« Je vais être obligée de couper »

Les Montréalais anxieux de connaître la hausse de leur impôt foncier peuvent maintenant en faire le calcul, d’après la valeur de leur propriété établie par le nouveau rôle d’évaluation foncière. Peu de propriétaires seront épargnés par l’augmentation. Voici la réaction de deux propriétaires.

Diane Boivin s’attendait à une hausse salée de son compte de taxes pour 2023, puisque l’évaluation de sa copropriété a augmenté de 47 %, soit beaucoup plus que la hausse moyenne de 35,5 % pour les propriétés résidentielles à Montréal. Avec le budget déposé mardi par l’administration Plante-Ollivier, elle peut anticiper une facture supplémentaire de 272 $, soit 7,9 % d’augmentation.

« Aïe, aïe, c’est énorme ! », s’exclame-t-elle en apprenant la nouvelle.

Comment cette retraitée de l’enseignement prévoit-elle réussir à acquitter cette facture supplémentaire ?

« Je vais être obligée de couper dans les divertissements, les voyages, le magasinage, tous les petits extras, peut-être même arrêter certains cours. Je n’ai pas un gros train de vie, mais la hausse des pensions ne suit pas l’inflation, et je suis déjà serrée. »

— Diane Boivin, 74 ans

Mme Boivin habite depuis 30 ans sa résidence de l’arrondissement de Côte-des-Neiges–Notre-Dame-de-Grâce, payée 100 000 $ à l’époque. Elle est maintenant évaluée à 654 000 $, comparativement à 444 900 $ il y a trois ans, une hausse de 209 100 $.

Son compte de taxes municipales de l’année dernière s’élevait à 3432 $. L’étalement sur trois ans de la hausse de valeur des propriétés permettra d’absorber un peu le choc, mais sa facture pour 2023 atteindra 3703 $, si l’on tient compte de la taxe d’arrondissement.

Avec d’autres citoyens découragés par l’énorme hausse d’évaluation de leur propriété, Diane Boivin a lancé une pétition, qui a recueilli 2300 signatures, pour demander à l’administration de refaire l’évaluation foncière en appliquant les taux d’augmentation de la dernière évaluation, soit 13,6 % (au lieu de 32 % cette année).

Ces propriétaires soulignent que l’évaluation est faite sur la base des prix des résidences en 2021, alors que Montréal était en pleine bulle immobilière. Mais depuis, les prix ont fléchi.

Cependant, comme leur demande a peu de chances d’être acceptée, Mme Boivin se prépare plutôt à faire une demande de révision de son évaluation foncière. En se basant sur les prix de vente de propriétés dans son secteur, elle croit que sa copropriété, où elle a fait peu de rénovations, vaut moins que la valeur qui lui a été attribuée.

« Ça va me coûter 300 $ pour contester, mais je n’ai pas envie de rester dans une maison surévaluée », dit-elle, en affirmant vouloir rester chez elle le plus longtemps possible.

« C’est beaucoup pour nous »

Dans Rosemont–La Petite-Patrie, où on projette une hausse de taxes d’environ 3,9 % en moyenne, Louise Sauvageau, résidante de la 14e Avenue, subira une hausse d’environ 172 $ de son compte de taxes. Dans son cas, il s’agit d’un bond de 3,5 %, calculé sur une valeur d’immeuble d’environ 842 000 $ selon le rôle actuel. Sa hausse de taxes plus faible s’explique en raison de la valeur moins élevée qu’a prise son immeuble, à savoir environ 33 % comparativement à 36 % globalement, dans l’arrondissement.

Même si elle juge l’augmentation « raisonnable » – étant sous le taux d’inflation –, la principale intéressée ne cache pas ses inquiétudes, en entrevue avec La Presse.

« Ça demeure tout de même un compte de taxes municipales qui dépassera les 5000 $. Si on ajoute à cela le compte de taxe scolaire de plus de 800 $ qui m’attend en 2022, […] j’en arrive à un niveau total de taxes qui approche les 6000 $. C’est beaucoup pour nous, qui sommes retraités », évoque Mme Sauvageau, qui vit avec son conjoint depuis une cinquantaine d’années maintenant.

En 1977, Mme Sauvageau a payé 35 000 $ pour sa maison. À ce moment, dit-elle, « nous étions deux professionnels en début de carrière avec un revenu brut annuel de couple de 28 000 $ ». Mais maintenant à la retraite, leurs « revenus plafonnent ».

Malgré tout, la Montréalaise s’estime plus chanceuse que bien d’autres, dans le contexte actuel. Car à ses yeux, « ce sont les ménages montréalais qui ont des bouches à nourrir et une hypothèque à payer qui vont en souffrir le plus ».

« Avec l’augmentation de la valeur foncière et des prix de vente, Montréal est maintenant rendue une ville trop chère pour les familles de la classe moyenne. Il fallait acheter avant la pandémie. La donne ayant maintenant changé, les gagnants sont ceux qui ont acquis une propriété montréalaise avant la surenchère de 2019 », dit-elle.

Soulagement chez les commerçants

« On ne peut pas se plaindre. » Dans la bouche de Kenny Grover, qui possède une boutique de vêtements à Verdun, cette réaction sonne comme un soupir de soulagement.

Le budget de l’administration Plante présenté mardi prévoit une augmentation de 2,9 % des taxes foncières commerciales, sous le plafond de 3 % demandé par la communauté montréalaise des affaires. Cette dernière a réagi positivement après le dévoilement du document.

« C’est moins que l’inflation, alors ce n’est pas si pire. Il faut se réjouir de ça », a poursuivi M. Grover, dont le commerce familial compte 97 années d’activité dans la rue Wellington. « Maintenant, est-ce qu’on va recevoir les services qui devraient aller avec cette augmentation ? Je ne sais pas. » À Verdun, les commerçants paieront en moyenne 1,8 % de plus en 2023 comparativement à 2022.

Dans le nord de l’île, à Ahuntsic, Ginette Gosselin exploite un restaurant dans la rue Fleury. « On va vivre avec et on va faire du mieux qu’on peut avec ça », a-t-elle expliqué à La Presse. Dans son arrondissement, les comptes de taxes des commerçants augmenteront en moyenne de 2,5 % l’an prochain. « Ça aurait pu être pire, ça aurait pu être mieux. »

« Mieux », c’est la nouvelle que recevront plusieurs propriétaires du centre-ville avec leur facture municipale dans quelques semaines : une diminution des taxes foncières. À cause de la stagnation de la valeur des tours de bureaux au cœur de la métropole, les factures de taxes foncières commerciales dans ce secteur diminueront en moyenne de 2,7 %.

L’industrie se réjouit, mais…

À l’Association industrielle de l’est de Montréal, le directeur général Dimitri Tsingakis salue la limitation à 2,9 % des taxes commerciales, en moyenne. « Les augmentations ont été raisonnables dans l’ensemble. C’est perçu positivement parmi nos membres. Maintenant, il faut voir au niveau de l’évaluation foncière de chacun des joueurs. C’est vraiment le compte de taxes qui, ultimement, va faire foi de tout », explique-t-il à La Presse, en évoquant toutefois que les taxes seront plus élevées dans certains secteurs, notamment dans Rivière-des-Prairies–Pointe-aux-Trembles ou encore Anjou, où on attend respectivement des hausses de 7,3 % et 8,6 %.

M. Tsingakis rappelle d’ailleurs qu’il faudra du temps pour déterminer qui subira le plus d’impacts des hausses de taxes. « La taxation, c’est un poste budgétaire. Mais il y en a plusieurs autres qui entrent dans la balance : le coût de l’énergie et la main-d’œuvre, notamment. Il faudra vraiment évaluer l’ensemble pour être en mesure de quantifier l’impact de ce budget sur chaque secteur d’activité, dépendamment du type d’industrie », poursuit le DG.

Ses propos font écho à ceux du président de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, Michel Leblanc, pour qui la décision de limiter la hausse des taxes foncières à 2,9 % pour le non-résidentiel « est une excellente nouvelle dans un contexte difficile pour les PME montréalaises ».

« C’est un bon budget dans des circonstances difficiles. »

— Michel Leblanc, président de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain

Montréal doit « absolument procéder à une revue rigoureuse de ses activités et de ses dépenses », a cependant ajouté M. Leblanc. « La Ville doit mieux investir et mieux dépenser, en ciblant ses actions dans ses champs de compétence. »

L’Institut de développement urbain, qui représente les grands promoteurs et propriétaires immobiliers, est toutefois beaucoup moins positif. « La Ville ne semble pas vouloir corriger le surpoids fiscal imposé au non-résidentiel. Avec un fardeau 4,33 fois plus élevé pour les immeubles commerciaux en comparaison avec le secteur résidentiel, Montréal est de loin la ville au Canada qui éloigne le plus les investissements. En 2021, Montréal imposait un surpoids au non-résidentiel de 4,21, Québec de 3,51, Vancouver de 3,46 et Toronto de 3,36 », a fustigé l’organisation mardi dans un communiqué.

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