Je suis devenue une personne plus forte. J’ai appris des choses qui peuvent s’appliquer à la vie en général. Beaucoup de gens m’ont donné. Maintenant, je peux rendre. C’est ce que j’ai envie de faire. »

Quant au sport, Magali Tisseyre fait du vélo de montagne, s’est offert un camp de ski alpin l’hiver dernier. Pour le reste, elle a déjà donné.

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