COVID-19

92 000 opérations retardées

L'été devait permettre de « vider les listes ». Or, le nombre d’interventions chirurgicales reportées en raison de la COVID-19 s'est plutôt alourdi, passant de 75 000 à plus de 92 000 depuis la fin du mois de juin. « Un défi majeur » auquel doit rapidement s'attaquer le réseau, insistent des experts de la santé. Et, autre mauvaise nouvelle, un nouvel indicateur publié par l’Institut national de santé publique du Québec confirme un regain de l'épidémie au Québec.

Le réseau prié de « trouver des solutions »

Alors que Québec souhaitait faire fondre au cours de l’été le retard pris dans les opérations en raison de la COVID-19, c’est plutôt le contraire qui s’est passé : le nombre d’opérations retardées au Québec ne cesse d’augmenter et dépasse maintenant 92 000.

« Il faut trouver des solutions. […] C’est un défi majeur. On en parlait en juin de régler le sujet, et on en parle encore », affirme le président de l’Association québécoise de chirurgie, le DSerge Legault.

Mercredi, le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, a rappelé sur les ondes de Radio-Canada l’importance d’éliminer les listes d’attente. « Regardez comment on a pris du retard dans nos opérations normales. Nos opérations chirurgicales […] On doit rattraper le retard pour les chirurgies pour les cancers, etc. », a-t-il dit.

Avec l’arrivée de la COVID-19 au printemps, de nombreuses opérations avaient été reportées pour vider les hôpitaux. À la fin du mois de juin, le Québec présentait une liste d’attente d’environ 75 000 interventions chirurgicales, selon le DLegault. Des données du ministère de la Santé du Québec montrent qu’au 24 août, 92 273 opérations avaient été reportées.

« Il y a un backlog inédit dans l’histoire de la chirurgie au Québec.  »

— Le DSerge Legault, président de l’Association québécoise de chirurgie

Les spécialités les plus électives sont les plus touchées, comme l’orthopédie, la plastie et l’ophtalmologie. Le Québec n’est pas la seule province touchée. Une analyse publiée cette semaine dans le Journal de l’Association médicale canadienne a révélé qu’il faudra au moins un an et demi à l’Ontario pour rattraper le retard accumulé en chirurgie. Entre le 15 mars et le 13 juin, l’Ontario a accumulé 148 364 opérations en retard.

Président de l’Association d’orthopédie du Québec, le DJean-François Joncas estime qu’au Québec aussi, il pourrait s’écouler environ deux ans avant que l’on vienne à bout des retards.

des régions plus touchées

C’est au CHU de Québec que le retard dans les opérations est le plus élevé. L’écart entre le nombre d’interventions réalisées cette année entre avril et août par rapport à la même période l’an dernier est de 8015.

La porte-parole Lindsay Jacques explique qu’avec 62 000 opérations par année, le CHU de Québec est « l’un des plus grands producteurs chirurgicaux » de la province.

Au CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec, 5654 opérations sont en retard par rapport à l’an dernier. La porte-parole Valérie Provencher explique que dès le 16 mars, « plus de 2400 opérations ont dû être reportées en moyenne par mois » dans les hôpitaux du territoire, qui opéraient à 20 % de leurs capacités. Une lente reprise des opérations a débuté à la fin mai et aujourd’hui, « 80 % des patients en attente d’une opération respectent les délais d’accès », affirme Mme Provencher.

Pour rattraper les retards, trois plateaux de chirurgies mineures ont été développés dans les blocs opératoires du CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec. L’établissement a aussi signé un partenariat public privé avec un centre médical spécialisé (CMS). Cette entente permet « de réaliser plus de 400 chirurgies supplémentaires », affirme Mme Provencher.

Plus d’ententes avec des CMS

Le DSerge Legault estime qu’une « combinaison de facteurs aggravants » fait que le dossier des interventions chirurgicales n’a pas progressé aussi rapidement que prévu cet été, dont les vacances du personnel. Après le printemps épuisant que le réseau a vécu, le DLegault explique qu’il était impensable de demander aux infirmières de salle d’opération déjà épuisées de ne pas prendre de vacances.

Mais pour le DLegault, le réseau doit rapidement trouver des solutions pour augmenter la cadence.

« La majorité des hôpitaux fonctionnent à 80 %-100 % de leurs capacités par rapport à l’an passé. À ce rythme, on ne videra pas les listes.  »

— Le DSerge Legault

Le DLegault croit que le recours aux « cliniques médicales spécialisées » (CMS) fait partie des solutions pour réduire les listes d’attente. Au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), on indique que six ententes ont déjà été signées entre des hôpitaux et des CMS pour que des opérations s’y déroulent. Jusqu’à maintenant, 3500 opérations ont été réalisées en CMS.

Mais c’est trop peu, selon les médecins spécialistes. « Ça fait des mois qu’il y a des négociations. On pourrait en avoir beaucoup plus que six. On aimerait plus d’ouverture du Ministère par rapport à ça », dit le DJoncas.

Dans une infolettre envoyée à ses membres la semaine dernière, la Fédération des médecins spécialistes du Québec dénonçait le fait que « plusieurs grands établissements, tel l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, pour ne nommer que celui-là, n’ont aucune entente et ne voient pas la lumière au bout du tunnel, à l’orée de la deuxième vague ».

Le DLegault ajoute que les établissements de santé doivent aussi trouver des solutions à l’interne pour augmenter leur cadence opératoire. Et le DJoncas souligne qu’une réflexion sur la pertinence de certains actes doit aussi avoir lieu. « Ce serait bien d’avoir un plan du gouvernement. Pour être transparent et donner des explications claires aux patients qui attendent », dit-il.

Un nouvel indicateur confirme une reprise de l’épidémie

Le taux de reproduction du virus est remonté au-dessus de 1

Un nouvel indicateur qui sera maintenant publié chaque semaine par l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) vient confirmer que la transmission de la COVID-19 est repartie à la hausse au Québec.

Le taux de reproduction effectif du virus de la COVID-19, ou Rt, est le nombre de gens qu’une personne infectée contamine. Si cet indicateur tombe sous la barre du 1, chaque personne infectée en contamine en moyenne moins qu’une autre et l’épidémie s’essouffle.

De nouvelles données publiées par l’INSPQ montrent que cet objectif a été atteint pendant près d’un mois, cet été, soit du 18 juillet au 13 août. Mais le Rt est remonté au-dessus de 1 par la suite. L’INSPQ l’estime aujourd’hui à 1,28.

Selon Mathieu Maheu-Giroux, épidémiologiste à l’Université McGill, cette hausse est en partie attribuable aux cas récents qui ont fait les manchettes, par exemple la soirée de karaoké à Québec qui a contaminé au moins 50 personnes.

« Le Rt qu’on estime est affecté par les éclosions qu’on a vues dans la capitale nationale », explique-t-il.

Le mur, la distance et la vitesse

Pour comprendre ce taux de reproduction effectif qui sera désormais publié de façon hebdomadaire, l’épidémiologiste Mathieu Maheu-Giroux utilise l’analogie du mur. Le mur est la situation qu’on veut éviter – le dépassement de la capacité des hôpitaux, par exemple, ou un nombre de décès donné. Le nombre de cas de COVID-19 est la distance qu’il nous reste à parcourir avant de rencontrer ce mur. Le Rt, lui, est la vitesse à laquelle on se dirige vers lui.

C’est donc la combinaison des deux indicateurs qui dicte le sentiment d’urgence. Mathieu Maheu-Giroux, par exemple, est inquiet de la remontée actuelle du Rt, mais pas outre mesure.

« C’est inquiétant, dans le sens où cet indicateur particulier tourne à l’orange-rouge. Il monte en haut de 1 et je n’aime pas ça. Mais ce qui relativise l’interprétation, c’est que le nombre de cas demeure relativement bas. On a eu 187 cas [jeudi], et il faudra voir si ça se maintient, mais on n’est pas à 300 ou 400 cas non plus », dit-il.

Bref, on vient de donner un coup d’accélérateur vers le mur, mais il reste de la distance avant de le heurter.

Pourquoi commencer à publier maintenant le taux de reproduction effectif de façon régulière ? Dans un breffage technique organisé par l’INSPQ à l’attention des médias, le professeur Maheu-Giroux a parlé d’un « concours de circonstances », expliquant que la façon de partager les données facilite maintenant l’exercice.

« Ce moment-ci est peut-être un bon moment. C’est une époque un peu sensible, il y a un retour des gens au travail, c’est la fin des vacances et on est tous un peu plus aux aguets par rapport à la transmission. »

— Mathieu Maheu-Giroux, épidémiologiste à l’Université McGill

Le graphique publié jeudi montre par ailleurs que le Rt est descendu sous la barre de 1 pendant une longue période allant du 28 avril au 25 juin. Ça n’a rien de surprenant : on savait que les cas avaient entamé une baisse soutenue à partir de la fin d’avril, et le Rt reflète cette situation. Mais sachant qu’un Rt inférieur à 1 signifie que l’épidémie perd du terrain, n’aurait-on pas dû tout faire pour le maintenir là et enrayer la COVID-19 une fois pour toutes ?

M. Maheu-Giroux explique qu’on entre ici dans le débat opposant les approches de type « suppression » à celles de type « contrôle ». La Nouvelle-Zélande, pays insulaire où il est plus facile de contrôler les importations de cas de l’extérieur, suit avec un certain succès l’approche de la suppression. Le Québec et le Canada, comme la plupart des pays, tentent plutôt de contrôler l’épidémie plutôt que de l’éradiquer.

Sachant que le taux de reproduction effectif donne un portrait de l’épidémie avec un décalage d’une dizaine de jours, il faudra maintenant surveiller les données de la semaine prochaine, qui donneront une meilleure idée des impacts de la rentrée scolaire.

Près de 200 cas par jour

Le Québec a déclaré jeudi 187 cas de COVID-19 supplémentaires lors des 24 heures précédentes. Notons que le nombre de cas quotidiens dépasse maintenant la centaine depuis neuf jours consécutifs.

Québec a par ailleurs rapporté trois nouveaux décès liés à la maladie, portant le total à 5767 depuis le début de la pandémie. Le nombre d’hospitalisations a diminué de 9 par rapport à la veille pour atteindre 100 ; là-dessus, 20 patients se trouvent aux soins intensifs, le même nombre que la veille.

COVID-19

« On s’approche d’un seuil peut-être critique »

François Legault ne prévoit pas de « mesures additionnelles »… pour l’instant

Avec 187 cas supplémentaires de COVID-19 en 24 heures, le Québec « s’approche d’un seuil qui est peut-être critique », estime le premier ministre François Legault qui, « pour l’instant », ne prévoit pas de restrictions additionnelles comme la fermeture des bars.

Le gouvernement entend toutefois serrer la vis aux « récalcitrants » atteints de la COVID-19 qui refusent de s’isoler et aux établissements qui ne respectent pas les consignes sanitaires.

Jeudi, lors d’un point de presse à Saint-Raymond, dans la région de la Capitale-Nationale, François Legault a confirmé que l’approche de son gouvernement, si la situation devait empirer, serait de procéder à un reconfinement par régions, voire par sous-régions, comme La Presse l’a rapporté.

Des indications en ce sens avaient d’ailleurs déjà été données au mois de juin. Québec avait alors fait savoir qu’un reconfinement général comme au printemps n’allait pas se reproduire, à moins d’une propagation catastrophique généralisée. On procéderait plutôt par territoires, mais aussi par secteurs d’activité, en confinant d’abord ce qui n’est pas essentiel.

« Pour l’instant, il n’est pas prévu à court terme de mesures additionnelles. Mais allons-y dans l’ordre où on a donné des permissions. On a donné la permission aux bars de rouvrir, incluant les karaokés, est-ce qu’on doit revenir sur cette décision ? Pour l’instant, non. Mais éventuellement, il ne faut pas l’exclure », a expliqué M. Legault.

Pas un « déclencheur automatique »

Selon lui, il n’est pas question de fermer les bars ou les karaokés en ce moment parce que la majorité respecte les consignes et que les cas confirmés ne sont pas liés strictement et en grand nombre aux débits de boisson.

Avec 187 cas supplémentaires s’inscrivant dans une tendance à la hausse depuis quelques jours, le Québec a franchi le seuil des 20 cas pour 1 million d’habitants pour la journée. « Évidemment, on s’approche d’un seuil qui est peut-être critique », a signalé le premier ministre.

Le gouvernement avait lui-même fixé ce seuil à ne pas dépasser sur une période de sept jours. Se maintenir en deçà de ce seuil hebdomadairement, « c’est un objectif », a précisé M. Legault. Si on le franchit au bout de sept jours, que se passera-t-il ? Ce n’est pas « un déclencheur automatique » de nouvelles mesures, de nouvelles restrictions, a-t-il répondu. Plusieurs facteurs seront pris en compte pour en arriver à une décision.

« Si la majeure partie des cas étaient dans des bars, la décision serait facile à prendre : on ferme les bars. Mais là, les cas sont répartis dans plusieurs secteurs. »

— François Legault, premier ministre du Québec

Il a toutefois demandé à sa ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, de trouver des moyens de serrer la vis aux personnes atteintes de la COVID-19 qui refusent de s’isoler. Il a évoqué des amendes, notamment, pour les « quelques récalcitrants ».

Le moment de « sévir »

Québec peut déjà en imposer, comme l’a rappelé jeudi Mme Guilbault. Environ 8000 constats d’infraction ont ainsi été remis à des individus ou à des établissements. Jusqu’ici, et en particulier au cours de l’été, « on a eu une certaine indulgence », les autorités ont été plutôt clémentes, mais le moment est venu de « sévir » devant la « désinvolture » de certains, qui risque d’augmenter la propagation du coronavirus, a expliqué la ministre.

La Santé publique peut également formuler une ordonnance pour les récalcitrants. D’ailleurs, le CIUSSS de la Capitale-Nationale a formulé mercredi deux ordonnances concernant « des gens qui ne collaboraient pas » ; la première visait à obliger un client du bar Le Kirouac à s’isoler pendant 14 jours, la seconde à en obliger un autre à collaborer à l’enquête épidémiologique. Une soirée karaoké dans ce débit de boisson a entraîné au moins 50 cas confirmés de COVID-19, notamment chez trois enfants qui fréquentent l’école.

Quant à la situation dans les écoles, même si des cas se confirment et que des élèves de certaines classes sont obligés de rester à la maison, la situation demeure « sous contrôle », selon le premier ministre.

« Le niveau d’anxiété baisse » dans les écoles, dit Roberge

Québec promet de publier le bilan des cas « dans les prochains jours »

Des cas de COVID-19 sont recensés quotidiennement dans les écoles, mais le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, estime que « les gens sont de plus en plus rassurés ». Jeudi, le ministre a toutefois admis que son gouvernement n’avait pas fini de « colliger » le nombre de cas de COVID-19 déclarés dans les écoles.

Combien de cas de COVID-19 sont recensés dans les écoles et où ? M. Roberge n’a pas voulu s’avancer, jeudi. « On est en train de colliger toutes ces informations-là et on est tout près du moment où on va pouvoir les rendre publiques », a-t-il affirmé en conférence de presse, dans une école de Montréal.

Mercredi, La Presse a rapporté qu’un père de la métropole publiait sur un site internet tous les cas de COVID-19 recensés en milieu scolaire. Mentions dans les médias ou lettres envoyées par les écoles à l’appui, le site COVID Écoles Québec comptait jeudi 54 écoles dans la province où des cas ont été confirmés.

Appelé à commenter cette initiative, mercredi, le premier ministre François Legault a estimé que rien ne garantissait la fiabilité de ces données et a demandé aux Québécois d’être « patients » puisque l’information serait disponible « dans les prochains jours ».

On sait qu’il y a eu des cas, mais y a-t-il eu une éclosion de coronavirus dans un établissement scolaire depuis la rentrée ?

« J’attends d’avoir les données. Ce que je comprends, c’est qu’on a surtout des cas, je n’ai pas entendu parler d’éclosion, mais je vais attendre d’être certain avant de donner cette information-là.  »

— Jean-François Roberge, ministre de l’Éducation

Québec est en train de « s’arrimer avec les centres de services » pour obtenir rapidement les informations quand survient un cas, a dit le premier ministre. Il estime que les cas de COVID-19 recensés dans certaines classes jusqu’à maintenant démontrent que le concept de bulle-classe, au cœur de la stratégie gouvernementale de la rentrée, est efficace, puisque aucune école n’a dû être fermée.

Le directeur général du centre de services scolaire de Montréal (CSSDM) assure de son côté qu’il est informé dès qu’une direction d’école recense un cas de COVID-19. « Je suis au courant et je mets le Ministère au courant. On le sait, on le dit », assure Robert Gendron. La reddition de comptes vers Québec, qui se fait par téléphone, n’est toutefois pas « organisée ». « La procédure va probablement être à faire » par le ministère de l’Éducation, avance Robert Gendron.

Une rentrée qui se passe « très bien »

Jean-François Roberge a estimé jeudi que la rentrée des classes se passe « très bien ». « L’écho que j’ai, c’est que les membres du personnel sont satisfaits, ça se passe bien, et chaque jour qui passe, le niveau d’anxiété baisse et les gens sont de plus en plus rassurés », a dit le ministre.

Le directeur général du centre de services scolaire de Montréal n’est pas prêt à faire la même affirmation. « On se garde une petite gêne avant de dire que l’anxiété baisse », dit Robert Gendron. Au moment où le Québec enregistre une hausse des cas quotidiens, il craint qu’une telle affirmation ne fasse baisser la garde à tout le monde.

Le directeur général du CSSDM est toutefois rassuré par la manière dont un récent cas de COVID-19 à l’école primaire Notre-Dame-de-Grâce, à Montréal, a été géré. Il n’a fallu que quatre heures pour « être mis au courant, parler à la Santé publique, connaître le niveau de risque pour les personnes concernées et écrire aux parents et au personnel », a expliqué Robert Gendron. Sur les 900 élèves de cette école primaire, 45 ont été renvoyés à la maison pour deux semaines, précise-t-il, dont des élèves de la classe de l’enfant touché et du service de garde.

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