Santé et éducation

Une comparaison Québec-Ontario bancale

Il est toujours périlleux de comparer le Québec à d’autres provinces ou pays sans tenir compte de nos particularités. Se comparer est essentiel, mais envoyer le mauvais signal n’aide personne.

Ce péril des comparaisons, bien entendu, s’applique aussi ailleurs, pas seulement au Québec.

Le sujet m’est venu à l’esprit en lisant le rapport Comparaison interprovinciale, publié par le très sérieux Bureau de la responsabilité financière (BRF) de l’Ontario. Ce bureau est l’équivalent du Directeur parlementaire du budget à Ottawa (qui n’a pas d’équivalent au Québec). Il relève de l’Assemblée législative de l’Ontario.

Dans son rapport publié le 6 avril, le BRF affirme que l’Ontario a les dépenses de programmes les plus faibles au Canada, à 11 794 $ par habitant, loin du Québec, à 15 124 $, qui arriverait au 2e rang des plus dépensiers. En particulier, le BRF laisse entendre que l’Ontario est extrêmement efficace en santé, avec des dépenses par habitant de 4800 $ – les plus faibles au Canada –, soit 1938 $ de moins que le Québec, ou 19 % ! Wow !

En prenant connaissance des chiffres, basés sur les données de Statistique Canada, je me suis dit qu’on était vraiment pourris au Québec. D’autant que nos services ne sont pas à la hauteur de nos attentes, bien souvent, surtout en comparaison de nos voisins, dont l’Ontario.

Même chose pour l’éducation, où le Québec dépenserait davantage que l’Ontario par habitant, alors que j’ai toujours pensé l’inverse.

Vite, des réformes !

Pas si vite, en fait. Pour en avoir le cœur net, j’ai notamment passé un coup de fil aux experts en la matière, de la Chaire en fiscalité et en finances publiques (CFFP) de l’Université de Sherbrooke, dirigée par Luc Godbout.

Rapidement, Luc Godbout et le professionnel de recherche Michaël Robert-Angers, de la CFFP, ont vu la méprise.

En Ontario, une part non négligeable des services de santé sont à la charge des municipalités, ce qui n’est pas le cas au Québec.

Autrement dit, impossible de bien comparer les provinces en ne prenant pas les dépenses de santé du provincial et du municipal combinés, ce que n’a pas fait le BRF ontarien. Ce faisant, le classement change radicalement, toujours grâce aux données de Statistique Canada.

Ainsi, avec l’approche bancale du BRF, le Québec semble dépenser 24 % de plus que l’Ontario pour ses dépenses de santé par habitant. Avec celle de la CFFP, l’écart est réduit à 6 %, avec des dépenses au Québec de 5754 $ par habitant. Le Québec passe du 2e rang des plus dépensiers en santé au Canada au 4e rang et son écart avec la moyenne canadienne est ramené à 2 % plutôt que 12 %. Ça change nettement le portrait.

Même phénomène en éducation : les nouveaux chiffres comparables font passer le Québec à 2498 $ par habitant, nettement sous l’Ontario (13 % d’écart), alors que la comparaison du BRF nous mettait 3 % au-dessus.

Évidemment, il y a beaucoup d’autres éléments qui pourraient être pris en compte. En éducation, les écoles privées du Québec viennent réduire les dépenses de l’État, avec la contribution des parents. Nos services de garde dans les écoles font grossir la facture, cependant. Et il y a aussi nos cégeps, qui s’accompagnent de dépenses imposantes. C’est sans compter les droits de scolarité universitaires bien plus élevés en Ontario qu’au Québec. À cela s’ajoutent d’autres éléments intangibles plus difficiles à mesurer.

Bref, comparer n’est pas simple, mais la comparaison de la CFFP apparaît bien plus réaliste que celle du BRF. Qu’il me suffise d’ajouter que selon le BRF, la charge d’intérêts du gouvernement de l’Ontario serait de 834 $ par habitant, deux fois moindre qu’au Québec (1702 $), alors que selon les données des deux gouvernements, le Québec a maintenant une dette nette moindre que l’Ontario (23 200 $ par habitant contre 26 800 $). Cherchez l’erreur.

Cela dit, selon les chiffres de la CFFP de l’Université de Sherbrooke, le Québec a tout de même des dépenses de santé plus élevée qu’en Ontario, au bout du compte (5764 $ contre 5419 $). Et il faut y voir.

Différentes raisons pourraient expliquer l’écart, sans que je puisse le mesurer précisément. Le Québec a un régime d’assurance médicaments, pas l’Ontario. Notre population est plus vieillissante et elle coûte donc plus cher en soins de santé. Et il y a la rémunération des médecins québécois, devenue plus juteuse avec les années (mais qui sera stable au cours des prochaines années, selon les ententes).

L’objectif n’est pas d’affirmer que nous dépensons moins ou mieux, loin de là. Au contraire, compte tenu de notre richesse collective moindre, mesurée par le PIB, nos dépenses de santé sont plus lourdes (11 % du PIB en 2020 contre 9,2 % en Ontario, selon la CFFP). La solution ne passe donc pas par une nouvelle injection de fonds.

Il reste que les écarts ne sont pas ceux que nous présente le BRF ontarien, loin de là. Et que le constat du BRF n’aide ni le Québec ni l’Ontario ni les autres provinces.

J’ai joint le directeur du BRF, Peter Weltman. Il reconnaît que les dépenses de santé des administrations locales ont été exclues de l’analyse et indique que son mandat était de comparer les dépenses exclusivement provinciales, proches des chiffres des comptes publics.

Il m’explique qu’aucun journaliste n’avait posé des questions aussi pointues. Il admet que le BRF a choisi une certaine approche et indique qu’il tiendra compte de mes suggestions lors de la prochaine analyse comparative.

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