La dentiste qui voulait faire bouger les choses
Sandra Verdon avait commencé sa carrière sur des chemins peu fréquentés, après l’obtention de son diplôme en médecine dentaire, en 2010.
« Rapidement, j’ai voulu faire des enfants et je ne voulais pas m’investir tout de suite dans une clinique dentaire, relate-t-elle au téléphone. J’ai fait une série de remplacements de congés de maternité entre mes congés de maternité. »
Elle a trois enfants, âgés de 4 à 7 ans. « Aujourd’hui, j’ai ma plus jeune avec moi, ça se peut qu’on se fasse déranger », prévient-elle.
En 2016, elle a fait un de ces remplacements dans une clinique dentaire pédiatrique à vocation communautaire, où un chirurgien-dentiste recevait de l’hôpital voisin des patients adultes très handicapés ou atteints de démence.
« Il m’a dit : “Sandra, est-ce que tu veux relever le défi de traiter une clientèle un peu plus difficile avec moi ?” »
« J’ai dit oui tout de suite. »
Les familles de ces patients lui ont décrit à quel point l’organisation de ces déplacements était ardue.
« Je me suis dit : ça serait si simple si quelqu’un pouvait se déplacer chez eux ! »
— Sandra Verdon
L’idée a lentement mûri jusqu’au mois d’octobre dernier. Après discussion avec son conjoint, lui aussi dentiste, « j’ai dit : “Let’s go, on part une clinique mobile, j’achète l’équipement et on commence.” »
Ça semble si simple…
« Un coup de tête, un peu, indique-t-elle… Je sais que les besoins sont là, c’est une clientèle avec laquelle j’aime travailler. »
Le coup de tête lui demandait tout de même d’investir dans une unité dentaire mobile, des instruments, un fauteuil pliable, de l’équipement informatique…
« Ma volonté était vraiment d’aider les familles davantage que… oui, je sais, le chien t’a couru après. »
Sa fillette vient d’intervenir. Elle reprend : « … davantage que du point de vue pécuniaire. »
En trois mois, la clinique mobile Solutions dentaires était mise sur pied, site web compris.
Le 8 janvier 2020, Sandra Verdon faisait sa première visite, tout son attirail casé dans la fourgonnette familiale.
Elle intervient dans les résidences, les ressources intermédiaires, les CHSLD et à domicile, auprès d’une clientèle handicapée, en perte d’autonomie physique ou cognitive.
« C’est une clientèle particulière, qui peut être difficile, reconnaît-elle. Une réparation de 30 minutes peut prendre une heure avec un patient atteint de démence ou d’alzheimer. »
Le principal défi demeure l’ergonomie des interventions, qui se pratiquent quelquefois directement dans le lit du patient.
« Il y a des troubles de comportement, on ne se le cachera pas », ajoute-t-elle.
Elle les contourne avec « des trucs de psychologie ».
« Il faut entrer dans leur univers, trouver leurs intérêts, avoir une discussion autour de ça, et habituellement le traitement se fait tout seul. Pendant que je traite un patient, il y a toujours de la conversation, des chansons… »
— Sandra Verdon
Parce qu’elle chante également ?
« Quand c’est des enfants, oui ! Le répertoire de Passe-Partout y passe au complet. »
Le 15 mars, les soins dentaires ont été interrompus, hormis les cas d’urgence.
Avant même que des directives soient émises, elle a élaboré ses propres protocoles de sécurité. « Je m’étais équipée de jaquettes, de visières, de masques N95. »
Elle a fait une vingtaine d’interventions, « dont une patiente de 100 ans, ma première centenaire ! »
Ce fut une succession de petites histoires d’humanité au quotidien.
Elle a reçu l’appel d’un patient âgé qui avait brisé le crochet de sa prothèse partielle amovible, dont une pièce métallique lui blessait l’intérieur de la joue. La résidence lui a refusé l’accès, mais elle a réussi à négocier un compromis. « Puisque je ne pouvais pas aller plus loin que le hall d’entrée, le patient m’a remis sa prothèse dentaire à cet endroit. Ensuite, j’ai été en mesure de couper et polir le crochet de sa prothèse à même le stationnement, dans ma voiture. C’est ce que j’appelle de la dentisterie de brousse ! »
Une autre fois, elle est intervenue à domicile avec le dentiste traitant d’un patient très âgé et gravement malade pour extraire une dent branlante qui l’empêchait de manger. « Il nous a dit à la fin de notre rencontre qu’il ne pouvait pas concevoir mourir durant la pandémie sans avoir mangé un hot-dog pour une dernière fois. Nous sommes alors partis lui chercher deux bons steamers ! »
De ces trois mois de confinement et de soins attentionnés, elle tire une conclusion : « La pandémie est juste venue confirmer encore plus que les besoins étaient là. »
Depuis le 29 juin, Sandra Verdon a retrouvé l’accès à ses résidences. Solutions dentaires a rouvert ses carnets de rendez-vous pour juillet et août. « J’ai engagé ma première assistante hier, ma première employée officielle ! », se réjouit-elle.
Mais il demeure des montagnes à déplacer.
« L’autre défi, c’est qu’il y a encore des règlements gouvernementaux qui nous empêchent d’utiliser certains outils, dont la radiographie dentaire portative, explique-t-elle. Et dans une pratique dentaire, cet appareil est essentiel. »
Un règlement provincial datant de 1979 oblige en effet à fixer les appareils de radiographie, bien que des modèles mobiles très sécuritaires soient homologués par Santé Canada.
Elle a écrit à maintes reprises au gouvernement pour le sensibiliser au problème. La dentiste ne mâche pas ses mots. « Je ne peux pas offrir un traitement de canal à une personne avec une sclérose en plaques, alitée à domicile, parce qu’il y a un vieux règlement qui m’en empêche ! »
Il lui reste encore deux appareils à faire bouger. L’appareil de radiographie et l’appareil gouvernemental. L’un ne bougera pas sans l’autre.